Ces jours-ci, les grandes villes vietnamiennes prennent des allures de grand marché de Noël. Comme partout ailleurs, l’anniversaire de la naissance du Sauveur donne lieu à des réjouissances pour le moins profanes. Il n’en demeure pas moins que Noël est et demeure une fête chrétienne, et à ce niveau-là, le Vietnam n’est pas en reste car, si le Bouddhisme y est la religion ultra-dominante, le Christianisme y est également implanté et ce depuis plusieurs siècles. C’est du reste sous le signe de la Croix que la France a fait ses premiers pas au Vietnam.
16e siècle. Non contente d’avoir découvert l’Amérique, l’Europe occidentale, sûre de son bon droit, entend bien convertir le monde entier à la bonne parole. Le Vatican encourage ouvertement cette nouvelle forme d’apostolat et très vite, les premiers pères missionnaires de l’Histoire se mettent à sillonner le vaste monde, en quête d’âmes à sauver, de gré si possible, ou de force.
Alexandre VI, Pontife discuté et discutable mais excellent poète érotique (les desseins de Dieu sont impénétrables, dit-on), ira même en 1493, jusqu’à répartir, par la bulle Inter Caetera Divina, les nouveaux territoires entre les deux grandes puissances coloniales de l’époque, à savoir l’Espagne et le Portugal.
Le Vietnam, lui, ne s’appelle pas encore Vietnam, mais Daï Viet. A Thanh Long (la future Hanoï), les empereurs de la dynastie Lê ont perdu toute autorité et le pays est aux mains de deux lignées seigneuriales : les Trinh, au Nord, et les Nguyen, au Sud.
Premiers missionnaires au Vietnam
C’est dans ce contexte que les tous premiers missionnaires font leur apparition. Ce sont surtout des Dominicains, des Franciscains et des Jésuites, français ou portugais, qui ont été précédés, dès 1533, par des commerçants chrétiens.
L’un d’entre eux va particulièrement marquer les esprits. C’est un Jésuite français, Alexandre de Rhodes (1591-1660), qui ouvre une église à Thanh Long en 1627, mais qui surtout, met au point la première transcription phonétique et romanisée de la langue vietnamienne : c’est le fameux quoc ngu, qui est encore en vigueur aujourd’hui. Son Dictionarium Annamiticum Lusitanum et Latinum, dictionnaire trilingue vietnamien-portugais-latin, publié en 1651, est un ouvrage de référence majeur, tant pour les historiens que pour les linguistes.
Pour le Daï Viet, les travaux d’Alexandre de Rhodes sont du pain béni : ils permettent à tout un peuple de tourner le dos - même symboliquement - à l’influence chinoise. Mais si l’œuvre de linguiste d’Alexandre de Rhodes est bien accueillie, il n’en va pas de même pour son œuvre de missionnaire. Les autorités sont en effet hostiles à la nouvelle doctrine qu’il prêche et les premières conversions sont vues d’un très mauvais œil.
Premiers martyrs font leur apparition
Il ne faudra pas attendre bien longtemps pour que l’Eglise vietnamienne naissante compte ses premiers martyrs.
Le tout premier d’entre eux est un certain André de Phu Yen (à noter la francisation du prénom !), un jeune catéchiste laïc qui est exécuté en 1644… et qui sera béatifié par Jean-Paul II en 2000.
Toujours est-il qu’en 1645, on recense déjà près de 190.000 chrétiens dans le pays : un nombre qui restera à peu près stable jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
C’est aussi à la fin du XVIIIe siècle que monseigneur Pigneau (entré dans la postérité sous le nom de Pigneau de Behaine) fait son apparition dans l’Histoire tourmentée de l’Eglise vietnamienne.
Pierre Pigneau (1741-1799) est un pur produit des Missions étrangères de Paris, dont la fondation remonte à 1663. Nommé vicaire apostolique de Cochinchine (l’actuel Sud du Vietnam) par le Pape Clément XIV en 1771, il réussit à nouer des liens d’amitié avec le prince Nguyen Anh, l’héritier de la lignée des Nguyen qu’il aidera dans sa conquête du pouvoir (Nguyen Anh n’est autre que le futur Gia Long !), non sans avoir pour ce faire été jusqu’à Versailles solliciter l’aide du très chrétien roi Louis XVI.
Le calcul de Pierre Pigneau est simple : si Nguyen Anh parvient à prendre le pouvoir avec l’appui des Français, sans doute les persécutions vont-elles cesser.
Il n’en sera rien, car si Nguyen Anh, devenu Gia Long, tolère en effet les chrétiens, ses successeurs, eux, s’emploieront à nourrir le martyrologue de l’Eglise vietnamienne avec un zèle inégalé… Minh Mang, Trieu Tri et Tu Duc sont sans doute les plus acharnés : pour eux, il est d’autant moins question de tolérer le christianisme que le principe de piété filiale qui veut que l’empereur soit le « père » de tous ses sujets s’en trouve remis en question.
« La religion perverse des européens corrompt le cœur des hommes. », déclare Minh Mang en 1825.
Tu Duc (1847-1858), lui, va encore plus loin, puisque, refusant absolument d’ouvrir le pays, il va jusqu’à signer une suite de décrets qui condamne à mort tous les chrétiens qui s’y trouvent.
C’est du reste ce mélange d’intolérance religieuse et de xénophobie qui donne à Napoléon III le prétexte qu’il lui faut pour envoyer un corps expéditionnaire à Tourane (l’actuelle Danang) en 1858.
La suite est plus connue… Les Français prennent pied dans cette partie du monde et du même coup, les communautés chrétiennes peuvent enfin y prendre leur essor, ce qu’elles font effectivement durant toute la période coloniale.
Aujourd’hui, plus de 4 siècles après l’arrivée des tous premiers missionnaires, le Vietnam compte environ 6.000.000 de catholiques, auxquels il faut ajouter un certain nombre de communautés protestantes.
A Hanoï comme à Ho Chi Minh-ville, on trouve des cathédrales à l’architecture néo-gothique, qui montrent bien à quel point l’aventure de l’Eglise vietnamienne est, au moins sur le plan historique, étroitement liée aux desseins coloniaux de la France.