Depuis la promulgation de la loi de sécurité nationale, une réévaluation des accords signés avec Hong Kong est en cours. Parmi les 20 pays qui ont des accords d’extradition, Canada, Australie, Etats-Unis, Royaume-Uni et aujourd'hui la Nouvelle-Zélande ont déjà décidé de les suspendre. Quels sont les enjeux?
L’extradition, un outil de collaboration judiciaire
Cet outil permet qu’un citoyen inculpé dans un pays étranger mais signataire d’un accord d’extradition soit rapatrié, d’après les modalités définies dans l’accord, dans son pays pour y être jugé. L’accord d’extradition est à distinguer de l’accord de transfèrement, qui permet à une personne déjà jugée dans le pays étranger d’être rapatriée dans son pays pour purger sa peine. Un 3ème type de collaboration enfin existe, l’entraide judiciaire.
Afrique du Sud, Allemagne, Australie, Canada, Corée du Sud, Etats-Unis, Finlande, France, Inde, Indonésie, Irlande, Malaysie, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Philippines, Portugal, République Tchèque, Royaume-Uni, Singapour, et Sri Lanka ont signé un accord d’extradition avec Hong Kong.
Certains de ces pays n’ont pas signé d’accord similaire avec la République Populaire de Chine: Allemagne, Australie (échec des négociations en 2017), Etats-Unis, Inde, Malaysie, Royaume-Uni, et Singapour notamment. Ceci signalait la reconnaissance de l’autonomie du système judiciaire hongkongais et une plus grande confiance en celui-ci.
Que change la loi de sécurité nationale?
Comme l’indique Philip Dykes, chairman de la Hong Kong Bar Association: "Extradition treaties with Hong Kong were always on the basis that whatever happens, a person will not be removed to the mainland."
Or la loi de sécurité nationale inclut des provisions qui prévoient dans des "situations compliquées" que les suspects présents à Hong Kong (peu importe le lieu de leurs actions) soient extradés en Chine pour jugement. Or, si le système judiciaire hongkongais (son équité, sa transparence) ont joué un rôle dans l’établissement de la RAS comme centre des affaires et de la finance, le système chinois a moins bonne réputation. Les gouvernements étrangers réévaluent donc leurs accords judiciaires en cours avec Hong Kong, à la lumière de la brèche introduite par la loi de sécurité nationale.
Canada, Australie, Etats-Unis, Royaume-Uni
Dès le 3 juillet, soit deux jours seulement après la mise en application de la loi, le Premier Ministre canadien Justin Trudeau affirmait son soutien à Hong Kong et déclarait: "We are also suspending the Canada-Hong Kong extradition treaty ... we are also looking at additional measures, including around immigration". Le Ministre des Affaires Etrangères Francois-Philippe Champagne condamnait la procédure "secretive" par laquelle la loi avait été promulguée, expliquant qu'elle forçait le Canada à une révision de ses accords avec la RAS. Le gouvernement canadien a mis en garde ses 300.000 ressortissants à Hong Kong: "increased risk of arbitrary detention on national security grounds and possible extradition to mainland China".
Les relations du Canada et de la Chine sont très dégradées depuis l’arrêt et la détention au Canada de Meng Wanzhou, fille du fondateur, et CFO, de Huawei Technologies Co, sur mandat d’arrêt américain.
La réaction du secrétaire hongkongais à la sécurité John Lee ne s’est pas fait attendre, dans un programme radio: le Canada doit "explain to the world on what grounds could they allow fugitives to go scot-free". Le porte-parole chinois des affaires étrangères Zhao Lijian condamnait l’ingérence canadienne dans les affaires chinoises.
Dès le 4 juillet, The Inter-Parliamentary Alliance on China (IPAC), un bloc de 16 juristes formé en juin et qui vise à coordonner l’approche des démocraties envers la Chine, a encouragé les pays membres à suspendre leurs traités d’extradition. Plusieurs pays ont entendu l’appel.
Le 9 juillet, c’était ainsi au tour de l’Australie de suspendre son accord d’extradition. Ottawa a assorti sa décision d’une mise en garde à ses citoyens à Hong Kong (100.000 personnes): "You may be at increased risk of detention on vaguely defined national security grounds. You could break the law without intending to. If you're concerned about the new law, reconsider your need to remain in Hong Kong" (Department of Foreign Affairs and Trade).
L’accord d’extradition a été utilisé deux fois en dix ans. Les relations entre Australie et Chine sont glaciales depuis que l’Australie a demandé une enquête sur l’origine du Covid-19.
Coté US, le "United States–Hong Kong Agreement for the Surrender of Fugitive Offenders" a été signé le 20 décembre 1996. Il remplaçait le traité d’extradition liant les gouvernements américain et britannique en avant la rétrocession. Le texte entre les gouvernements américains et hongkongais avait été soumis à l’approbation du gouvernement chinois, qui acceptait qu’il soit appliqué au 1er juillet 1997.
Cet accord a été utilisé en 2005: deux Vietnamiens jugés coupables dans l’affaire du massacre du Chinatown de Boston (meurtre de deux Chinois dans une salle de jeux) ont alors été extradés depuis la Chine vers les Etats-Unis via Hong Kong.
On ne compte plus les sujets qui fâchent entre les deux grandes puissances. Le 14 juillet, le gouvernement américain a annoncé la fin des exceptions. Le lot de mesures inclut la suspension de l’accord d’extradition. D'après le Sénateur républicain Jim Risch: "The new national security law imposed by the Chinese Communist Party eviscerates the rule of law that Hong Kong was once known for, and that has clear implications for cooperation on extradition and safety of American citizens".
Ce 20 juillet, le Royaume-Uni a annoncé suspendre "immédiatement et pour une durée indéterminée" le traité d’extradition qui lie Londres et Hong Kong. Depuis dix ans, aucune extradition n’a eu lieu depuis le Royaume-Uni vers Hong Kong et seulement trois personnes ont été envoyées dans l’autre direction.
A part l’ingérence, cette série de suspensions pose deux problèmes pour le gouvernement chinois: d’abord une perte de face, mais aussi des difficultés pratiques. En effet, le gouvernement a lancé une campagne importante de lutte anti-corruption. Cette campagne passe par l’extradition vers la Chine des officiels corrompus qui se sont réfugiés à l’étranger avec leur fortune. Très appréciée par la population chinoise, cette campagne s’est heurtée à un manque de traités d’extradition de certains pays clé avec la Chine.
Aujourd'hui la Nouvelle Zélande, demain l'Union Européenne?
Ayant affirmé le 9 juillet qu’il entamait une remise à plat de ses relations avec Hong Kong, le gouvernement de Nouvelle Zélande annonçait finalement ce mardi suspendre les accords d'extradition. Le Ministre des Affaires Etrangères Winston Peters indiquait à cette occasion: "New Zealand can no longer trust that Hong Kong's criminal justice system is sufficiently independant from China."
L’Union Européenne s’interroge aussi sur son positionnement vis-à-vis de Hong Kong et la Chine. Un projet évoqué par le South China Morning Post listait des mesures annoncées bientôt, depuis le contrôle sur l’export de biens double usage à une série d’actions juridiques (droit d’asile, migration, visas et droit de résidence, coordination avec les étudiants hongkongais, évaluation du risque posé par la loi pour les ressortissants de pays de l’UE). Le dernier sujet évoqué est l’évaluation des impacts sur les traités d’extradition des pays européens.
Concernant la France, un certain nombre de conventions définissent les relations dans le domaine judiciaire avec Hong Kong: entraide judiciaire en matière pénale (convention signée à Hong Kong le 25 juin 1997 et publiée par le décret n° 99-846 du 30 septembre 1999); transfèrement des personnes condamnées (accord signé à Paris le 9 novembre 2006 et publié par le décret n° 2009-815 du 1er juillet 2009); accord relatif à la remise des personnes poursuivies ou condamnées (extradition) signé le 4 mai 2017. Il énonce l’engagement de principe des parties de se livrer réciproquement les personnes qui, se trouvant sur le territoire de l’une d’elles, sont recherchées soit pour l’exercice de poursuites pénales, soit pour l’imposition ou l’exécution d’une peine prononcée par les autorités judiciaires de l’autre partie pour une infraction donnant lieu à remise.
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