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Vladivostok, nouveau port franc chinois

La Russie et la Chine sont arrivés à un accord permettant l’utilisation du port de Vladivostok pour le commerce intérieur chinois. Xi Jinping et le premier ministre Li Qiang entérinaient leur accord ce 24 mai avec le premier ministre russe Mikhaïl Michoustine. Les détails de l’accord semblent avoir été définis lors d’un forum d’affaires Chine-Russie. Quelles sont l’histoire et la géographie de la région ? Quel impact aura la mesure sur le développement chinois ? Qu’est-ce que cela nous apprend sur les relations sino-russes ?

Vladivostok Zolotoy Rog Bay wikimediaVladivostok Zolotoy Rog Bay wikimedia
Vladivostok, dorénavant port ouvert à la Chine (Crédit: Wikimedia)
Écrit par Patricia Herau-Yang
Publié le 13 juin 2023, mis à jour le 19 juin 2023

La Russie autorise l’utilisation de Vladivostok par la Chine

Depuis le 1er juin, les marchandises échangées entre les différentes régions chinoises pourront utiliser la voie maritime avec Vladivostok comme port de commerce, exemptés de droits de douane. Les trois provinces du nord-est chinois (Heilongjiang, Jilin, Liaoning) ne seront plus obligées de transporter par route ou voie ferrée leurs marchandises jusqu’à Dalian (Port-Arthur). Ceci représente un bon millier de kilomètres économisés.

Hormis l’accès aux autres villes maritimes de Chine, potentiellement, les provinces du nord-est pourraient aussi valoriser un accès vers la Russie et l’Europe par la route du nord, de plus en plus dégagée des glaces depuis la fonte de la calotte glaciaire. Ce pourrait ouvrir une nouvelle route de la soie et représenter un vrai atout pour les provinces du nord-est.

Ces provinces sont notamment productrices de produits agricoles, de bois, de charbon, de produits de l’industrie lourde, de chimie. Elles sont aussi des provinces « en souffrance », qui n’ont pas bien géré la transition vers l’économie de marché et sont encore centrées sur de grandes entreprises d’état. Le chômage y est élevé et elles perdent aujourd’hui leur population jeune, au profit des grandes villes, à commencer par Pékin.

Une compensation pour un soutien indéfectible de la Chine  à la Russie ?

Pour la Chine, c’est donc un vrai avantage. Rappelons que Pékin a déjà saisi l’opportunité d’acheter du pétrole et du gaz russes à prix cassés, en Yuans, alors que le marché occidental se fermait. Le montant des imports des commodités russes par la Chine était de $88.3 milliards de en 2022, +52% par rapport à 2021.

La Chine a aussi accédé à un marché captif pour ses produits, depuis le retrait des fournisseurs occidentaux alliés. Le commerce bilatéral avec la Russie a augmenté de 40% de janvier à mai 2023 par rapport à la même période l’an dernier. L’administration des douanes chinoises publiait ainsi un montant de $93.8 milliards ce 7 juin.

De ces quelques chiffres, on peut aisément comprendre l’intérêt pour Pékin de soutenir, sous une neutralité affichée, Moscou.

De l’autre côté de la Sibérie, vu de Moscou, Vladivostok n’a pas délivré toute la valeur attendue. La Russie a cherché à attirer des investisseurs japonais et sud-coréens pour relancer le port mais le développement reste décevant. En ouvrant Vladivostok, Moscou parie sur Pékin.

Carte frontière Chine Russie Vladivostok
Les territoires perdus en 1854 et 1860 (Crédit: Wikimedia)

Une revanche sur l’histoire sino-russe 

La Chine est rancunière et le passé avec la Russie n’a pas toujours été rose.

C’est en effet en 1860 que la Chine de l’empire Qing a été contrainte de céder Vladivostok à l’Empire russe. Vladivostok est connue en Chine sous le nom de Yongmingcheng (永明城) la Cité de lumière éternelle. L’inimitié a commencé dès le traité d'Aigun en 1854, alors que la Russie arrachait la rive ouest du fleuve amour à l'empire Qing.

Ensuite, la Russie, assimilée à l’occident, conclut l'accord de 1860 relatif à la seconde guerre de l’opium. Cet accord actait la perte de Vladivostok et est considéré comme un traité inégal. Il faisait suite à l’incendie de l’ancien palais d’été en octobre 1860.

La Russie faisait encore partie des 8 puissances qui ont pillé une nouvelle fois l’ancien palais d’été à Pékin en 1900 (révolte des Boxers).

La relation avec la Russie devenue grand frère de la Chine communiste se gâte de nouveau sérieusement en 1959. C’est alors que Khrouchtchev se rapproche d’Eisenhower, et qu’il est accusé par Mao de révisionnisme.

La crise atteint son sommet en 1968, alors que les deux armées combattent le long de frontière de 4380 kms, notamment au Xinjiang, en une guerre non déclarée mais qui durera 7 mois. L’URSS avait semble-t-il encouragé les peuples turcophones de la région à l’insurrection. Différents accords sont signés (1991 Sino-Soviet Border Agreement, 1994, 1997, 2004). Ces accords entérinent en fait une perte de 1.7 Millions de km2 par rapport à 1840.

Entre temps, la Chine s’est rapprochée des Etats-Unis en 1979 (mettant de côté l’URSS) et l’URSS a explosé. Depuis, la guerre en Ukraine a de nouveau remodelé les alliances.

Carte perte territoire Chine empire Qing Vladivostok traités inégaux
Les territoires perdus par les traités inégaux (Crédit: wikimedia)

Qu’en pensent les Chinois ?

Pour Xi, retrouver Vladivostok est une démonstration vers la population chinoise. Car si le soutien de Xi envers Poutine n’a jamais failli, l’opinion publique semble avoir du mal à suivre le revirement de la Chine envers le partenaire américain qui a tant apporté à l’économie chinoise pendant la période d’ouverture. L’opinion est bien difficile à sonder, et les sondeurs internationaux interdits d’opération en Chine. Mais on peut saisir une certaine agitation sur les réseaux sociaux.

Un bloggeur chinois à succès et start de la télé, Zhou Libo, avait fait le buzz en mars dernier en évoquant les « traités inégaux » signés avec la Russie sur ses microblogs Toutiao et Weibo. L’administration du cyberespace chinois (CAC) a nettoyé l’internet chinois de toutes références à ces traités inégaux pour autant qu’on y parlait Russie. Zhou y est désormais interdit et son nom n’est évoqué que pour rappeler son ancienne addiction à la cocaïne, le discréditant.

L’Union Européenne a tenté d’équilibrer les messages sur la guerre en Ukraine via un blog de fact-checking, mais l’effort semble porter des fruits très limités. La responsabilité du conflit, vue de Chine, est la menace de l’OTAN. Le soutien de Xi vaut bien le retour de la Cité de lumière éternelle dans le giron chinois.

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