Alphonse Allais le disait bien avec humour : "Il faudrait mettre les villes à la campagne". Et si c'était déjà le cas à Hong Kong. Si l'image stéréotypée du Port des Parfums cachait une essence beaucoup plus rurale qu'il n'y parait. Plongée dans un Hong Kong insolite, celui des rizières et des champs de fruits.
Aux racines de Hong Kong, à la campagne
On a fini par s'habituer à l'image d'un Hong Kong urbain, sorte de quartier des affaires au bord de l'eau, alimentée par le succès économique de la ville et de son quartier des banques, Central. Or, il fût un temps où certaines plaines et collines de Hong Kong, encore vierges de constructions, ressemblaient plus à celles de Vietnam ou du Yunnan qu’à celles de la mégapole que nous connaissons.
Aujourd'hui encore, lorsque vous vous promenez à Lantau ou à Sai Kung, il n’est pas rare que vous croisiez des troupeaux de vaches circulant librement sur la route. Cette scène, surprenante au premier abord, s’explique par la présence dans ces lieux, il y a encore quelques décennies, d’animaux de trait utilisés pour cultiver les champs de riz des Nouveaux Territoires.
Parmi eux, les buffles d’eau, sont attestés depuis le début du 19ème siècle. Nombreuses sont à ce titre les vieilles photos mettant en scène des paysans labourant un champ avec leur buffle ou battant le riz dans des grands paniers d’osier, que ce soit à Sha Tin ou à Yuen Long.
Agriculture extensive à Hong Kong
Jusqu’à la fin des années 1960, l’agriculture et la culture rurale tenaient encore une place importante à Hong Kong. Venus à la fin du 18ème siècle réinvestir les terres laissées en jachère par l'Empire Chinois, longtemps désireux de maintenir la zone côtière inhabitée pour des raisons militaires, les Hakkas se sont installés dans les Nouveaux Territoires. Ces paysans de tradition ont parfois bénéficié du soutien de missionnaires étrangers comme à Yim Tin Tsai. Dans les années 1950s, l’afflux des réfugiés chinois, pour beaucoup issus de la paysannerie, viendra compléter les populations des campagnes.
Il valait mieux en effet à l’époque avoir un lopin à cultiver loin du centre ville que de croupir dans les taudis au-dessus de Wan Chai (voir l'épisode du glissement de terrain dans le film Suzie Wong) ou à Shek Kip Mei, dont le terrible incendie du 25 Décembre 1953 a laissé près de 53.000 sans abris. Parmi les réfugiés, les anciennes troupes du Kuomintang occupaient une place bien particulière puisque la sédentarisation de communautés autogérées comme celle de Rennie’s Mills, englobée aujourd’hui dans la ville nouvelle de Tseung Kwan O, permettait d'une certaine manière de limiter la contagion chinoise nationaliste en ville.
Le pique-nique des coloniaux
Parmi les souvenirs souvent évoqués par les gweilos des années 1960, figurent les promenades dominicales en famille dans les Nouveaux Territoires pour profiter de l’air frais. On allait alors faire des pique-niques ou bien déjeuner dans l'un des deux restaurants à la mode sur les hauteurs de Shatin: Yucca De Lac ou Shatin Heights Hotel, où l'on goûtait une ambiance proche de celle de la Suisse des bords du Lac Leman, la mer entrant alors profondément dans la vallée.
L’île de Hong Kong avait, elle aussi, sa face campagne puisque les pentes de Pok Fu Lam, déjà cultivées depuis plusieurs siècles, accueillaient jusqu'en 1983 des vaches dont on le lait était destiné à la consommation de la colonie. Le bâtiment sur Ice House Street qui abrite désormais le Foreign Correspondant Club était précisément l'entrepôt de cette entreprise, Dairy Farm, devenue entre-temps un géant mondial de l'agro-alimentaire. Sur l'île de Lantau, le monastère situé au Sud de Discovery Bay entretenait également un cheptel de vaches laitières pour les besoins des trappistes.
Où (re)trouver la campagne à Hong Kong?
Le temps des rizières et des animaux de trait est logiquement révolu. Lors du boom industriel de la fin des années 1960, les communautés rurales ont perdu de leur attrait, les terrains plats étant choisis en priorité pour accueillir villes nouvelles et projets industriels. L’accès aux transports devenant primordial pour se rendre dans les lieux d’emploi, les îles et secteurs reculés sont progressivement délaissés. Les propriétaires de vaches et buffles d’eau les ont tout simplement abandonnés, les rendant de fait à la vie sauvage.
Il reste 120 buffles sur Hong Kong dont les deux-tiers à Lantau, leur nombre étant limité pour éviter les problèmes de cohabitation avec l'homme. Pourtant, même si les bovins ne croissent plus, les constructions ne s’arrêtent pas, menaçant cette biodiversité fruit d'une histoire unique.
A Yi O, au sud de Tai O, on a récemment relancé la culture expérimentale du riz et les villages abandonnés de la baie de Sai Kung sont aujourd'hui reconvertis en attraction. Cependant, pour les amoureux de nature et d'authenticité, les randonnées dans les Nouveaux Territoires permettent encore de traverser de nombreuses communautés paysannes, bananiers et arbres fruitiers divers ayant la plupart du temps remplacé les rizières. De même, les hauteurs des îles comme Lamma ou Chengchau recèlent leur lots de jardins et de potagers tropicaux. Quant à Lantau, vous y trouverez de larges espaces, vallons, flancs de collines dédiés à l'agriculture à tel point que vous repartirez souvent de vos escapades avec le résultats des ventes locales de produits frais, issus de marchés locaux ou de fermes biologiques comme à Mui Wo et la Ferme de Winnie.