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Reportage : Hmong dans la brume

Hmong ethnie VietnamHmong ethnie Vietnam
© Antoine Besson
Écrit par Antoine Besson
Publié le 19 février 2021, mis à jour le 20 février 2021

Site touristique emblématique du Vietnam, les célèbres rizières en terrasse de Sapa attirent des milliers de visiteurs chaque année. Pourtant, de nombreuses adolescentes sont encore contraintes de choisir entre l’école et leur famille naissante.

Le long d’une crête de montagne, un chemin serpente. Au bout du chemin, un village. Adossé à la pente, une grande maison de bois devant laquelle des femmes sont rassemblées. Certaines allaitent de jeunes enfants tandis que les plus vieilles discutent entre elles, assises sur des rondins. Les mains sont tachées de vert. Ce sont les restes des ouvrages de teinture des vêtements. Ici, les femmes portent des coiffes, leurs vêtements sont noirs, colorés avec les feuilles d’indigo. Ils ont donné son nom au groupe ethnique qui peuple les montagnes de Sapa, au Nord du Vietnam : les Hmong Noirs.
 

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© Antoine Besson


Au milieu de la foule, l'allure d'une jeune fille contraste avec celle des autres femmes habillées en tenue traditionnelle. Sung Thi Dua porte une veste en similicuir et des boucles d’oreilles pendantes et non des grandes créoles traditionnelles. Dans ses bras, un enfant replet de 5 mois. Sung Thi Dua vit avec son compagnon Lo A Si depuis un an. Il a 20 ans, elle en a 15. Elle est tombée enceinte à 14 ans. Ils attendent pour se marier l’âge légal : 18 ans pour la fille et 21 ans pour le garçon. Mais aux yeux du village, ils sont mariés. C’est une vieille tradition Hmong : quand un homme veut épouser une jeune fille, il l’invite à venir habiter chez lui. Le mariage Hmong n’implique pas plus de cérémonie qu’un grand banquet organisé pour tout le village.
 

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© Antoine Besson


Sung Thi Sang a 15 ans elle aussi. Elle habite la maison voisine de Sung Thi Dua. Sous sa tenue traditionnelle, un ventre rond. L’adolescente est enceinte de 7 mois. Elle s'est mariée peu avant avec Lo A Lu. Aussi, ses beaux-parents ont-ils dû vendre leur unique buffle et emprunter 80 kilos de viande de cochon, 40 poulets et 40 litres d’alcool de riz pour célébrer la noce. Dans un temps pas si lointain, la tradition voulait que l’homme enlève la femme et la séquestre trois jours durant chez lui. À la fin des trois jours, la femme pouvait ou non choisir de rester et d’épouser son prétendant. Cette tradition qui demeure vive dans les esprits des jeunes n’a plus cours aujourd’hui à quelques rares exceptions. Mais comme Sung Thi Dua ou Sung Thi Sang, de nombreuses adolescentes se marient et tombent enceintes très jeunes.
 

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© Antoine Besson


Précarité et tourisme

« Nous devons nous adapter. Il faut faire le tri entre les coutumes qui sont constitutives de notre identité et celles qu’il nous faut abandonner. » Le visage rond et avenant, Joseph arbore une casquette plate et porte un manteau en laine. Un look très occidental pour ce trentenaire au parcours exceptionnel, fils du pays, originaire de la vallée de Muong Hoa. « Dans mon village, je suis le premier à être allé à l’université ! » annonce-t-il souriant. Joseph est également l’un des premiers Hmong à avoir ouvert un hôtel destiné aux touristes dans la ville de Sapa. « Je veux créer un lieu où les touristes pourront découvrir notre culture et notre artisanat. Tous mes employés sont Hmong. »
 

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© Antoine Besson


Sapa est une ville de montagne. Enclavée, proche du sommet le plus haut de l’ancienne Indochine, le Fansipane qui culmine à 3143 mètres au-dessus du niveau de la mer, la capitale régionale est devenue en quelques années un des hauts lieux du tourisme au Vietnam. Dans la langue de son peuple Joseph s’appelle en réalité Lo A Taus mais il a choisi un prénom occidental pour faciliter les échanges avec les touristes. Ils ont été plus de 15 millions à venir visiter le Vietnam en 2018. Une manne dont profitent très peu les Hmong malgré le succès de leur région dans les catalogues des tour-opérateurs.
 

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© Antoine Besson


C’est là peut-être le paradoxe de Sapa. L’activité touristique de la ville repose en grande partie sur l’attractivité des ethnies de la région. Les touristes sont friands de guides costumés qui peuvent les emmener dans les montagnes découvrir la région, ce qui est une source d’argent facile pour les familles dans le besoin. « Cela reste cependant une activité précaire qui ne permet aucune épargne, n’offre aucune sécurité et dont les enfants sont les premières victimes, met en garde madame Oanh, une institutrice à la retraite. Les enfants doivent aider aux tâches ménagères et se garder entre eux. Cela les conduit très souvent à manquer l’école, voire à la fuir en pleine journée pour rentrer chez eux. Il arrive aussi que les enfants soient utilisés par leurs parents pour vendre de l’artisanat aux touristes. » Dès 3 ans, certaines petites filles, habillées en costume traditionnel, passent leurs journées assises sur les marches froides de la place de Sapa devant quelques breloques. Vêtues légèrement dans la brume humide, leurs mères assises à quelques pas les encouragent parfois à interpeller les touristes vietnamiens, chinois ou occidentaux de passage.
 

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Le quartier des ouvriers

Sur les hauteurs de Sapa se nichent les hôtels, les boutiques, le marché qui entourent un lac de montagne. Au fur et à mesure qu’on descend les petites rues étroites et raides, le revers de de la ville apparaît. Les quartiers bas sont faits d’une multitude de petites masures de béton qui abritent les logements sommaires des travailleurs. Ici, il n’y a pas de grande esplanade où se donnent chaque soir des démonstrations de danses folkloriques mais quelques bouts de jardins où la terre affleure. Un homme s’escrime, pioche à la main, pour déterrer quelques patates douces et du taro. Entassés dans des bâtisses d’une seule pièce de 9 m2, les ouvriers de l’industrie du tourisme, pourtant rentable, vivent chichement.
 

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Chang Thi Giang et Lo A Sa vivent dans une de ces pièces de béton sans beauté avec leur petite fille d’un an. Chang Thi Giang avait 16 ans quand elle est devenue maman. Depuis, elle a abandonné le collège pour s’occuper de sa fille et travailler comme guide touristique quand elle parvient à la confier. « J’emmène les touristes dans les montagnes pour quelques dollars et je reviens le soir à la maison. » À de rares exceptions, les Hmong ne peuvent prétendre à des postes qualifiés faute d’instruction. Lo A Sa cherche un poste de cuisinier dans un hôtel. Il sait qu’il trouvera mais ne croit pas pouvoir prétendre à mieux. « Pourtant  il est beaucoup  plus simple pour un Hmong d’apprendre l’anglais que le Vietnamien, assure Joseph qui développe : Pour moi l’instruction est la clé : c’est grâce à ma soif d’apprendre que j’ai pu changer ma vie. »
 

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Joseph n’était pourtant pas destiné à travailler dans le tourisme. Après avoir étudié la musique à Hanoï, il rentre dans ses montagnes et obtient rapidement un poste d’enseignant. Il se retrouve confronté à un quotidien étouffant : un père malade, des collègues qui ne font que jouer et boire, et l’impossibilité d’aider ses deux frères et trois sœurs faute d’un salaire suffisant. Il décide de changer de vie. Son salut passera  par l’apprentissage de l’anglais. D’abord sur YouTube en écoutant les chansons de Jack Hope, puis dans les hôtels où il parvient à se faire embaucher. Le salaire est dérisoire mais il y saisit toutes les opportunités pour pratiquer la langue de Shakespeare. Aujourd’hui, Joseph est endetté mais confiant. Sa stratégie commerciale suit la mode et correspond aux attentes des touristes occidentaux. Il propose une expérience d’écotourisme dans un cadre magnifique et met en avant un projet pour impliquer au maximum sa communauté. : « Tout le monde est pauvre dans mon village. Je veux changer cela. »
 

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Petits vendeurs de rue

Un peu plus haut, devant le clocher de l’église de Sapa, vestige de l’époque coloniale restauré récemment, quelques jeunes filles prennent des photos dans la brume qui ne quitte quasiment jamais la ville en hiver. Une jeune Vietnamienne élégante, en cuissardes, prend la pose tandis que son ami déclenche en rafale. Devant elle, une petite fille attend son heure pour essayer de lui vendre quelques bracelets de mauvais cuivre. Le contraste est flagrant. Dans les montagnes de Sapa, se côtoient deux mondes qui ne se rencontrent qu’à de rares occasions. L’ambition de Joseph d’être une passerelle pour toute sa communauté force le respect. Encore quelques minutes et, avec le soleil couchant, le dragon  de brume qui ne quitte jamais les hauteurs de Sapa viendra recouvrir de son corps cotonneux les dernières lueurs. Chez elles, Sung Thi Dua et Chang Thi Giang bercent leurs bébés, Sung Thi Sang caresse son ventre rond. Déjà mères, à peine des femmes, leur avenir reste à écrire.
 

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