Dans un dossier de la revue académique trimestrielle Perspectives Chinoises sorti ce 2 décembre en version française, les chercheurs Emilie Tran et Alistair Cole examinent les résultats d’une enquête sur la confiance de la population de Hong Kong envers les politiques de digitalisation (extrait). Perspectives Chinoises est une revue de recherche interdisciplinaire qui analyse les évolutions politiques, sociales, économiques et culturelles de la Chine contemporaine (Chine continentale, Hong Kong, Macao, Taiwan), soutenue par l’ Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS.
Hong Kong ville intelligente ?
Dans un récent article, Hartley (2021) rapporte les résultats d’une enquête sur la confiance du public et la légitimité politique des initiatives en faveur d’une ville intelligente à Hong Kong durant la période précédant l’introduction de la loi sur la sécurité nationale.
Selon cette étude, la confiance dans le fonctionnement et la gouvernance des villes intelligentes est positivement corrélée à un soutien envers les villes intelligentes. L’étude montre également un niveau de confiance modérément élevé à l’égard des avantages potentiels des villes intelligentes. D’un autre côté, elle révèle une préoccupation des Hongkongais pour la vie privée et les possibilités de participation qui rejoint nos propres conclusions.
Des services publics intelligents supposent que le public accepte et adopte largement les technologies. L’enquête que nous avons dirigée a montré une relation très spécifique aux technologies. Les Hongkongais semblaient à l’aise avec les nouvelles technologies (comme le montrent les réponses aux questions sur la 5G, les applications mobiles et la conviction générale que les technologies sont un facteur de progrès).
Hong Kong est l'un des endroits les mieux connectés au monde
Cela correspond aux données – par exemple, celles de l’enquête Cities in Motion Index selon lesquelles Hong Kong est l’un des endroits les mieux connectés au monde. Sans surprise, la majorité des personnes interrogées considèrent que les avantages des technologies l’emportent sur leurs inconvénients (plus de 50 % des répondants, dont 17 % « tout à fait d’accord »).
L'opinion divisée à Hong Kong
Bien que généralement favorable aux technologies, l’opinion publique était plus divisée sur les applications technologiques impliquant les autorités publiques. L’opinion était profondément divisée sur l’utilisation de l’application LeaveHomeSafe, développée par le gouvernement hongkongais dans le cadre du traçage anti-Covid-19. L’enquête menée sur l’ensemble du territoire a également révélé que l’opinion publique était divisée sur les mérites de l’identité numérique unique (iAM Smart) et de la carte d’identité électronique.
La plupart des citoyens n’avaient pas d’opinion tranchée concernant le compte numérique unique comme facteur déterminant pour l’utilisation des services en ligne, mais un groupe de citoyens n’utilisera vraisemblablement pas les services en ligne sous aucun prétexte, tandis qu’un nombre similaire de citoyens se montrait enthousiaste, faisant passer le caractère pratique avant les considérations sur la vie privée.
De même, le principe de la carte d’identité électronique est regardé de façon neutre par un groupe important (29 %), mais la mesure a également suscité une forte opposition de la part d’une minorité de citoyens (14 % déclarent être fortement en désaccord avec la carte d’identité électronique). Parmi les citoyens hongkongais les plus insatisfaits, on trouve les personnes âgées de 18 à 29 ans (plus de 40 %), les titulaires d’une licence ou d’un master (plus de 27 %) et les personnes s’identifiant politiquement aux localistes (plus de 53 %).
Leave Home Safe mise en doute par les jeunes
Examinons plus en détail deux mesures à la fois controversées et emblématiques : l’application LeaveHomeSafe, qui fait partie des efforts déployés par Hong Kong pour faire face à l’épidémie de Covid-19, et les lampadaires intelligents. Sur ces sujets, l’enquête a révélé de fortes divisions liées à deux variables clés, l’âge et l’orientation politique. Il existe une corrélation positive significative entre l’application LeaveHomeSafe et la tranche d’âge. Plus les personnes interrogées étaient âgées, plus elles pensaient qu’il était important d’utiliser l’application LeaveHomeSafe pour faire face à l’épidémie. Les jeunes cohortes (18-24 ans, 25-34 ans, 35-44 ans), les personnes les plus éduquées (titulaires d’une licence ou d’un master) (plus de 43 %) et les personnes âgées de 18 à 34 ans (plus de 50 %) étaient moins susceptibles de considérer l’application LeaveHomeSafe comme importante.
Plus encore, il existait un clivage politique clair : les personnes interrogées ayant des opinions favorables au régime en place estimaient que l’application LeaveHomeSafe était très importante, alors que les localistes y étaient vigoureusement opposés (environ 60 % des localistes considéraient que l’application LeaveHomeSafe était sans importance). Sans tomber dans le piège de la surinterprétation, les cohortes les plus jeunes étaient les moins susceptibles de faire confiance au gouvernement, tandis que les électeurs progouvernementaux étaient clairement amenés à soutenir les politiques publiques dans le domaine de la santé et au-delà.
La collecte des données personnelles en question
Les avis sont encore plus partagés en ce qui concerne les lampadaires intelligents. S’inscrivant dans le cadre de l’initiative gouvernementale pour la ville intelligente, les lampadaires intelligents sont censés mesurer les conditions de circulation, la météo et la qualité de l’air, ainsi que surveiller les dépôts d’ordures sauvages et fournir gratuitement une connexion Wi-Fi. Les répondants à l’enquête se situant dans le camp progouvernemental ont fortement soutenu l’installation de lampadaires intelligents, tandis que les répondants appartenant au camp prodémocratique et localiste s’y sont fortement opposés. De plus, il existe une relation positive significative entre les lampadaires intelligents et le groupe d’âge : plus l’âge est élevé, plus les résidents sont favorables aux lampadaires intelligents. En revanche, les personnes interrogées ayant un bon niveau d’éducation et appartenant aux cohortes plus jeunes étaient beaucoup moins favorables aux lampadaires intelligents.
L’idée que le gouvernement puisse collecter des données personnelles, même pour améliorer les services publics, rencontrait une forte opposition.
Si ces deux politiques emblématiques ont provoqué des clivages politiques clairs, nous avons observé un sentiment plus large d’opposition à la collecte de données personnelles par le gouvernement (bien plus que par les entreprises privées). Dans les déclarations des citoyens hongkongais sur la vie privée, les opinions les plus évidentes et les plus cohérentes étaient que, même si les technologies font plus de bien que de mal, chacun devrait avoir le droit de protéger sa vie privée. L’idée que le gouvernement puisse collecter des données personnelles, même pour améliorer les services publics, rencontrait une forte opposition. Dans leur grande majorité, les citoyens pensaient qu’ils ont tous « le droit de protéger leur vie privée en toutes circonstances », une affirmation tranchée soutenue fermement par 88 % des répondants. Cette affirmation présente la moyenne la plus élevée et l’écart-type le plus faible de toutes les questions relatives à la confiance dans les données, ce qui indique que presque tous les citoyens estiment qu’ils ont le droit absolu de protéger leur vie privée.
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Les auteurs :
Alistair Cole est professeur et directeur du département des études gouvernementales et internationales de l’Université baptiste de Hong Kong, Academic and Administration Building
Émilie Tran est directrice des programmes transdisciplinaires de premier cycle, institut des études transdisciplinaires de l’Université baptiste de Hong Kong