Joy Banerjee est né à Paris de parents bengalis, arrivés récemment d’Inde. Tout en grandissant en France, il a gardé un lien avec la culture bengalie que ses parents lui ont transmise. Pendant son enfance, la famille retournait tous les trois ou quatre ans en Inde. Mais, à sa majorité, Joy Banerjee a souhaité s’y rendre seul et découvrir par lui-même son pays d’origine ; “C'était aussi l’occasion de garder un contact avec l’Inde”, avoue-t-il.
Après avoir travaillé en free lance, Joy Banerjee intègre France Télévisions en 1990 en tant que journaliste reporter d’images et réalise de nombreux documentaires. Il était notamment sur les lieux du tremblement de terre qui a touché la ville de Latur dans le Maharashtra en 1993. Dans le même temps, avec sa femme, aussi employée à France Télévisions, Joy Banerjee filme pour son propre compte des sujets concernant le Bangladesh et l’Inde.
Il y a quelques années, Joy Banerjee s’est attelé à un projet qui lui tenait à coeur : faire connaître une période terrible de l’histoire bengalie, la grande famine de 1943. “J’en avais entendu parler par mes parents, mais par bribes seulement. Je voulais en savoir plus”, confie Joy Banerjee.
La famine du Bengale, une partie sombre de l’histoire méconnue
Selon la plupart des estimations, la famine de 1943 aurait causé la mort de 2,1 à 3 millions de personnes, sur une population de 60,3 millions dans le Bengale britannique de l'époque (qui comprenait l’Etat indien du Bengale occidental et le Bangladesh). “C’est une période qui a marqué la génération de mes parents, mon père, jeune étudiant à Calcutta l’a vécue.” avoue Joy Banerjee.
Joy Banerjee s’associe avec un ami bengali, Partho Bhattacharya et tous deux se lancent dans ce projet de documentaire. Leur idée était de construire le projet autour de l’interview de Madhusree Mukerjee, une écrivaine bengalie qui a publié un livre sur le sujet, Le Crime du Bengale (version originale : Churchill's Secret War paru en 2015) qui a fait beaucoup de bruit au moment de sa sortie. Pour compléter les informations données par l'écrivaine, Joy Banerjee et Partho Bhattacharya se lancent à la recherche de Bengalis qui avaient vécu à cette époque et pouvaient témoigner.
Deux années de travail furent nécessaires pour mener à bien le projet et réaliser le film, “Les Ombres du Bengale” en trois versions, français, anglais et bengali.
Accompagné de Partho Bhattacharya, Joy Banerjee s’est rendu en Allemagne pour interroger Madhusree Mukerjee. “Dans son ouvrage, Madhusree Mukerjee pointe du doigt la responsabilité de l’empire britannique et plus spécifiquement de son Premier Ministre de l'époque, Winston Churchill dans les causes de cette famine,” affirme Joy Banerjee.
Mais, ils ont aussi effectué deux voyages à Calcutta et à Midnapore, la région qui fut la plus touchée par la famine, pour identifier, rencontrer et discuter avec les survivants.
A l’aide des témoignages de quelques Bengalis qui avaient une quinzaine d'années en 1943 et des informations apportées par Madhusree Mukerjee, mais aussi par d’autres spécialistes de la période et avec des images d’archives, Joy Banerjee et Partho Bhattacharya ont atteint leur objectif :
Poser le débat sur la responsabilité de l’empire britannique dans cette épreuve subie par les Bengalis.
Les Ombres du Bengale a été diffusé dans de nombreuses universités en Inde et en Angleterre. Lors de projections en Angleterre devant la communauté indienne de Londres, le film a suscité des réactions fortes.
On a voulu raconter cette partie sombre de l’histoire qui n’est pas connue en Europe, en Angleterre ni même en Inde,
confie Joy Banerjee.
Il est visible gratuitement sur le site créé par Joy Banerjee et sa femme, Terres du Bengale et pour suivre le débat qui continue d’être alimenté, se rendre sur la page Facebook du film.
Joy Banerjee travaille aujourd’hui seul sur un sujet qu’il a découvert récemment en discutant avec un historien et journaliste à la Réunion : l’engagisme, un pan de l’histoire de France passé aux oubliettes. L’objectif de ce nouveau projet est de faire connaitre et inciter à réfléchir sur cette période de l'engagisme, notamment en France métropolitaine.
“La colère d’Abady”, un documentaire sur l’engagisme
“A partir de 1848 et l'abolition de l'esclavage en France, les propriétaires des plantations de canne à sucre ont voulu remplacer à grande échelle les esclaves désormais affranchis. L'administration française, sur la demande des planteurs, va aller chercher ces travailleurs engagés plutôt dans les cinq comptoirs français de l'Inde (Yanaon, Karikal, Pondichéry, Chandernagor, Mahé). Avec l'accord des autorités coloniales britanniques, ils vont les recruter dans les villages les plus reculés, souvent parmi les basses castes qui ne savent ni lire ni écrire, où on meurt parfois de faim. On parle en tout de 118 000 personnes venues surtout du sud de l'Inde et quelques-unes de Calcutta, en deux ou trois grandes vagues : 1828, 1848 et 1860/1861.” (reconstitution du contexte de l’engagisme à la Réunion par Joy Banerjee avec l’aide de deux historiens, Sully Govindin et Michèle Marimoutou-Oberlé)
A la Réunion, les descendants d’engagés se sentent réunionnais, ce sont des gens de la quatrième/cinquième generation, mais il y a une espèce de rattachement à leur histoire, au culte des ancêtres au travers de rites que l’on ne voit même plus en Inde du sud aujourd’hui. Et, en même temps, ils ont un vrai problème d'identité.
Joy Banerjee s’est rendu à la Réunion pour y rencontrer Abady Egata-Patché, un entrepreneur réunionnais, descendant d’engagés indiens et qui a porté plainte contre l’Etat francais pour crime contre l’humanité. Il y a aussi rencontré deux historiens qui l’ont aidé à reconstruire le contexte de l’engagisme et y a réalisé la première partie de son film sur le sujet : La colère d’Abady.
“En ce moment, on parle beaucoup en France des aspects mémoriels et de l'intégration, et ce qui est étonnant, c’est de voir à quel point il y a une volonté de reconnaissance de la part de ces descendants d'engagés qui se considèrent comme des victimes du système colonial français et souhaitent une reconnaissance dans les livres d’histoire.”
Arrêté dans son projet par la crise sanitaire du coronavirus, Joy Banerjee espère pouvoir aller enquêter prochainement en Guadeloupe afin de le terminer.
C’est une histoire très intéressante, assez complexe et peu documentée
Ces deux documentaires instructifs sur l’histoire de l’Inde s’inscrivent aussi dans le contexte actuel du mouvement #blacklivesmatter. Les Ombres du Bengale et La Colère d’Abady nous invitent à réfléchir sur les responsabilités des colonisateurs et le rôle de la mémoire.
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