En Chine, une tendance étrange gagne les jeunes citadins : les “galets de compagnie”, des pierres ordinaires, personnalisées avec des yeux, des bouches et parfois même des vêtements miniatures, deviennent des compagnons de choix pour ceux qui cherchent à combler leur besoin affectif sans les contraintes d'un animal de compagnie traditionnel. Cette mode, bien qu’originale, n’est pourtant pas nouvelle, les tendances farfelues révélant l'épidémie sociétale de solitude sur les réseaux sociaux chinois.
Des compagnons sans contraintes
Les jeunes Chinois, sous pression économique et émotionnelle, trouvent dans ces galets une alternative sans contraintes aux animaux domestiques : “Pas de croquettes, pas de poils, ni de sorties sous la pluie”, explique un adepte sur le réseau social Xiaohongshu. Les pierres, bien que silencieuses, offrent une “présence” bienveillante qui, pour certains, se révèle apaisante. Un détenteur de galet confie : “On peut leur parler comme à un chien ou un chat, et ils satisfont nos besoins affectifs sans demander de soins réguliers.”
Ce rapport simple et sans responsabilité semble trouver un écho particulièrement fort chez des jeunes souvent surmenés par leur travail ou leurs études, et qui n’ont ni le temps ni les moyens d’entretenir un animal ou encore un enfant. Ce type de compagnon inerte se révèle adapté aux contraintes de leur quotidien. Des guides pratiques abondent sur Xiaohongshu et Douyin, détaillant les soins à prodiguer à son galet, comme un premier bain doux au savon et le brossage délicat à la brosse à dents pour garder un aspect soigné.
Le retour d’un phénomène rétro
L’idée d’un cailloux de compagnie est importée des États-Unis, où elle prend racine aux dans les années 1970. A cette époque,Gary Dahl, publicitaire californien, avait lancé le concept des “Pet Rock” – des cailloux vendus comme des animaux domestiques. Ces pierres, nichées dans de petites boîtes perforées, avaient connu un succès fulgurant avant de retomber aussi rapidement. Mais aujourd’hui, ce phénomène connaît une résurgence spectaculaire en Asie.
Cette résurgence des galets domestiques en Chine s’inscrit dans une tendance plus large de retour aux objets fétiches et insolites. En 2022, la marque Super Impulse a racheté les droits de “Pet Rock” aux États-Unis, relançant la pierre domestique sur des plateformes comme Amazon et eBay, où elle est vendue entre 4 et 29,99 dollars. En Corée du Sud, la popularité des “Pet Rock” a également bondi. Une imagination débridée et un besoin de réconfort
Des tendances récurrentes sur les réseaux
En Chine, cette fascination pour les objets de compagnie insolites ne se limite pas aux galets. Des étudiants fabriquent depuis 2022 des “chiens en carton” attachés à l’entrée des dortoirs, ou bien créent des “chiens-mangues” en coloriant les noyaux de mangues pour les transformer en animaux de compagnie miniatures. Ces “compagnons” improbables permettent aux jeunes de se créer un univers affectif propre, une forme de réconfort face aux pressions sociales.
Au Etats-Unis, le film "Les Minions 2 : Il était une fois Gru" a introduit le concept à une nouvelle génération, notamment avec une figurine Funko Pop d’Otto, le personnage jaune emblématique, portant un galet dans la poche de sa salopette.
Un marché autour des “galets de compagnie”
Cette passion pour les galets de compagnie ne se limite pas à un simple passe-temps. Cet automne, le marché de ces pierres d’ornement explose sur les sites de vente en ligne comme Taobao, où de nombreux commerçants enregistrent des chiffres d’affaires impressionnants. Les prix des galets de compagnie varient en moyenne entre 10 yuans (1,30 €) et 50 yuans (6,50 €).
Ce marché ne se limite pas aux galets eux-mêmes : certains kits complets, comprenant une pierre de 2 à 7 cm de diamètre, une carte d’identité, un guide d’entretien, un petit chapeau de paille, un nid en paille et des autocollants personnalisables, sont devenus particulièrement populaires. On peut également trouver des lunettes, du lait soin pour la pierre, du maquillage et des sacs de transport conçus pour emmener les pierres partout. Un vendeur explique ainsi qu’il réalise plus de 10 000 yuans (environ 1 300 €) de recettes par mois, ayant écoulé plus de 1 000 kits en seulement deux mois.
Une recherche d’équilibre émotionnel
Pour le psychothérapeute Shen Danming, cet engouement peut sembler absurde, mais il s’avère bénéfique : “Ces galets, silencieux et immobiles, sont une présence apaisante qui peut être particulièrement adaptée pour les jeunes, car elle ne nécessite pas d’engagement excessif.” Son collègue Wang Lan estime que les pierres symbolisent pour certains une projection de leur “for intérieur” : s’identifier à un objet immobile est, selon lui, une manière de trouver un équilibre émotionnel stable.
La popularité des galets de compagnie et des objets affectifs, qu’ils soient en pierre ou en carton, traduit une tendance de fond : dans un contexte économique difficile et capitaliste, où de nombreux jeunes peinent à trouver des emplois stables et à se loger, des objets simples remplissent ce besoin d’attachement sans contraintes supplémentaires. Les commentateurs chinois restent partagés face à cette tendance : certains dénoncent une forme de puérilité ou de fuite de la réalité, tandis que d’autres voient dans cette passion un moyen créatif pour les jeunes de prendre soin de leur santé mentale.
Malgré les avis contrastés, il est clair que le phénomène s’inscrit dans une période où la solitude urbaine s’accentue et où les jeunes cherchent des solutions pour se sentir accompagnés. Cette mode, même si elle semble éphémère, est symptomatique d’une évolution profonde dans la manière dont les jeunes perçoivent l’affection, le réconfort et les liens sociaux.
Que l’on trouve ces galets ridicules ou attendrissants, ils sont aujourd’hui bien plus que de simples cailloux. Pour leurs jeunes propriétaires, ce sont des compagnons, des objets affectifs qui reflètent les tensions de notre époque – et sans doute, un moyen ingénieux de s’offrir une pause dans une vie en quête de repères.