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Hong Kong, entre gentrification et projets urbains

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Le quartier de To Kwa Wan, qui changera prochainement de visage.
Écrit par Alliance Française à Hong Kong
Publié le 10 mars 2021, mis à jour le 21 avril 2024

D’après le Larousse, la gentrification est la "tendance à l’embourgeoisement d’un quartier populaire." En résumé, lorsqu’une zone devient prisée, celle-ci subit une augmentation des prix immobiliers, finit par se développer économiquement et voit ses habitudes de consommation changer, avec pour conséquence, la migration de la population moins aisée qui y réside.  

Article rédigé par Karine Yoakim Pasquier en partenariat avec le magazine Paroles

Hong Kong n’y coupe pas. Des quartiers autrefois très populaires et délaissés se transforment progressivement. C’est le cas de Sheung Wan, qui s’est peu à peu gentrifié, avec l’arrivée de jeunes couples, séduits par la proximité avec Central, lui donnant un aspect bigarré, mêlant échoppes de fruits de mer séchés, officines de médecine chinoise, galeries d’art et cafés en vogue.

En octobre 2020, le magazine Time Out a désigné Sham Shui Po comme l’un des 40 quartiers les plus branchés du monde, aux côtés du centre-ville de Los Angeles, de l’Esquerra de l’Eixample de Barcelone ou du Haut-Marais de Paris. Mais si ce phénomène accélère l’ouverture de commerces, elle n’est pas sans danger pour les populations moins fortunées…

La gentrification à Hong Kong

Si, dans la majorité des grandes villes, la gentrification se fait spontanément, avec l’arrivée d’entreprises, l’amélioration du système de transport, ou tout simplement l’image de ces quartiers qui évolue,  à Hong Kong, la situation est plus complexe et n’est pas toujours liée à la démocratisation naturelle d’une zone. Souvent, un quartier change à la suite des projets de l'Urban Renewal Authority (URA), un organisme statutaire à but lucratif "chargé d'entreprendre, d'encourager, de promouvoir et de faciliter la rénovation urbaine de Hong Kong, en vue de résoudre le problème de la dégradation urbaine et d'améliorer les conditions de vie des résidents des quartiers." (Source: https://www.ura.org.hk/en/about-ura) Pour y parvenir, de grandes zones citadines sont fermées, avant d’être détruites et reconstruites selon un plan plus moderne.

Pour mieux comprendre le phénomène, je pars à la rencontre de Gloria Wing-yee Chaung, anthropologue à la Chinese University de Hong Kong, qui me donne rendez-vous à To Kwa Wan, une zone résidentielle et commerciale située entre Whampoa et Kai Tak. La jeune femme est chercheuse, spécialiste des conséquences du réaménagement urbain sur la vie communautaire et ses habitants. Pour me permettre de voir ce qu’est un projet de l’URA, elle m’emmène vers un bloc d’immeubles aux couleurs pimpantes et au charme désuet. Le quartier garde encore les traces de la proximité de l’ancien aéroport: les édifices sont bas, 10 étages tout au plus. Mais en s’approchant on remarque que la ville est fantôme, abandonnée. Les échoppes donnant sur la chaussée sont toutes fermées, les fenêtres, calfeutrées, les bâtiments, en ruines. Entre fils électriques, boîtes aux lettres remplies de paperasse, taches d’humidité et délabrement, c’est un sentiment étrange qui règne dans les rues. Sur chaque porte, chaque rideau de fer, une affiche en anglais et en chinois, indiquant que le secteur sera détruit, est placardée. En effet, dans quelques temps, à la place de ces immeubles typiques du vieux Hong Kong, se dressera un complexe moderne, avec centres commerciaux et appartements résidentiels de luxe.

 

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Photo@nyoakim

 

Gloria m’explique le fonctionnement de ces projets: lorsqu’un quartier est touché, les habitants, commerçants et propriétaires sont avertis plusieurs mois à l’avance. L’URA fait du porte-à-porte pour recenser les personnes vivant dans la zone. Ceux-ci, selon leur statut, recevront ensuite une compensation financière destinée à les aider à se reloger, ou la possibilité de s’inscrire sur les listes des Public Housing, (logements sociaux) mais ces subventions ne suffiront pas toujours, et la totalité des foyers devront déménager.

Alors que nous passons dans les arrière-cours qui servaient autrefois de zone de stockage ou d’usinage pour les boutiques dans la rue, je lève les yeux sur un bâtiment neuf qui fait face. Gloria me dit: "La gentrification, ce n’est pas le contraste entre le vieux et le moderne. C’est surtout le bouleversement des habitudes de vie qui en résultent."

Conséquences de la gentrification

Souvent considérée favorablement, la gentrification a en effet des conséquences positives: réhabilitation de logements insalubres, diminution des logements inoccupés, baisse de la criminalité, relance de l’économie, etc.

Si, dans le quartier de To Kwa Wan, l’idée semble bonne, le projet prévoyant la construction de milliers d’appartements, d’un espace piéton, de zones commerciales et de plusieurs centaines de place de stationnement, l’URA est pourtant critiqué, puisqu’ayant déjà démoli un grand nombre de sites représentatifs de l’histoire de Hong Kong.

 

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Photo@nyoakim

 

Comme me l’explique Ling, une jeune femme travaillant pour une association du quartier, la destruction du secteur a de sérieuses conséquences sur la population qui y vit, ainsi que sur son activité économique, puisque l'indemnisation offerte aux résidents et aux commerçants déplacés est rarement suffisante pour leur permettre de rester dans le district concerné. "Si la situation est un peu plus facile pour certains habitants qui vont pouvoir postuler pour accéder aux Public Housing, c’est pour les commerçants que c’est difficile. La plupart des magasins touchés ne vont pas pouvoir rouvrir, me dit-elle. Certains étaient des business familiaux de plus de 70 ans… C’est particulièrement compliqué pour les commerçants qui ont dans la cinquantaine. Ils vont devoir prendre une préretraite."

Le quartier de To Kwa Wan était initialement occupé par des garagistes, dont on voit toujours les vestiges le long des immeubles, ainsi que par un petit nombre de manufactures de sacs à main, quelques caa caan teng ou encore une fabrique de tofu. Dans l’obligation de déménager, ces commerces perdront leurs clients. Les habitants perdront leurs habitudes et l’âme du quartier changera inexorablement. Ils seront peu à peu remplacés par des boutiques modernes plus adaptées à la nouvelle population installée.

To Kwan Wan, un vestige de l’histoire de Hong Kong

Nommé en l’honneur des patates douces autrefois cultivées dans les environs par les Hakkas, To Kwa Wan a pris son essor dans les années 20, avec le développement du dépôt de bétail, Ex-Ma Tau Kok Animal Quarantine Depot (connu aujourd’hui sous le nom de Cattle Depot et transformé en atelier d’artistes). Tandis que le nord était utilisé de manière industrielle, au sud se mêlaient espaces résidentiels et industries plus légères. 

Les années 60-70 furent considérées comme l’âge d’or de To Kwa Wan, avec la création de nombreuses entreprises familiales, dans des domaines variés tels que l’impression, la fabrication de vêtements, de jouets, de composants divers, etc. Pendant ce temps, les usines situées près de Hung Hom ont poussé à la croissance la population du quartier, amenant avec elle l’ouverture de restaurants, de cinémas, de salons de coiffure, de marchés ou encore de clubs de danse.

 

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Le quartier de To Kwa Wan aujourd'hui - Photo@nyoakim

 

À partir des années 80-90, le dépôt de bétail fut  transformé en abattoir et en lieu de quarantaine pour les animaux, conduisant les industries connexes au déclin, et la région à se modifier. Les cinémas et les discothèques ont fermé. Puis, en 2010, à Ma Tau Wai, l’effondrement d’un bâtiment entraînant la mort de 4 personnes a poussé les entrepreneurs à accélérer la modernisation de la zone.

Avec le développement de la ligne de métro et les divers projets de rénovation urbaine, To Kwa Wan finira par changer.

Le projet de la Lee Tung Street, à Wan Chai

Sur l’île de Hong Kong, au cœur de Wan Chai, à quelques pas de la station de métro, se dresse l’avenue Lee Tung, avec ses pavés, ses façades un peu surfaites et ses décorations changeantes au fil des saisons. Si depuis 2015, l’allée est un complexe luxueux, avec magasins chics et appartements modernes juste au-dessus, il était jusqu’alors composé de cinquante-quatre bâtiments, et était peuplé par de nombreux imprimeurs, proposant cartes de vœux, faire-part de mariage ou lai-see personnalisés. 

Bien qu’aujourd’hui, dans le quartier, on puisse encore trouver une poignée de magasins proposant ce genre de produits, les imprimeurs et éditeurs qui vivaient et commerçaient à Wan Chai ont dû quitter le district en raison de la hausse des prix de l'immobilier.

 

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La Lee Tung Avenue à Wan Chai - Photo personnelle

 

Comme le confirme une étude menée par Lai Han Kong, pour le département des sciences sociales de l’Education University of Hong Kong (Urban Renewal and Gentrification in Hong Kong: A Case Study of the Wan Chai District – 2018), les projets de l’URA et la gentrification sont étroitement liés. Pour le cas de Wan Chai, le projet de renouvellement de la Lee Tung Avenue par l’URA a créé une forte augmentation du prix de l’immobilier, contraignant ainsi la communauté locale à partir. L’arrivée dans le district d’une nouvelle population de classe moyenne a poussé à la hausse le coût de la vie et a altéré la cohésion entre les habitants.

Le problème principal, me dit Gloria, est le manque de communication entre les résidents et l’URA: "Dans la plupart des cas, les besoins des résidents ou des commerçants ne sont pas vraiment écoutés ou pris en compte par l'Autorité de Rénovation Urbaine".

De nombreux projets passés et en cours

A l’heure actuelle, l’URA a déjà finalisé de nombreux projets. On citera entre autres, The Center à Central, le Grand Millennium Plaza et la Cosco Tower à Sheung Wan, le Langham Place à Mong Kok, The Masterpiece à Tsim Sha Tsui ou la restructuration du centre-ville de Tsuen Wan en 2007, etc.

Mais d’autres études sont en cours, comme le réaménagement du centre-ville de Kwun Tong, ou encore divers projets dans les quartiers de Tai Kok Tsui, Kowloon City, Sham Shui Po, etc.

La ville change. Son visage se transforme. Les quartiers se modernisent et leurs communautés vont évoluer et faire des choix pour se reconstruire.

 

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