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François Drémeaux raconte l'histoire de la France à Hong Kong

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Écrit par Didier Pujol
Publié le 6 septembre 2022, mis à jour le 6 septembre 2022

A l'occasion de la publication d'un nouvel ouvrage sur les Français à Hong Kong intitulé "La France et les Français à Hong Kong (1918-1941)", nous avons interrogé l'historien François Drémeaux sur sa passion pour le Port des Parfums. Rencontre avec un amoureux de l'Histoire et des histoires.

"Ce livre questionne les racines qui unissent les Français à Hong Kong"

Vous publiez un nouvel ouvrage sur Hong Kong pourriez-vous nous en parler ?

Presque tout est dans le titre, c’est l’histoire de la France et des Français à Hong Kong dans l’entre-deux-guerres ! Il s’agit de ma thèse de doctorat, soutenue en 2016, remaniée et réagencée de manière à être accessible au grand public, tout en conservant l’exigence académique. C’est un exercice de réécriture en équilibre très intéressant, qui m’a également permis de prendre un peu de recul par rapport au sujet.

L’idée première était d’étudier les Français expatriés en dehors de leur empire, et par extension de commencer un projet autour de la notion de Français de l’étranger. Pour cela, j’avais besoin d’un « laboratoire », c’est-à-dire un territoire de taille modeste et d’une période relativement courte avec des ruptures nettes. Hong Kong dans l’entre-deux-guerres s’est révélé être le terrain de jeu idéal !

J’ai pris le parti d’un plan « en entonnoir » qui part de la présence officielle (consulaire, diplomatique) avec ses ramifications vers l’Union indochinoise et la Chine, pour ensuite se concentrer sur d’autres présences qui gravitent autour du pouvoir : le commerce, la finance, les transports et la religion. Tout ceci forme le bouquet de la présence française, la partie que l’on voit et dont on fait la promotion. La France, c’est aussi une présence désincarnée et parfois immatérielle, via ses produits, ses idées ou les représentations que l’on s’en fait selon que l’on est Britannique ou Chinois.

Et puis, les derniers chapitres plongent vers l’intime, vers les racines de ce bouquet ! Il est question de présences éphémères ou marginales. Ce sont les très nombreux malandrins qui arpentent l’Asie orientale en quête de bonnes affaires, ou les prostituées françaises qui sont nombreuses à Hong Kong. Autant de présences que l’on souhaite cacher et qui se révèlent plus difficilement dans les archives. Il est aussi question de présences que l’on juge insignifiantes, les femmes et les enfants… et qui ont pourtant une expérience à part entière de la vie à l’étranger.

Toutes ces présences se resserrent et se rassemblent autour de la notion de présence française et, surtout, de Français de l’étranger. Est-ce un concept pertinent au temps de l’impérialisme ? Y’a-t-il une identité propre à ces Français ? Qu’est-ce qui les rassemblent ? Pour le savoir, il faut lire le livre !

 

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"Hong Kong a toujours été une ville-monde innovante"

Vous êtes historien et développez un intérêt tout particulier pour Hong Kong. Pourquoi ?

C’est d’abord une histoire personnelle, il faut bien l’admettre ! Je suis arrivé à Hong Kong en 2007 et je suis immédiatement tombé amoureux du territoire. J’ai passé onze années absolument formidables ici… J’ai l’impression que Hong Kong m’a tellement donné qu’il fallait bien que je lui rende la pareille d’une manière ou d’une autre, même modestement !

À mon arrivée, je cherchais un sujet de thèse et il s’est imposé comme une évidence lorsque nous avons commencé à travailler sur l’ouvrage Hong Kong, présences françaises. Le territoire était la chasse gardée des historiens britanniques et les Français s’en désintéressaient. Pourtant, les liens entre ce territoire et la France sont beaucoup plus importants qu’on ne l’imagine. C’est la base arrière pour partir à la conquête des marchés chinois et des âmes orientales, selon que l’on est commerçant ou missionnaire ! Hong Kong est absolument nécessaire à la respiration économique de l’Indochine française du début à la fin de l’expérience coloniale.

D’ailleurs, j’ai un article en préparation qui s’intitule « À la recherche du Hong Kong français » et qui parle de l’obsession des Français, des années 1860 aux années 1930, pour créer un équivalent de Hong Kong. La colonie britannique est alors un modèle dont certains principes sont copiés par les Français. Tout cela pour dire qu’il y avait un double vide historiographique à combler : celui au sujet des Français de l’étranger, et celui au sujet de la France à Hong Kong. J’espère avoir fait d’une pierre deux coups…

Du point de vue de l’histoire hongkongaise, je crois qu’il est important d’insister sur le fait que ce territoire a été bien plus qu’une colonie britannique. Il est devenu l’emporium de l’Asie, une ville-monde innovante, une plate-forme globale qui, à bien des égards, a échappé au contrôle impérial. C’est ce qui rend ce territoire fascinant et presque unique au monde. Sans rien renier de l’immense influence britannique, Hong Kong a également été façonné par les apports de nombreuses minorités : Allemands, Parsis, Américains, Juifs, Indiens, etc. J’essaye donc d’apporter une pierre française à l’édifice…

 

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Photo@Lily Trinh

"Certains portraits de Français font écho à des histoires personnelles"

En quoi cet ouvrage se distingue-t-il de l'histoire générale des Français à Hong Kong que vous avez déjà réalisé ?

Hong Kong, présences françaises est une collection d’épisodes français. Piloter cet ouvrage a été une formidable aventure qui m’a permis de travailler avec Paul Clerc-Renaud, Gérard Henry, le regretté Alain Le Pichon et Christian Ramage. Chacun a apporté sa contribution selon sa spécialité, et j’ai essayé, sur un peu plus de 150 ans, de donner une homogénéité à l’ensemble. On papillonne d’un thème à l’autre, d’une période à l’autre, sur des formats d’articles assez courts. Surtout, nous avons pu bénéficier d’une iconographie très riche et en grande partie inédite.

Ce nouvel ouvrage correspond à une démarche différente (et plus académique !). Il s’agit de comprendre les mécanismes de ces présences françaises. Comment elles s’articulent, comment elles interagissent, comment elles se développent… Être Français est un dénominateur commun qui suscite le rapprochement à l’autre bout du monde. Il y a une forte interdépendance et une communauté d’intérêt à cette époque où chaque nation évolue en parallèle et en concurrence. Cela donne des associations plus ou moins heureuses !

Même lorsque le point de vue est institutionnel, j’ai voulu montrer que tout repose quand même sur des affinités (ou pas !). Lorsqu’une lettre envoyée en métropole met 30 jours à voyager et autant à revenir avec une réponse, il faut bien improviser sur place ! Il me paraissait donc important de conserver le récit de nombreuses trajectoires humaines qui traversent cette période. D’ailleurs, je suis persuadé que, malgré les 100 ans d’écart et les évolutions, certains Français et certaines Françaises de Hong Kong ne manqueront pas de retrouver l’écho de leur histoire personnelle dans quelques portraits…

Pour réussir ce pari, il fallait poser l’action sur une période courte et aller en profondeur. C’est-à-dire l’inverse du premier projet qui, malgré tout, m’a énormément aidé. En coordonnant Hong Kong, présences françaises, j’ai pu découvrir des sources originales et, surtout, être mis en relation avec des archives privées. Ma thèse s’est beaucoup nourrie de ces apports.

"Les Français Libres sont honorés au cimetière de Stanley"

Envisagez-vous une suite, par exemple, la période de l'occupation japonaise ou les années d'après-guerre ?

Il n’y aura pas de deuxième saison pour les trépidantes aventures des Français à Hong Kong ! D’autres prendront peut-être le relais. En Histoire, il est important de changer de sujet ou d’angle régulièrement, pour ne pas s’enfermer. J’ai pris le large en étudiant davantage la compagnie des Messageries Maritimes, ce qui m’a conduit à m’intéresser à l’histoire sociale de la marine marchande en France, et maintenant, je bifurque vers la santé à bord des paquebots… Mais Hong Kong n’est jamais loin. Dans mon nouveau projet, je compare les systèmes sanitaires sur les lignes transatlantiques, transindiennes et transpacifiques. Je reviens donc à Hong Kong par son port !

Ceci étant dit, j’ai encore de la matière à partager. J’ai récemment écrit un chapitre dans un ouvrage collectif à paraître début 2023, au sujet des Français de Hong Kong pendant l’occupation japonaise. Cette période me tient particulièrement à cœur, car je me suis longtemps impliqué localement dans le cadre du Souvenir français. Il me paraissait important de sortir de ma réserve d’historien pour parler du devoir de mémoire avec la communauté française qui est parfois éloignée de cette réalité – en particulier les élèves du lycée français. Le ciment qui unit une nation, c’est notamment un passé commun autour duquel on peut se retrouver et discuter. La cérémonie annuelle autour de la stèle des Français Libres, au cimetière militaire de Stanley, c’est une manière très concrète de réfléchir à certaines valeurs. Xavier Pech et Samuel Hureau continuent d’ailleurs à œuvrer pour le devoir de mémoire à Hong Kong !

"L'Histoire interroge le présent"

En quoi, selon vous, le passé de Hong Kong et en particulier les événements décrits dans votre ouvrage résonnent-ils encore aujourd'hui ?

Dans cette question repose l’essence même du travail de l’historien. Au-delà de la simple curiosité intellectuelle, on éclaire le passé pour comprendre le présent. Cela passe par des choses simples : pourquoi y’a-t-il un vieil avion français suspendu au plafond de l’aéroport à Hong Kong ? Car le premier survol du territoire est français… Et puis, il y a des phénomènes plus complexes. Par exemple, pourquoi la communauté catholique autochtone est-elle aujourd’hui si importante dans une ancienne colonie britannique ? Car les autorités coloniales ont laissé le soin aux missionnaires français et italiens de développer une grande partie des œuvres sociales. Les deux nations étant en concurrence, elles ont rivalisé d’énergie pour créer des initiatives qui pouvaient susciter des conversions. On pourrait multiplier les exemples pendant longtemps…

Il faut également être lucide sur le travail de l’historien. On peut choisir d’éclairer spécifiquement certaines zones du passé car le présent interroge ce sujet. Un exemple concret : je consacre une place particulière aux présences féminines, leur rôle dans la société coloniale, mondaine, interlope, etc. Elles sont très peu mentionnées dans les archives, et il y a encore vingt ans, ce thème n’aurait même pas été abordé. Il ne s’agit surtout pas de tordre le cou à la réalité et de donner aux femmes une place qui n’était pas la leur à l’époque, mais de montrer qu’elles participaient aux rouages de la société et que, parfois, elles brisaient les conventions. Le cas des mariages mixtes est éloquent.

Il ne faut pas se mentir, tous les historiens sont affectés par leur sensibilité personnelle et le contexte dans lequel ils vivent lorsqu’ils choisissent d’approfondir un sujet. Une partie de mon introduction vise notamment à démonter cette subjectivité. J’ai côtoyé une communauté française que je voulais comprendre, et j’ai vu dans Hong Kong un territoire mondialisé stimulant : ces deux aspects sont évidemment présents dans mon travail. Une fois que nous avons « élucidé les raisons de sa curiosité » comme dit l’historien Roger Chartier, on peut travailler avec plus d’objectivité.

Et puis, il y a une dimension plus politique que je ne contrôle pas forcément. Depuis quelques années, un récit officiel et encadré tend à nier l’identité hongkongaise – donc les particularismes culturels issus de son histoire –, un récit qui tend à montrer que Hong Kong a toujours été un territoire chinois malgré l’occupation britannique. C’est vrai en partie. Mais en insistant uniquement sur cet aspect, ce discours répond à la volonté d’intégrer Hong Kong dans la Greater Bay Area et plus largement dans le giron de la République populaire de Chine. C’est tout à fait logique de la part d’un État, quel qu’il soit…

L’historien est là pour montrer que la réalité est forcément plus complexe et subtile qu’un discours politique. Les vagues successives d’immigration venant de Chine continentale, à partir des années 1840 et jusqu’à récemment, ont formé des strates sociales avec des sensibilités et des expériences différentes. À cela s’ajoute quantités de minorités qui se sont installées à Hong Kong et ont fait souche. Sous l’autorité britannique, ces populations se sont peu à peu diluées dans quelque chose de différent qui n’était plus la Chine à proprement parler – si tant est qu’on puisse parler d’une Chine –, et qui n’est pas non plus une extension asiatique du Royaume-Uni. C’est une hybridation unique qui doit sa forme actuelle à son ouverture passée sur le monde, et les Français font partie de cette Histoire.

 

Le livre de François Drémeaux est disponible à la librairie Parenthèses

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