Retour sur la carrière d’un monstre sacré du cinéma de Hong Kong qui permit à l’industrie locale d’acquérir une renommée mondiale et la promotion de talents comme Bruce Lee et Jackie Chan.
À l'occasion de la disparition de Raymond Chow, vendredi 2 novembre, nous revenons sur les productions les plus emblématiques de son studio, la Golden Harvest. Une sorte de Top 10, long mais nécessaire, qui permet de replonger dans les grandes heures du cinéma hongkongais, les prises de risque d'un producteur inspiré et une gestion clairvoyante des acteurs et réalisateurs de génie.
Né à Hong Kong en 1927, Raymond Chow étudia le journalisme à Shanghai. De retour dans la colonie suite à la prise du pouvoir par Mao en 1949, il travailla pour diverses publications en tant que reporter. En 1958, il intégra la puissante Shaw Brothers où il fut en charge de la publicité avant d’être promu, en 1968, en tant que superviseur des productions, faisant de lui le numéro 2 du studio. Il ne tarda pas à chercher son indépendance en fondant en 1970, avec Leonard Ho, son propre studio, la Golden Harvest.
Grâce à une politique active de découverte de talents et un certain sens de la carotte et du bâton avec ses stars maison, il parvint à faire de la compagnie une des plus puissantes de la colonie. Suite à la mort de son associé en 1998 et la crise générale de l’industrie durant la période, Raymond Chow finit par se désengager et sa compagnie fut vendue en 2007.
Parmi les productions les plus emblématiques du studio figurent:
La Fureur du Dragon -1972
A ses débuts, la Golden Harvest tenta de copier le modèle de la Shaw Brothers en adoptant une structure quasi-industrielle, avec des stars liées par des contrats longs et une production à la chaine. La formule ne fut pas vraiment un succès. Heureusement pour Raymond Chow, la signature de Bruce Lee lui permit de renverser la vapeur. The Big Boss, son premier film en tant que star des arts martiaux, fut un énorme succès. Comprenant que la viabilité de sa compagnie dépendait de sa bonne relation avec les stars, il mit en place un système qui verrait ces derniers à la tête de leur propre compagnie, ces dernières étant subordonnées à la Golden Harvest, compagnie mère. Un système plus souple permettant à la star un plus grand contrôle artistique et une plus grande part des bénéfices tandis que la Golden Harvest fidélisait ainsi ses acteurs/réalisateurs. La Fureur du Dragon fut un des premiers films produit grâce à ce système. Bruce Lee put ainsi écrire le scénario et le réaliser en plus de jouer le personnage de Tang Lung, un chinois de la campagne qui se retrouve à aider un restaurant chinois de Rome face à la pègre locale. Ce fut l’occasion pour Bruce Lee de montrer une palette de jeu plus large, d’injecter davantage de thèmes qui lui étaient chers et d’être en plein contrôle de sa représentation et philosophie des arts martiaux.
Mister Boo, Détective Privé - 1976
Si la mort soudaine de Bruce Lee en 1974 fut un coup dur pour la Golden Harvest, le studio parvient tout de même à maintenir sa trajectoire ascendante grâce à d’autres talents, celui des frères Hui. Du milieu des années 1970 au début des années 1990, Michael, Sam et Ricky furent ainsi les champions du box-office via leurs comédies ancrées dans la réalité sociale de la ville. Mister Boo, Detective Privé est probablement leur film le plus emblématique. Michael y interprète le patron d’une petite firme de détectives privés employant Sam et Ricky. L’ainé de la fratrie, dans une configuration proche d’un Louis de Funès, incarne tous les maux du Hongkongais moyen: avide d’argent, hypocrite et trop fier pour reconnaitre ses erreurs. Ses délicieuses interactions avec ses deux frères et un rythme comique ultra enlevé font de cette comédie un classique du genre.
La Dernière Chevalerie - 1979
Quand Michael Hui se lança dans le cinéma au milieu des années 1970, Raymond Chow lui adjoint les services d’un jeune réalisateur considéré comme prometteur pour l’épauler, un certain John Woo. Celui-ci ne tarda pas à voler de ses propres ailes mais se retrouva prisonnier du genre qu’il avait aidé à populariser. Il signa ainsi une série de comédies à la qualité inégale ayant pour vedette le dernier des Hui, Ricky. Bien que les films fussent des succès commerciaux, Woo ne s’y retrouvait pas. Il eut enfin l’occasion de signer une œuvre plus à son gout en 1979. La Dernière Chevalerie, bel hommage aux films de chevalerie du début des années 1970, est un prototype des polars héroïques qui feront sa gloire quelques années plus tard.
Le Marin des Mers de Chine -1983
Quand Jackie Chan parvint à s’imposer comme la nouvelle icône du cinéma d’arts martiaux à la fin des années 1970, la Golden Harvest ne perdit pas de temps à mettre la main sur la star. L’opération ne se fit pas sans mal. Son précédent mentor, le réalisateur de The Big Boss et de la Fureur de Vaincre, Lo Wei, fit appel aux triades pour conserver son poulain et la Golden Harvest dut utiliser les connections d’un autre de ses acteurs phares, Jimmy Wang Yu, pour démêler la situation.
Une fois ces imbroglios résolus, Jackie Chan trouva dans la Golden Harvest un partenaire idéal, prêt à le soutenir dans ses projets les plus fous. Le Marin des Mers de Chine est un des premiers représentants de cette ambition qui le pousse à être plus qu’un nouveau Bruce Lee. Ayant nécessité près d’un an de production et 3 réalisateurs derrière la caméra, le film marque la consécration de Jackie Chan comme une icône du cinéma d’action moderne, toujours prêt à se mettre physiquement en danger (lui et ses cascadeurs !) pour divertir le public.
Shanghai Express - 1986
Bien que moins célèbre que Jackie Chan, son grand frère de l’opéra de Pékin, Sammo Hung, fut un des autres piliers de la Golden Harvest durant les années 1980. Il se spécialisa dans la production de polars Kung Fu particulièrement réjouissant. Mais comme son petit frère, il lui arriva de vouloir proposer des spectacles d’une ampleur démesurée. Shanghai Express est de ceux-là. Un western à la sauce chinoise proposant un casting incroyable avec une bonne partie des stars sous contrat avec la Golden Harvest (excepté Jackie Chan qui refusa d’y participer). Avec sa bonne humeur contagieuse, ses clins d’œil au genre et ses chorégraphies furieuses, Shanghai Express est un spectacle de tous les instants qui ne peut que faire l’unanimité.
Rouge - 1988
La Golden Harvest s’est surtout fait connaitre pour ses nombreux films d’arts martiaux et d’action. Il est toutefois arrivé au studio d’essayer de se diversifier. Rouge conte l’histoire d’amour entre Fleur (Anita Mui) et Chen Chen Pang (Leslie Cheung) dans le Hong Kong des années 30. Suite au suicide de la prostituée, son fantôme hante la colonie à la recherche de son ancien amour.
Subtile, touchant, empreint d’un spleen contagieux, le film de Stanley Kwan montre que le cinéma de Hong Kong peut produire autre chose que des spectacles violents. Ce ne fut toutefois pas chose facile : Stanley Kwan dut ainsi s’opposer à l’ajout de séquences d’action à laquelle la Golden Harvest songeait sérieusement. Heureusement, la compagnie de Raymond Chow fit le bon choix et respecta la vision du réalisateur.
Les Tortues Ninja - 1990
Après leur fructueuse collaboration avec la Warner Brothers sur Opération Dragon, la Golden Harvest n’a jamais cessé de convoiter une part du gâteau Américain. Mais, pénétrer ce marché au quasi-monopole hollywoodien n’est pas une mince affaire. Les tentatives pour y arriver furent variées. Raymond Chow produisit ainsi le premier film à traiter directement de la guerre du Vietnam après le traumatisme de la défaite, Les Boys de la Compagnie C (1978). Ce fut un échec.
Les tentatives d’imposer d’autres stars maison en Amérique du Nord firent également long feu comme Jackie Chan avec le bien triste Le Chinois. La Golden Harvest fut mieux récompensé avec sa série des Cannonball Run, sorte de version live du dessin animé Les Fous du Volant. Mais la compagnie finit par toucher le jackpot en adaptant en 1990 une bande dessinée américaine mettant en scène les aventures de 4 tortues mutantes expertes en arts martiaux et amateurs de pizza. Le film réalisé par Steve Barron parvient à trouver le ton juste entre comédie et univers de comics sombre. Il généra une véritable tortuemania et demeure à ce jour le meilleur film live consacré aux 4 batraciens.
Il Etait une Fois en Chine - 1991
Ayant signé le champion de Wushu Jet Li, la Golden Harvest chercha un moyen d’en faire une star au niveau d’un Bruce Lee ou d’un Jackie Chan. Dans un coup de génie, elle fit appel au réalisateur Tsui Hark. Après une première tentative avec The Master, si malheureuse qu’elle fut mise au placard pendant deux ans, le réalisateur et la star trouvèrent le véhicule idéal pour parvenir au résultat escompté : une relecture des exploits de Wong Fei Hung, un des héros les plus célèbres du folklore martial cantonais. Invoquant l’esprit de Sergio Leone et d’Akira Kurosawa, Tsui Hark parvint à réinventer le personnage et à faire de Jet Li un Wong Fei Hung iconique en diable. Riche en problématique politique et sociale, le film se bonifie à chaque visionnage. Si ce fut un incontestable succès pour Raymond Chow, la Golden Harvest n’en tira pas tous les fruits escomptés, Jet Li quittant peu après la compagnie suite à des disputes contractuelles et financières.
The Final Option - 1994
Refusé par de nombreux studios, le projet de Gordon Chan de faire un film consacré à la SDU (l’équivalent hongkongais de notre GIGN) fut finalement accepté par la Golden Harvest. Grand bien lui en prit ! Le film qui met en scène un petit groupe de recrues aux prises avec leur entrainement surhumain et leurs problèmes de cœur parvint à créer un populaire sous-genre et à donner une image d’une ville fière de son identité et de ses réussites, peu de temps avant le changement d’envergure que représentait la rétrocession à la Chine.
Stormriders - 1998
Alors que l’industrie cinématographique hongkongongaise sombrait inexorablement, la Golden Harvest tenta un ultime coup de poker. Elle misa sur Andrew Lau pour adapter une bande dessinée populaire en film via un recours intensif aux effets spéciaux numériques. Un budget colossal fut dégagé, un casting de jeunes acteurs dans le vent (Aaron Kwok, Ekin Cheng, Kristy Yang) et de légendes (le Bruce Lee nippon Sonny Chiba) fut recruté et un tournage en Chine mis en place. Le pari fut remporté aussi bien artistiquement que commercialement. Stormriders fut une habile modernisation des films de chevalerie soutenu par une histoire Shakespearienne. La Golden Harvest avait encore réussi à captiver la foule grâce au sens aiguisé de son leader, Raymond Chow.