Objet de curiosité voire de crainte, Kowloon Walled City a alimenté les histoires les plus extraordinaires. Histoire de la plus incroyable des aventures humaines qu'ait jamais connu Hong Kong! Partez à la découverte d'une légende urbaine.
Vice city
Si vous avez assisté aux débuts de Jean-Claude Van Damme dans le film Blood Sport (extrait vidéo de JCVD dans les allées de la citadelle), vous vous souviendrez que le combat final se déroule dans Kowloon Walled City, décrite comme une zone de non-droit où se déroulerait, selon le scénario, un combat illégal d’arts martiaux organisé par une société secrète. Aujourd’hui rasée pour faire place à un jardin, cette "ville dans la ville" a longtemps nourri les fantasmes les plus fous.
Anomalie de l’histoire, l’ancienne ville chinoise s’est retrouvée isolée dans le territoire anglais lors de l’extension des nouveaux territoires en 1898.
Au moment de l’invasion japonaise, les remparts sont abattus pour servir de remblais à l’aéroport de Kai Tak mais c’est au moment de la prise du pouvoir par Mao en Chine que l'enclave connait les plus grandes transformations. En effet, la population de 2.000 habitants de 1940 double dans les années 1950, profitant de l’absence de lois.
Outre les petits métiers traditionnels, c’est le trafic de l’opium qui sévit, contrôlé par les triades K14 et Sun Yee On. En 1957, Joseph Kessel interviewe un haut fonctionnaire de police: “Jamais les Anglais n'entrent dans Kowloon City. Au moment où je m'occupais de cette zone, si un meurtrier professionnel se réfugiait à Kowloon City, il me fallait payer d'autres criminels qui le forçaient jusqu'aux limites de Kowloon où mes hommes l'attendaient." Quelques années plus tard, le jeune Martin Booth est amené par son ami chinois dans la salle de réunion d'une triade de Kowloon City.
On trouve tout dans la "cité des ténèbres" (黑暗之城) ainsi qu’on la surnomme en Cantonais, des dentistes sans licence, aux restaurants de viande de chien, interdits à Hong Kong, en passant par la prostitution et la drogue. Le trafic de stupéfiants génère des situations terrifiantes pour les consommateurs d’opium, les plus argentés, ou d'héroïne, pour les plus pauvres. La prostitution est parfois le fait de femmes âgées sans ressources. Cet ordre des choses change après 1974, date de création de l’ICAC quand la chasse à la corruption fait tomber les protecteurs des triades.
La vie à Kowloon City
La majorité des habitants n'a cependant rien à voir avec le monde du crime. Au début des années 1970, la construction anarchique ne connaît plus de limite, les unités superposées abritant d’abord 10.000 personnes puis 30.000 en 1980 pour atteindre enfin 50.000 occupants en 1990. Avec seulement 2,7 hectares soit un rectangle de 126m sur 213, c’est la plus forte densité au monde avec 1,2 million au kilomètre carré!
L’industrie de la copie et la fabrication de produits bon marché en plastique (ci-dessous) ou métal ou encore la confection de plats préparés à destination des collectivités de la ville s’installent dans les premiers immeubles en hauteur. Il y a aussi des écoles, aires de jeux sur les toits, rues marchandes et des services sociaux gérés par les organismes de charité. Les logements accueillent jusqu‘à quatre familles et l'on peut louer une chambre à partir de 35 $HK par mois.
Si les services sont rudimentaires, le quartier ne bénéficiant pas de l'enlèvement des ordures ou de la distribution de l’eau et de l'électricité, la solidarité et l’esprit de débrouille des habitants permettent de vivre au quotidien. Ceux-ci descendent parfois les 14 étages à pied pour faire une lessive près de l'un des huit tuyaux d'eau du complexe ou éclairent les parties les plus sombres grâce à des extensions électriques et quelques néons blafards. La précarité est telle que les conduites fuient à tous les étages si bien que les habitants ne se déplacent plus qu’un parapluie à la main.
Cependant on s’invite les uns les autres et les disputes sont rares. Beaucoup d'anciens habitants racontent s’être sentis heureux dans ce village vertical, s’accommodant des contraintes et jouissant finalement d’une certaine liberté. “Dans notre premier logement, les pièces étaient petites et qu'il n'y avait pas de place pour une table", se souvient Heung Yin-king. "Nous mangions sur une planche au dessus de la machine à coudre et nous asseyions sur le lit. Tout le monde s’entendait bien et c’était formidable d’avoir autant d’enfants pour jouer. Dans le second appartement, il n'y avait pas de robinet, aussi, en tant que fille aînée, c'était à moi de porter des seaux à partir du robinet collectif quatre étages au-dessus."
Ng, aujourd'hui 62 ans, raconte: "Nous ne voyions pas le danger. Les enfants montaient sur les toits et sautaient entre les bâtiments. Nous tirions des vieux matelas sur le toit pour sauter dessus. C'était une période heureuse."
Le début d'un mythe
Quand commencent les discussions sur la restitution de Hong Kong en 1984, la question de l’éradication de Kowloon City est soulevée et la décision est prise par les deux gouvernements en janvier 1987. 350 Million HK$ d’aides au relogement sont alors distribués et la destruction démarre début 1993. La construction du parc actuel qui remplace la cité des ténèbres date de 1995 comprenant l’ancien Yamen, résidence de l'assistant du mandarin impérial, autrefois dans la cour centrale de Kowloon City. Quelques vieux canons sont aussi exposés et les fondations des murailles sont rendues visibles.
Il est impossible de retrouver aujourd'hui les traces de la cité des 50.000 si ce n’est dans les souvenirs des ses habitants et les nombreux films de gangsters qui la prennent pour décor. Récemment en effet, les histoires autour des triades et la violence des années 1960 dans Kowloon City rencontrent un certain succès. Citons en particulier "Chasing The Dragon" de Jason Kwan où le personnage du gangster Crippled Hau est joué par Donnie Yen et celui du policier Lee Rock par Andy Lau. Dans ce cas, les scènes dans Kowloon City ont été filmées en studio, dans la région de Canton apparemment. L’autre film récent avec Kowloon City comme fond est Dealer/Healer, avec Sean Lau, qui retrace l’histoire, tout aussi réelle, de Peter Chan Shun Chi, un ancien chef de gang et trafiquant de drogue qui se reconvertit dans l’aide aux toxicomanes.
Une initiative originale, relevant elle aussi de la nostalgie, est celle de Hichiro Yoshida, un étudiant japonais qui a logé dans Kowloon City et s'est lancé depuis dans l'industrie du jeu d'arcade. Il a ouvert une salle à Kawasaki, au Sud de Tokyo, recréant scrupuleusement les allées de Kowloon City à partir de photos prises par lui et même reproduit jusqu'aux tags sur les murs. Citons enfin l’ouvrage exceptionnel de photos de Greg Girard et Ian Lambot qui insistent sur le côté esthétique de la cité des ténèbres, faisant revivre le quotidien des habitants jusque dans les recoins les plus sombres.
Comme dans beaucoup d’endroits liés à l’histoire de Hong Kong, les destructions ne parviennent pas à éradiquer la mémoire collective. Le souvenir de Kowloon Walled City est, à cet égard, particulièrement fort.
Pour en apprendre plus:
- City of Darkness Revisited, par Greg Girard et Ian Lambot
- Hong Kong et Macao, livre de Joseph Kessel, publié aux Editions Gallimard en 1957
- Gweilo, récit d'une enfance hongkongaise, par Martin Booth, Editions Gope
- Kowloon Walled City: Life in the City of Dearkness, par John Carney, SCMP 12/2/2015
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