Avec plus de 50 films, Cecilia Yip est une des actrices emblématiques de l’âge d’or du cinéma de Hong Kong. Elle se distingue par ses choix de personnages forts, loin des clichés de jolies plantes que l’industrie a trop souvent mis en avant.
Elle vient de participer à l’édition 2018 du Hong Kong International Film Festival et au jury du Firebird Awards, récompensant un jeune réalisateur parmi huit films internationaux. Elle a accepté aimablement de partager avec nous ses impressions sur la nouvelle génération de cinéastes et de revenir sur quelques films emblématiques de sa carrière.
Jeunesse et féminisme
Lepetitjournal.com (Arnaud Lanuque): Comment êtes-vous retrouvée membre du jury des Firebird Awards?
Cecilia Yip: Parce que j’y ai été invitée (rires). J’étais très flattée de cette proposition. Je pense qu'elle a du sens car je suis impliquée dans l’industrie depuis plus de 30 ans. Cela donne une belle perspective. Et puis, voir des films du monde entier est quelque chose de plutôt agréable (rires). Ces nouveaux réalisateurs ont une véritable passion pour le cinéma et j’ai trouvé ça très stimulant!
Justement, quelles sont vos impressions concernant cette sélection?
Les 8 films ont un style très différent. Certains parlent de relations mère/fille, d’autres d’histoire d’amour d'adolescents… Je pense qu’aujourd’hui, il y a plus de diversité de points de vue à travers le monde. J'ai surtout ressenti qu’ils avaient un authentique amour pour le cinéma et, dans le même temps, qu'ils voulaient contribuer à rendre le monde meilleur.
Pensez-vous qu’il y a plus de place pour les réalisatrices aujourd’hui?
Les réalisatrices demeurent encore trop une minorité. Mais j’étais heureuse de voir que beaucoup d’histoires adoptaient le point de vue de femmes. Il y avait des rôles très forts pour les actrices. Et parfois, cela venait de réalisateurs masculins. Cela me donne l’espoir qu’on puisse voir plus de films avec des points plus féminins dans le futur.
Pensez-vous que cette évolution s’applique également à l’industrie hongkongaise?
Je me souviens d'une époque où il y avait beaucoup de films dédiés aux personnages féminins. Mais, l’action et le sang ont pris le pas sur ces films et l’industrie a vite été dominée par les hommes. Cela n’a pas changé depuis. Pendant longtemps, les rôles féminins dans le cinéma de Hong Kong étaient plein de clichés. À cause de cela, je n’ai certainement pas pu vraiment montrer mon entier potentiel.
Les choses ont changé, le cinéma est moins ultra-commercial, ou la plupart des films commerciaux sont faits en Chine maintenant. Cela donne plus d’espace pour les cinéastes hongkongais pour faire des films à petit budgets plus artistiques avec des messages forts. De ce point de vue, la situation commerciale difficile de l’industrie a du bon.
Une femme forte dans un monde d’hommes
Votre premier film, Nomad -- l'histoire de quatre jeunes adultes à la découverte de l'amour -- avait fait une forte impression à sa sortie en 1982. Pensez-vous que votre personnage était emblématique de la jeunesse hongkongaise?
Je crois que c’est l’inverse, c’était un personnage en avance sur son temps, très libre. Il me ressemblait d’ailleurs par certains aspects. Quand j’étais jeune, j’essayais de me démarquer. Je ne suivais pas les modes ou les idoles du moment. Aujourd’hui, les gens sont plus ouverts d’esprit. Mais, à l’époque, le climat était plus conservateur. La scène où je fais l’amour m’a valu pas mal de critiques, des journaux… et de ma famille. Ça a été assez douloureux.
Coolie Killer -- une histoire de règlements de compte entre assassins professionnels -- est un autre chef d’œuvre de la nouvelle vague. Quelles instructions vous a donné le réalisateur Terry Tong sur votre personnage?
Pas grand-chose à vrai dire (rires). Mais j’ai vite compris que j’étais la touche féminine du film. C’était un univers très masculin. Je devais être l’image traditionnelle de la femme, très gentille, douce, toujours disposée à prendre soin de Charlie Chin. À partir du moment où j’ai compris ça, Terry Tong n’a pas eu à me donner d’instructions particulières pour interpréter le personnage.
Let’s Make Laugh -- une comédie romantique dans laquelle vous êtes bloquée dans une maison pendant plusieurs jours avec un huissier -- fut un très grand succès public. Comment l’expliquez-vous?
Je pense que cela tient au fait que nous n’avions pas beaucoup de films comme ça à cette époque. Le timing peut être très important dans le succès d’un film. C’était un long métrage très simple, joyeux et rafraîchissant. C’était facile pour le public de s’identifier aux personnages que Kenny Bee et moi interprétions.
Wonder Women -- deux jeunes femmes qui tentent de trouver la gloire en participant à un concours de beauté -- est un des films emblématiques de votre carrière. Quels souvenirs en gardez-vous?
C’était un film très marrant à faire. Kam Kwok Leung [le réalisateur] est très bon pour capter les sentiments profonds des femmes. Ayant grandi en regardant les concours de beauté, c’était intéressant de faire un film sur cet univers. Ma partenaire, Dodo Cheng, a également été d’une grande aide. Son jeu était assez grandiloquent, alors, pour accentuer le contraste entre nos deux personnages, j’ai choisi d’interpréter le mien de manière plus réservée. Sauf la scène où je fais une interview pour rentrer à la télévision. J’ai sciemment exagéré, c’était très drôle à faire !
Vous n’avez pas fait beaucoup de films d’action mais une des exceptions est OCTB (Organized Crime and Triade Bureau) de Kirk Wong, dans lequel vous interprétez avec Anthony Wong une sorte de Bonnie et Clyde hongkongais.
Dans le film, il y a plusieurs scènes d’actions tournées en pleine rue où j’utilise des armes à feu. A cette époque, c’était difficile d’avoir des autorisations pour tourner ce type de séquences alors nous faisions ça en mode guérilla. Je me souviens qu’il y en avait une que nous tournions à Wan Chai, pas loin du commissariat de police ! J’avais très peur d’être abattu par la police ! Mon personnage était inspiré d’un fait divers réel mais très dramatisé. Je crois que Kirk Wong avait une vision un peu romantique des gangsters, il voulait montrer qu’ils avaient des sentiments également.
Remerciements Vivien Chan et The Mira Hong Kong