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Il était une fois... Happy Valley

Histoire Happy ValleyHistoire Happy Valley
Écrit par Didier Pujol
Publié le 22 janvier 2020, mis à jour le 23 janvier 2020

Happy Valley est un quartier atypique puisque occupé en premier lieu par des cimetières et un champ de courses. Aujourd'hui, nos compatriotes y ont pour beaucoup élu domicile, en partie à cause de l'esprit de village et du LFI à proximité, mais en connaissent-il l'histoire?

Le royaume des morts

Le nom Happy Valley est un trait d'humour noir car ce terme désigne les cimetières pour les Britanniques. Il vient de ce que dans les années 1840, de nombreux soldats sont y morts de malaria. Par la suite, Portugais, Indiens et Chinois ont aussi fait un lieu de sépultures. Le nom initial, Wong Nai Chung (黃泥涌), la "rivière jaune et boueuse", aurait pourtant du éveiller l'attention sur les risques sanitaires encourus! La fameuse rivière fut détournée vers ce qui est devenu Canal Street, précisément.

Lors de ma visite de Hong Kong Cemetery (autrefois Colonial Cemetery), où sont regroupés militaires et protestants, j'y ai trouvé la tombe de Karl Gützlaff (1803-1851), un missionnaire allemand qui a suivi William Jardine, lorsque celui-ci faisait rentrer illégalement de l'opium en Chine. Servant alors d'interprète auprès des populations locales, il en profitait pour procéder à des conversions à la foi chrétienne. William Jardine avait reçu de la part des Chinois le surnom de "Vieux rat tête-de-fer" et celui de "Prince des marchands" par les autres nationalités et est passé à la postérité en déclenchant la Guerre de l'Opium qui mit la Chine à genou pendant un siècle! Quant à Gützlaff, sa réputation d'évangélisateur fut ternie par un scandale lorsque les missionnaires qu'il avait nommé détournèrent à leur profit les donations, en fournissant de faux rapports de conversion. Ceci n'empécha pas en 1907 les missionnaires Français de Shanghai de nommer le sémaphore sur le Bund indiquant la météo aux bateaux ammarés sur le Huangpu, la colonne Gützlaff.

 

Histoire Happy Valley
Gützlaff, un missionnaire très pragmatique

 

D'autres personnages célèbres sont enterrés à Happy Valley comme Paul Chater (1846-1926), cet homme d'affaires arménien dont le nom désigne la place principale du quartier colonial. Une autre sommité est Sir Robert Hotung (1852-1956), le premier Chinois métis à accéder au poste de chef comprador au sein des établissements Jardine. Ses contributions philanthropiques sont immenses, que ce soit comme membre du conseil d'administration de l'hopital Tong Hwa ou comme fondateur du Chinese Club, qui voulait apporter une réponse à la politique ségrégationiste du Hong Kong Club. Enfin, citons un autre hongkongais célébre, Doradjee Naorojee (1852-1898), fondateur en 1888 des Star Ferries qui font encore la navette dans le port de Hong Kong. Il repose dans le cimetière Parsee, juste au Sud du Hong Kong Cemetary.

 

Le royaume des chevaux

Le champ de courses de Happy Valley voit le jour en 1846, l'endroit étant à cette époque le seul possible pour cette activité, la politique des "land reclamations" n'ayant pas encore démarré. Celui-ci se trouve en tout point similiaire à celui de Shanghai (People Square), qui ne sera ouvert que quatre ans plus tard. En son centre, on trouvera au fil du temps d'autres activités sportives, jeux de balles et terrains d'entrainement et tous deux jouent très vite le rôle d'un poumon vert au milieu d'un tissu urbain dense. Dès le début également, les écuries et propriétaires font le déplacement d'une ville à l'autre. Ainsi en 1910, un observateur note que l'écurie qui domine les courses de Shanghai est celle de Jardine. Paul Chater est, quant à lui, aussi membre du Shanghai Race Club. Venu de Shanghai, en revanche, le tycoon Suédois Eric Moller, se distingue en gagnant le Hong Kong Derby de 1938 avec son cheval "Silkylight".Je n'ai pas vérifié si Victor Sassoon, autre grand amateur de courses, s'est rendu à Happy Valley comme il le faisait souvent à Pune, en Inde, mais c'est fort probable, sachant qu'il s'est souvent opposé aux chevaux d'Eric Moller.

 

Histoire Happy Valley
Le champ de course de Happy Valley de nos jours

 

Le 26 Février 1918, un incendie dans l'un des stands de Happy Valley causera la mort de 614 personnes, principalement des Chinois. Cet événement nous renseigne sur l'engouement dont font preuve les Chinois pour les courses. Ce sont souvent des petits parieurs mais l'essentiel des revenus des champs de courses repose sur eux. Ainsi à Shanghai, c'est 90% des recettes qui proviennent des Chinois. Or en 1918, c'est sur une estrade temporaire en bambou et non dans le grand stand que la plupart assistent à l'événement. La conséquence de cette installation se révélera dramatique.

 

Paris truqués

A Shanghai, les Chinois se voient purement et simplement interdire l'accès au champ de course en dehors de derbies, règle qui ne s'applique ni aux noirs, ni aux Indiens. Les jours de course, c'est debout qu'ils encouragent leurs jockeys préférés. Autant dire qu'en 1949, les communistes mettront fin aux courses de chevaux, devenues un symbole de l'ordre colonial, ce qui ne sera évidemment pas le cas à Hong Kong. Avec la main-mise des gangs sur Shanghai dans les années 1930, bon nombre d'histoires font état de paris truqués. Ainsi, l'inspecteur Joseph Shieh de la Concession Française, rapporte-t-il dans ses mémoires: A partir de 1932,[...], je m'étais lié d'amitié avec le chef des jockeys, qu'on appelait "Captain" et lorsqu'il m'apercevait il s'approchait en murmurant: "Jouez sur le 9!""Mais c'est un canasson", lui disais-je."Non, on l'a dopé ce matin..."Effectivement, le 9 gagnait et j'empochais 6000 ou 7000 yuans.[...]. A l'époque, on pouvait s'acheter une voiture importée pour 2000 yuan, c'est dire si les sommes étaient considérables.

Rien ne prouve que les triades de Hong Kong aient été impliquées dans des courses arrangées mais c'est le cas dans de nombreux autres sports dans le monde. Le biopic "Chasing the Dragon" sur le seigneur de la drogue hongkongais Ng Sik-ho montre le personnage principal acheter tous les jockeys d'une course pour faire gagner son cheval. Récemment, la découverte d'un dispositif avec tubes et fléchettes dans la pelouse de Happy Valley a aussi relancé les soupçons sur les triades. En attendant, le Hong Kong Jockey Club contribue à financer de nombreux établissements publics.

 

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Le 120 Blue Pool Road

 

Crimes de guerre

Enfin, comment évoquer Happy Valley, qui n'a décidément rien de joyeux, sans l'épisode de la conquête de Hong Kong par les Japonais fin 1941. Lors du mois de décembre, l'assaut était donné sur l'île de Hong Kong et commence alors une série d'actes de barbarie. Les envahisseurs ne font pas de prisonniers parmi les défenseurs de la première heure, allant jusqu'à exécuter à la baïonnette les civils dans les hôpitaux. C'est dans cet état d'esprit qu'à lieu l'attaque sur Wong Nai Chung Gap, voie d'accès stratégique vers le sud de l'île. La route empruntée est alors Blue Pool Road, dont une villa cossue, au 120, encore visible et habitée de nos jours, sera le site d'un massacre. Propriété d'un riche commerçant hongkongais que les Japonais soupçonnent de cacher des soldats, la famille entière ainsi que le personnel de maison sera éxécuté sommairement dans la cour. Dans les environs aussi, des prisonniers seront laissés agoniser au fond d'un puit. L'assaut sur la passe de Blue Pool fera des centaines de victimes dans les rangs des canadiens qui résisteront avec acharnement.

 

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