En novembre 2018, la naissance de jumelles génétiquement modifiées en Chine a provoqué un scandale bien au-delà de la communauté scientifique. Dans notre chronique Regards hongkongais, une étudiante revient sur cette annonce et les questions éthiques qu'elle soulève.
En novembre 2018, le biologiste Jiankui He annonçait avec joie la naissance de deux bébés aux gènes modifiés. Il affirmait, dans une vidéo diffusée, sur YouTube avoir modifié le génome de ces jumelles - Lulu et Nana - afin de leur conférer une résistance génétique au virus VIH, responsable du sida, dont était porteur le père. Invité à participer au deuxième sommet mondial sur la modification du génome humain organisé à Hong Kong du 27 au 29 novembre 2018, le chercheur s’est expliqué, devant ses confrères sceptiques et de nombreux journalistes, sur cette expérience et la technique utilisée - Crispr-Cas9. Depuis, la polémique n’a cessé d’enfler et le scientifique, désormais qualifié de "Frankenstein chinois", aurait été arrêté et placé en résidence surveillée à Shenzhen. Comment comprendre que ce qui a été présenté comme une véritable avancée médicale par Jiankui He, ait provoqué un tel tollé?
Le « CRISPR-Cas9 »
Pour faire simple, le "CRISPR-Cas9" appelé aussi "ciseaux moléculaires" ou "ciseaux génétiques" est une technologie biologique qui permet d’enlever et de remplacer des parties indésirables dans un ADN de cellules animales ou végétales. La découverte de l’Enzyme Cas9 dans les années 70 à l’origine de cet outil, a donné l’espoir de guérir des maladies génétiques graves. Or, l’expérimentation humaine de Jiankui He dépasse largement ce cadre et pose de nombreuses questions éthiques.
Modifications génétiques & et éthique
En effet, de De nombreux pays, y compris la France, ont strictement interdit la modification génétique d'embryons humains. En Chine, la manipulation génétique sur des embryons est certes autorisée mais pour une période maximale de 14 jours, en aucun cas en vue d’une procréation médicalement assistée ! He a bien dépassé la ligne rouge et son expérience, qui n’a d’ailleurs rien de scientifique tant elle s’est déroulée en dehors du protocole obligatoire dans la communauté scientifique validant ou non une expérience (entre autres: absence de vérification indépendante ; exposition d’embryons sains à des modifications génétiques; aucun article publié dans une revue scientifique; mésinformation des couples "cobayes"; falsification de documents …) s’est faite au mépris des risques et du consensus éthique.
Laxisme du gouvernement chinois
Bien que le gouvernement chinois ait déclaré qu’il allait ouvrir une enquête et que le scientifique serait sanctionné, on peut déplorer un certain flou législatif sur les questions bioéthiques tant le pays aspire à devenir une puissance scientifique et de ce fait se montre peu regardant sur la morale… Cette course en avant pour devenir pionnier dans la recherche génétique et le domaine biomédical, a ouvert la voie, depuis quelques années, à des expérimentations suscitant de grandes controverses comme des usines de clonage en masse de vaches ou de chiens à Tianjin par exemple ou plus récemment le clonage de singes dans un laboratoire de Shanghai… De là à passer au clonage humain, il n’y a qu’un pas. D’ailleurs de nombreux scientifiques déclarent que la technique est prête. Les scénarios de science-fiction s’avèrent devenir de moins en moins fictionnels et avant que cela ne dérape complètement, il est temps de renforcer la réglementation chinoise dans le domaine de la recherche. La polémique suscitée par Jiankui He servira-t-elle à faire prendre conscience au gouvernement chinois que la réglementation existante n’est pas suffisamment dissuasive? Rabelais affirmait déjà à son époque que “Science sans conscience [n’était] que ruine de l’âme”. On se rend compte hélas que c’est toujours d’actualité…