Sur le campus de l'Université de Hong Kong (HKU), un cénotaphe de huit mètres de haut se dresse depuis 25 ans. La sculpture de couleur rose-orange est composée de 50 corps nus entrelacés, aux visages accablés. Son nom « Pilier de la honte », de l’artiste danois Jens Galschiøt fait partie d’une série de trois sculptures dans le monde faisant allusion à des répressions gouvernementales. L’université exige maintenant son déplacement, dans le cadre de la reprise en main du domaine culturel à Hong Kong par Pékin.
Le pilier de la honte bientôt démonté à Hong Kong
La sculpture est l’un des derniers rappels d’une tradition maintenant disparue à Hong Kong, celle de la commémoration de ceux qui ont péri sur la place Tiananmen. Selon son créateur, ses sculptures rappellent un événement honteux qui ne doit jamais se reproduire, il en existe trois versions, à Hong Kong, au Mexique et au Brésil.
L’Université de Hong Kong (HKU) a demandé aux responsables de l’organisation, aujourd’hui dissoute, en charge de la veillée du massacre de Tiananmen à Hong Kong de retirer la sculpture de son campus. L’artiste s’est dit choqué par ce possible retrait et Amnistie Internationale Danemark a dénoncé la décision de HKU dans un communiqué : « La demande de retirer le pilier de la honte de l’Université de Hong Kong montre comment la peur et l’autocensure se sont propagées à la suite de la répression des droits civiques à Hong Kong ».
L’ancien Chef de l'exécutif de Hong Kong, Leung Chun-ying, a demandé le boycott du cabinet américain d’avocats Mayer Brown, après que ce dernier ait refusé de représenter HKU dans sa demande d’enlever la statue de son campus.
Les musées impactés par la censure à Hong Kong
Depuis la mise en œuvre de la loi sur la sécurité nationale, ce fut la dégringolade pour l’Alliance de soutien aux mouvements patriotiques démocratiques de la Chine qui se battait contre la censure avec l’organisation de la veillée de Tiananmen et un musée pour commémorer cet évènement. L’Alliance a été dissoute en septembre et a vu son musée perquisitionné, l’accès à son site web restreint et ses dirigeants arrêtés.
Pour sa part, le musée M+ présenté comme « le premier musée mondial de la culture visuelle contemporaine en Asie », ouvrira ses portes le 12 novembre après un retard, dû entre autres, aux préoccupations concernant la diminution des libertés artistiques dans une ville qui doit se plier à une législation dont les contours restent flous et la portée s’avère fluctuante.
Certaines œuvres de l’artiste chinois Ai Weiwei, dont l’une faisait un doigt d’honneur à la place Tiananmen, ne figureront pas dans l’exposition du M+, ainsi qu’une photo de l’artiste Cang Xin qui a été qualifiée d’inappropriée.
Henry Tang, président en charge du West Kowloon Cultural District Authority, a confirmé qu’aucune œuvre d’art jugée contraire à la loi ne sera exposée, mais a nié toute censure.
La censure à Hong Kong se fait sentir aujourd’hui dans tous les domaine culturels, qu’il s’agisse de cinéma, littérature, photographie, sculpture et même de musique.
Le cinéma mis au pas à Hong Kong
En juin 2021, les autorités ont annoncé que tous les films seraient désormais examinés pour empêcher de possibles violations à la sécurité nationale. En août dernier, le gouvernement a proposé de modifier l’ordonnance sur la censure des films, donnant au Premier Secrétaire, le numéro deux du Gouvernement, le pouvoir de révoquer toute autorisation donnée à un film si son exposition était contraire à l’intérêt de la sécurité nationale.
Les nouvelles modifications enjoignent la Commission responsable de censurer les films d’être « vigilante face à la représentation de tout acte ou activité qui pourrait constituer une infraction mettant en danger la sécurité nationale ».
Cette large définition pourrait rendre difficile de déterminer pour les distributeurs de films à Hong Kong si un film enfreint la loi. Après l’annonce de la mise en œuvre de ces nouvelles lignes directrices, le gouvernement a déclaré que «la liberté d’expression doit être équilibrée avec la protection des intérêts légitimes de la société». Depuis l’application de la loi, les projections de documentaires sur les manifestations de Hong Kong ont été annulées après que les organisateurs aient reçu un avertissement stipulant que la projection de leurs films pourrait enfreindre la loi sur la sécurité.
Une librairie indépendante ferme ses portes à Hong Kong
Nombreux sont les livres écrits par des auteurs pro-démocratie de Hong Kong et des critiques de Pékin qui ont été retirés des bibliothèques locales. D’autres livres d’histoire ont connu le même sort dans les librairies, pour citer un cas récent, le 17 octobre la librairie Eslite a dû retirer de ses rayons un livre qui aborde l’invasion de la Chine en 1900, après que les autorités aient soupçonné des violations potentielles à la loi sur la sécurité nationale. Elizabeth Quat, législatrice de Hong Kong a dit qu’elle voulait « de la liberté pour le secteur de l’édition, mais que les livres qui vilipendent l’histoire chinoise ne devraient pas être tolérés ».
Albert Wan, propriétaire de Bleak House Books, une librairie indépendante de langue anglaise, a ouvert ses portes pour la dernière fois le 15 octobre. Dans une publication sur Facebook, il annonce qu’il quittera le territoire après la fermeture du magasin et que « la toile de fond de ce développement est bien sûr, le climat politique dans la ville.»
Une musicienne pro-démocratie victime de la censure
En septembre dernier, la chanteuse hongkongaise Denise Ho, militante pro-démocratie a été forcée d’annuler son concert après que le Hong Kong Arts Centre se soit retiré en invoquant des préoccupations de « sécurité publique » quelques jours avant sa performance.
La loi de sécurité nationale criminalise également la représentation publique de refrains chantés lors de manifestations du 2019.
Dans le but de remodeler Hong Kong à l’image de la Chine, la censure atteint actuellement tout ce qui touche au divertissement, à l’art et à la culture. Bien qu’on soit loin de cette époque où l’une de plus grandes plumes françaises a été censurée, les mots de Flaubert résonnent encore dans le Hong Kong actuel: «La censure, quelle qu'elle soit, me paraît une monstruosité…L'attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme».