Aujourd’hui, Hollywood Road est connue pour ses bars et boutiques branchées. Il fut un temps où l'on venait chercher bien autre chose dans les rues de Sheung Wan. Voici l'histoire mouvementée de ce quartier.
Le quartier des origines
Le nom de Sheung Wan (Upper district en cantonais) donne une indication sur les origines de ce quartier. C’est en effet à cet endroit surélevé que les Anglais ont planté leur drapeau pour prendre possession de l’île de Hong Kong le 25 janvier 1841, le pavillon étant bien visible du port de Victoria Harbour.
L'extension sur laquelle se trouve le Western Market n’existait pas encore. Aussi, lorsque la colonie a commencé à se développer, c’est sur ce promontoire que se sont installés les premiers migrants. Venus pour l’essentiel de Canton pour tenter leur chance dans ce nouveau port, les nombreux Pawn Shops du quartier attestent encore de l’arrivée de ces commerçants qui devaient souvent mettre en gage leurs biens contre un pécule permettant d’ouvrir leur boutique.
Dès le début, les zones de Tai Ping Shan (montagne de la paix littéralement) et de Possession Street abritent des maisons closes. Des officines au rabais se situent dans Fung Sin Lau, Wui Sin Lau ou Tsui Lok Lau, d'autres plus célèbres sur Hollywood Road (Kwan Sau Tong) et Possession Street (Kee Fa Jai) non loin du temple de Man Mo. Les conditions d’hygiène y sont alors si déplorables qu‘on décide de construire à proximité le Lock Hospital spécialisé dans les maladies vénériennes en 1861.
En Septembre 1874, un typhon fait de gros dégâts à Sheung Wan et de nombreux bâtiments de mauvaise qualité s’écroulent. Un glissement de terrain engloutit Tai Ping Shan si bien que les clients d'une maison de plaisir, dans May Heung Lau, se retrouvent pris au piège entre le vent meurtrier et la montagne de boue... ils ne devront leur salut qu’à leur fuite in extremis enroulés dans les tapis et couvertures de l’établissement!
La peste à Sheung Wan
Le typhon de 1874 n’est qu’un intermède avant le véritable fléau qui va ravager Sheung Wan. En effet, la surpopulation couplée à l’arrivée fréquente de migrants du Sud de la Chine va favoriser l'éclosion d'une épidémie de peste bubonique à partir de mai 1894. Les autorités britanniques sont prises de cours par cette épidémie qui ne tarde pas à faire 24.000 victimes avec des pics de 80 décès par jour. Elles vont alors procéder à la destruction des maisons insalubres du quartier et en particulier sur Tai Ping Shan, pour circonscrire la propagation de la maladie.
C’est un bactériologiste Français d’origine Suisse du nom d’Alexandre Yersin qui isolera pour la première fois à Sheung Wan le bacille de la peste, dans des conditions pour le moins surprenantes puisque les équipes officiellement mandatées du Japonais Shibasaburo Kitasato ne sont parvenues à aucun résultat. Alors que celles-ci disposent de réfrigérateurs, Yersin, au contraire, travaille dans une paillote non conditionnée. La chaleur ne tarde pas à produire ses effets sur les cultures de bubons et il peut enfin écrire à sa mère fin juin 1894 que ses recherches sont un succès. La peste continuera pourtant à faire des victimes jusqu'en 1929, soit près de trente ans après son déclenchement!
C’est de cette période que datent les normes de construction imposant une allée derrière chaque bâtiment, l'interdiction de bâtir plus de quatre étages et l'obligation de vérandas ouvertes pour favoriser la circulation d'air. Ces règles resteront en vigueur de 1901 à 1955. La situation a bien changé aujourd’hui quand le moindre projet comporte 30 étages!
En 1913, on voit aussi apparaître à chaque carrefour de drôles de boites numérotées permettant d’y déposer les rats morts. Ce système permet aux services sanitaires de détecter les nouveaux foyers infectieux pour ordonner une quarantaine. De là nous est parvenue une expression cantonaise imagée: “une boîte à rat sur un lampadaire” (dindang caam gwaa lousyu soeng) qui désigne un couple mal assorti dont le monsieur serait petit, gros et probablement riche, au bras d’une dame belle et élancée.
Médecine chinoise
Sheung Wan reste aujourd’hui marqué par cette période sombre et l’on y trouve encore de nombreux magasins vendant cercueils et offrandes en tout genre pour les défunts. C’est aussi l’un des endroits de la ville où la concentration des temples est la plus forte, la seule rue Tai Ping Shan en comptant quatre. Les cultes sont très variés, comme au temple Shui Yuet, au numéro 7 où est célébrée la déesse de la miséricorde, dans un curieux mélange de guanyin chinoise et de bodhisattva indienne aux mille bras. Il faut dire que la rue des Lascars, cette ethnie indienne ayant fourni des marins aux bateaux anglais n'est pas loin! Au temple Tai Shui, situé au 9, on honore les 60 généraux célestes tandis qu'au 40, c'est Kshitigarbha Buddha, le roi des morts qui est vénéré. Tout ce décorum constitue un véritable marché de la mort et des esprits!
Pour éviter d'en arriver là, les Chinois ont depuis longtemps recours à une médecine préventive à base d’aliments consommés en soupes ou décoctions, chaque produit étant supposé stimuler un organe particulier. Aussi vend-on depuis bien longtemps à Sheung Wan tout ce que la pharmacopée chinoise comporte de produits exotiques. Ce sont encore une fois les Cantonais qui ont apporté cette activité (le marché de la médecine est encore présent à quelques rues de l’île de Shamian à Canton). Les premiers habitants étant désargentés, on a longtemps vendu à Sheung Wan des produits de mer locaux déshydratés bon marché.
Ce n’est que depuis que les revenus ont augmenté, après la seconde guerre mondiale, que les importations de bizarreries telles que corne de cerf (pour la virilité) et autres champignons noirs ont commencé à l'être en grande quantité, Sheung Wan devenant alors l’un des hubs mondiaux des produits séchés. Notons que si un kilo de champignons noirs se négocie 1.000 HK$, déjà une petite fortune, on trouve aussi à Sheung Wan une moisissure venue du Tibet, le cordyceps fungus, vendue à 267.000 HK$ le kilo, ce produit étant censé ralentir la progression des cellules cancéreuses.
Greenpeace a récemment attiré l’attention sur le fait que l’on trouvait à Sheung Wan des espèces interdites à la vente et à l'exportation comme le totoaba, un poisson du Golfe du Mexique dont le commerce des vessies séchées rapporterait aux trafiquants plus que celui de la cocaïne! En tout, ce pourraient être une dizaine d'enseignes qui se livreraient à Sheung Wan au commerce illégal d'espèces protégées!