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De la contrebande au tourisme, la face cachée du village de Tai O

Tai o village de pecheurs hong kongTai o village de pecheurs hong kong
Maisons sur pilotis du village de Tai O
Écrit par Didier Pujol
Publié le 27 août 2023, mis à jour le 27 août 2023

Longtemps peuplée de pirates et de contrebandiers, Tai O n'a pas toujours été le village calme et coloré que découvrent les touristes aujourd'hui. Partons à la découverte de l'histoire de ce village qui s'est développé sur le commerce illégal du sel et les trafics en tous genres.

Tai O (大澳), dont le nom signifie “grande baie”, fait indubitablement partie des lieux les plus exotiques de Hong Kong, aujourd’hui très visité mais autrefois un monde à part, peuplé de pirates et contrebandiers de tout crin qui pendant des siècles ont résisté aux autorités et aux envahisseurs.  Situé à la pointe Ouest de l’île de Lantau, sa baie à double entrée est naturellement protégée, enserrée entre les montagnes et permettant de s’échapper en cas d’attaque. C’est aussi un point d’accès privilégié vers l’estuaire de la Rivière des Perles où se trouve Canton. C’est la raison pour laquelle les habitants de Tai O, à l’origine des Tankas chassés du continent pendant la période Song, ont orienté leurs échanges vers le continent plutôt qu’en direction de l’île de Hong Kong.

 

Flotte de pêche à Tai O en 1930 @gwulo
La flotte du port de Tai O en 1930 @Gwulo

 

Pirates et contrebande

Dès le 13ème siècle, le contrôle imposé par le gouvernement impérial sur le commerce du sel, alors plus précieux que l'or, fait de Tai O une plateforme idéale pour la production et le trafic, les producteurs locaux s’opposant rapidement aux collecteurs de taxes. En 1238, l’envoi de troupes non seulement se solde par une défaite de l'armée gouvernementale mais les habitants de Tai O décident même de mener une expédition punitive jusqu’à Canton, entamant alors un siège qui ne sera levé que par l’incendie de leur flotte par les flèches enflammées envoyées des remparts. Au 16ème siècle, les Portugais s’installent pour une courte durée à Tai O, construisant la mini-forteresse de Fan Lau, puis les pirates reprennent possession de la ville. Les Anglais, quant à eux, vont encourager l'industrie du sel, pensant faire de son exportation une source de revenus pour leur nouvelle colonie à tel point qu’en 1940, 1,488 tonnes de sel sont produites annuellement à Tai O! Les familles existantes sont rejointes par des migrants de Haifeng, dans la région de Canton, ayant l’expertise de la culture du sel. Leur méthode est différente de celle des premiers habitants qui attendaient que l’eau de mer s’évapore dans des bassins et consiste à asperger des champs de terre sèche par l’eau salée, gagnant ainsi un temps considérable.

 

Tai O au temps des salines
Tai O au temps des salines - @industrialhistoryhk.org

 

A partir des années 1960, les migrants fuyants la Chine communiste ont rejoint Hong Kong en passant par Tai O pour beaucoup d’entre eux, emmenés par les "têtes de serpents", ces  trafiquants de chair humaine qui repartaient vers le continent avec des réfrigérateurs et des postes de télévision plein leurs soutes! La drogue, hélas, faisait aussi souvent partie du voyage. Avec le décollage économique de Hong Kong des années 1970, Tai O peine à trouver sa place entre les moyens d’existence issus du passé comme la pêche et le sel, tout deux en déclin (en 1960, 30% du poisson consommé à Hong Kong venait de Tai O !), et le nouveau modèle de développement à base de finance et l’industrie. La ville n’est d'ailleurs accessible qu’en bateau ou en bus public jusqu’en 1990, les voitures des non-résidents étant interdites. Signe de l’esprit de résistance qui anime les habitants de Tai O: En 2000, alors que la ville est ravagée par un incendie, ils décident de reconstruire eux-mêmes, refusant toute aide du gouvernement pour éloigner les velléités de programmes immobiliers venus de l'extérieur!

Pilotis et bateaux dragons

Quand les premiers Tankas se sont installés dans la baie, ils ont troqué leurs habitations flottantes pour des maisons sur pilotis, les marées rentrant profondément dans l’estuaire. Au fil du temps, les Hokklos, ce peuple de pêcheurs, choisissent également ce mode d’habitat bien adapté à cet environnement. Les maisons légères que l’on voit aujourd’hui sont donc l’héritage de ce passé maritime. A Tai O, les traditions occupent encore une place importante. Ainsi, le festival des bateaux dragons est-il particulièrement célébré, les divinités telles que Tin Hau, la déesse de la mer ou Kwan Ti, le dieu de la guerre, sont emmenées en procession sur des bateaux jusqu’au lieu de la course.

 

Parades des divinités à Tai O
Parades des divinités à Tai O @South China Research Center, the Hong Kong University of Science and Technology

 

Parmi les quatre principaux temples de Tai O, Yeung Hau est le plus ancien, datant de 1699, puis Hung Shing en 1746. Enfin, il y a Kwan Tai et Tin Hau, autant dire que l’on s’intéresse aux forces du divin! Côté traditions culinaires, c’est la pâte de crevettes qui remporte la palme, en fait un simple mélange de sel et de crevettes séchées lié aux métiers du sel et de la pêche, mais connu dans toute la Chine pour assaisonner les plats. On trouve aussi sur les larges palettes exposées au soleil des jaunes d’œufs de canard séchés ou encore des poissons salés. On peut d’ailleurs déjeuner en terrasse un peu partout le long du chenal central en dégustant d’excellents fruits de mer frais.

Un patrimoine menacé

S’il est riche et varié, cet héritage unique est fragile. Tous les week-end se pressent à Tai O des milliers de visiteurs, déversés par les bus venant de Ngong Ping dont le Grand Bouddha érigé en 1993 sert de point de chute au funiculaire de plus de cinq kilomètres venu de Tung Chung. Le programme Ngong Ping 360 promet en effet aux visiteurs de prendre un raccourci, en visitant au passage le village de souvenirs de Ngong Ping avant de filer vers Tai O en contrebas. Ce qui était il y a encore quelques décennies un village traditionnel n’est donc pas loin de ressembler à la rue centrale du Mont Saint Michel en pleine saison. A côté des échoppes ancestrales fleurissent désormais des boutiques de gadgets en plastique et canettes réfrigérées. Les poissons-pierre affublés de yeux en caoutchouc rappellent les galets avec décalcomanies que nous ramenions de nos voyages scolaires de fin d’année!

 

 

Au-delà de l’aspect folklorique, c’est tout l’écosystème qui est en jeu. Le port se charge d’huile usagée et de matériaux de construction abandonnés. De plus, le pont de Macao, qui bouche désormais l’horizon, a perturbé l’habitat naturel des dauphins roses. Cette espèce menacée ne compte pourtant dans la baie que quelques dizaines d'individus. Or il devient quasi miraculeux d’apercevoir ces mammifères marins. Si l’on rajoute au tableau la vente de produits de médecine traditionnelle comme les vessies séchées issues d’espèces rares à destination des touristes (voir article sur Sheung Wan), on comprend à quel point la situation est inquiétante. Certes, des voix s’élèvent comme celle de Wang Waking, 51 ans, en charge de l’atelier "Tai O culture" pour alerter sur les risques actuels. "Je crains que le plan de développement commercial actuel ne fasse de Tai O un nouveau parc d’attraction", dit-il. A un moment où les initiatives se multiplient pour préserver l'héritage culturel de Hong Kong comme à Tai Kwun ou dans le quartier de Yau Ma Tei dont on rénove actuellement les vieilles façades, l'avenir de Tai O reste incertain.

 

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