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La Chine, nouveau champion de la paix dans le monde ?

xi jinping et vladimir putinxi jinping et vladimir putin
Xi Jinping et Vladimir Poutine exhibant ce mercredi les accords commerciaux scellés entre les deux pays
Écrit par Baptiste Salis
Publié le 22 mars 2023, mis à jour le 30 mars 2023

La Chine, nouveau gendarme du monde ? Après les douze points très wilsoniens de son plan de paix pour l’Ukraine, l’Empire du milieu se taille une place de choix entre deux ennemis structurels, l’Iran et l’Arabie Saoudite, pour lesquels toute réconciliation, même partielle, apparaissait encore il y a quelques semaines comme une vue de l’esprit. La doctrine Carter de 1980, qui considérait le Golfe comme une sphère d'influence exclusivement américaine, est révolue. Mais encore perçue par certains Etats réticents comme trop proche de la Russie, la Chine parviendra-t-elle à apparaître comme un faiseur de paix crédible ?

Arabie Saoudite-Iran, l'accord qui rebat les cartes

L'accord récemment négocié par la Chine donne un signal diplomatique fort au Moyen-Orient et défie les États-Unis. A ces derniers, un message clair semble avoir été envoyé : Circulez, il n’y a rien à voir. Les affaires du monde peuvent se dérouler sans vous. Cet accord rebat pour sûr les cartes, et la Chine qui en sort grande gagnante, a prouvé sa capacité à mettre deux adversaires farouches autour de sa table, ce qui est un pas non négligeable. Cependant, malgré ses appels au respect de la souveraineté de chaque nation, et la discussion envisagée entre Xi Jinping et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, elle souffre encore de sa proximité avec la Russie, et de la suzeraineté qu’elle semble exercer de manière croissante sur cette nation bien affaiblie. La question de sa crédibilité dans le rôle de faiseur de paix dépendra de sa constance, et de l’issue sur cette question, à l’heure d’un nouveau rapprochement nippo-indien, qui fait craindre le spectre d’une alliance antichinoise.

L'accord négocié par les deux ennemis à Pékin afin d’ébaucher un rétablissement des relations a eu le mérite de remodeler, au moins temporairement, les alliances et rivalités habituelles, en laissant les Etats-Unis sur la touche. Cet accord visant à rouvrir les ambassades mutuelles est un grand pas, certes fragile mais déterminant. Un calendrier prudent de deux mois a été annoncé pour en régler les détails. On peut dire que les rivalités qui régissent la diplomatie depuis des générations ont été bouleversées par la nouvelle, tant la Chine semble apparaître de plus en plus comme une puissance « mature ».

Un chassé-croisé s’est opéré, entre les deux puissances, signant, l’espace d’une négociation, le déclin de l’une et la soudaine importance prise par l’autre. Les Etats-Unis, acteur central au Moyen-Orient ces trois derniers quarts de siècle, qui ont été de toutes les négociations et de nombreuses guerres, d’une façon ou d’une autre, se retrouvent aujourd'hui mis à l’écart d’un rapprochement pourtant tonitruant. A l’inverse, la Chine, qui ne fut jamais plus qu’un acteur très secondaire de la région, est apparu comme un essentiel pacificateur.

Un accord qui court-circuite les Etats Unis et inquiète Israël 

Mais les Etats-Unis ne sont pas les seuls à s’être sentis floués, un autre acteur de la zone doit être à cette heure plein d’incertitudes : Israël. Eux qui avaient courtisé les Saoudiens et avaient entamé leur rapprochement avec ces derniers autour de leur adversaire commun à Téhéran, avaient tout sauf intérêt à cette rencontre. Cet allié historique des Etats-Unis semble donc mis au banc au même titre que son protecteur habituel. L’Arabie Saoudite, en revanche, allié de circonstances qui a su jouer sur plusieurs plans, en sort gagnante. Elle a fait montre de sa propension au dialogue, et de son goût du multilatéralisme.

Surtout que les Etats-Unis payent déjà le prix fort à l'Arabie Saoudite pour la normalisation des rapports avec Israël. Les saoudiens avaient annoncé la couleur : Nécessité d’obtenir des garanties de sécurité, aide pour le développement de leur programme nucléaire civil, diminution des restrictions sur les ventes d'armes américaines.

Les États-Unis n'auraient pas pu négocier un tel accord avec l'Iran, étant donné qu’ils n’entretiennent plus aucune relation avec le pays. La Chine a donc en un sens fait davantage pour la région que tout ce que les États-Unis ont pu réaliser depuis l'entrée en fonction de Joe Biden. Selon plusieurs sources, les collaborateurs de Joe Biden se seraient moqués des avis les plus critiques selon lesquels cet accord indiquerait une érosion claire de l'influence américaine dans la région. Publiquement, la Maison Blanche a cependant salué le rétablissement des relations diplomatiques entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Ceci dit il s’agit tout de même de rouvrir les ambassades fermées il y a sept ans, sous-estimer la portée de cette reprise de contact serait une erreur teintée de trop d’arrogance.

Inimitié grandissante entre les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite

La proximité insolente des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite, si évidente il y a encore quelques années, s’était refroidie ces derniers mois. Les relations ont en effet été mises à mal par le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, et les critiques virulentes de Joe Biden, qui avaient promis de faire de l’Arabie Saoudite un État « paria » pour avoir orchestré l'assassinat. D’autant plus que depuis le début de l’agression en Ukraine, et la foudre de l’occident qui s’est abattue sur les oligarques russes, les élites saoudiennes s’inquiètent d’un gel hypothétique de leurs propres actifs dans ces pays. Riyad s'est donc rapproché d'une Russie isolée et de Pékin, avec un accord de partenariat stratégique a été signé.

L’administration de Joe Biden a été furieuse de voir les Saoudiens violer l'accord conclu lors de la dernière visite à contre-cœur du Président, qui cherchait à faire baisser les prix du gaz. En effet, le royaume de Mohamed Ben Salmane a décidé de réduire malgré tout la production de pétrole à l'automne dernier pour maintenir les prix à un niveau élevé. Cette décision a été interprétée par les américains comme un réalignement sur Vladimir Poutine et, en arrière-plan sur Pékin.

Le siècle de la diplomatie chinoise 

Depuis déjà de longs mois, la pays de Xi intéresse au Moyen-Orient, dont les élites sont pour beaucoup persuadées d'entrer dans un "siècle chinois". La recherche de nouveaux accords économiques se fait de plus en plus prégnante, comme en témoigne la visite récente de John Lee dans le Golfe, dont le but était entre autres d’obtenir la double cotation du géant pétrolier Aramco à Hong Kong et d’ouvrir la Greater Bay Area aux investissements du Moyen-Orient. Les Saoudiens ont récemment exprimé leur volonté de rejoindre l'Organisation de coopération de Shanghai, et il ne faut pas oublier que quantitativement, une grande partie de leur pétrole est destinée aux chinois.

L'Iran, de son côté, qui souffre d'une profonde détresse économique en raison des sanctions américaines, a entrepris d'approfondir ses relations avec la Russie et, désormais, avec la Chine. Téhéran a par exemple fourni les drones dont la Russie avait grand besoin dans sa guerre en Ukraine. L’Iran dépend avant tout de la Chine pour 30 % de son commerce extérieur. Il nécessite aussi les investissements que lui a promis cette dernière, à hauteur de 400 milliards de dollars sur 25 ans.

De son côté, la Chine tire tous les avantages qu’elle peut de cette situation. Elle achète le pétrole iranien avec une forte décote, profitant du fait que le pays a peu de marchés d'exportation du fait des sanctions américaines. Il est clair que les intérêts directs de la Chine l'entraînent de plus en plus loin de ses côtes, et que son poids diplomatique s'accroît au même rythme que son empreinte économique. Ses besoins sont croissants : Elle est de loin le premier client des exportations d’hydrocarbures du Moyen-Orient. Ceux des Etats-Unis, au contraire, s’amenuisent : Leurs besoins d'importer diminuent à mesure que le pays s'oriente vers l'indépendance énergétique.

Un voyage très attendu à Moscou concernant la guerre en Ukraine

La Chine est pour l’instant perçue par les pays de la zone comme un acteur neutre, non belliqueux. En cela son jeu fonctionne, mais il pourrait être mis à mal par un soutien trop affiché à la partie russe dans le conflit en Ukraine.

Xi Jinping est arrivé lundi matin à Moscou pour une visite d’Etat de trois jours, où la question de la guerre en Ukraine sera évidemment abordée. Xi a déjà affirmé qu’il souhaitait que cette visite donne « un nouvel élan au développement sain et stable du partenariat stratégique global de coopération entre la Chine et la Russie », et a évoqué la guerre en Ukraine en expliquant qu’il n’y avait pas de solutions simples aux problèmes complexes. De son côté Vladimir Poutine a salué le « rôle constructif » de la Chine sur le conflit. Mais c’est toute la difficulté pour la Chine : savoir garder cette allié affaibli qui lui est plus que jamais dépendant, tout en condamnant le conflit.

Au final on retiendra surtout la signature de l’accord de coopération entre les deux pays comprenant l'accroissement des échanges commerciaux, énergie comprise, puisque le premier client en pétrole de la Russie est la Chine et l'utilisation des devises russes et chinoises pour les règlements, double pied de nez aux Etats-Unis. Or, cette visite de trois jours tombe au moment où le président Zelensky s’est dit prêt à poursuivre des négociations en lien avec les autorités chinoises. Il est difficile de prévoir la teneur de l’entretien qui aura lieu avec Volodymyr Zelensky et jusqu'où ira le rôle de la Chine comme "gendarme du monde" mais ce qui est certain, c'est que les décisions diplomatiques de l'Empire du milieu coïncident avec ses intérêts géopolitiques. Construire progressivement des alliances avec un nombre grandissant de pays pourrait suffire à gagner la lutte d'influence contre Washington dans des zones "oubliées" par les Etats-Unis déclinants.

 

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