Parfois considéré comme une sorte de « Nobel asiatique », le prix Ramon Magsaysay existe depuis avril 1957. Institué conjointement par le gouvernement philippin et par les administrateurs du Rockefeller Brothers Fund, il récompense des personnalités asiatiques qui excellent dans tels ou tels domaines. Cette année, le prix a été attribué à cinq personnes ou entités : le réalisateur japonais Hayao Miyazaki, le travailleur social bhoutanais Phuntsho Karma, le défenseur de l’environnement indonésien Farhan Farwiza, le mouvement des médecins ruraux de Thaïlande et… Nguyen Thi Ngoc Phuong, une Vietnamienne qui a consacré toute sa vie aux victimes de l’agent orange, et dont le combat fait bien évidemment écho à celui de Tran To Nga.
Née en 1944 à Saïgon, l’actuelle Ho Chi Minh-ville, Nguyen Thi Ngoc Phuong est obstétricienne et gynécologue de son état. C’est en 1966, alors qu’elle n’est qu’une jeune interne de 22 ans que sa vie bascule.
« J’assistais à un accouchement à l’hôpital Tu Du. Et là, j’ai été horrifié de découvrir un nouveau-né sans boîte crânienne, le corps recouvert de poils, comme un singe », racontera-t-elle.
Anencéphalie, absence d'yeux, de nez et de membres… Nguyen Thi Ngoc Phuong ne sait pas, alors, que des nouveaux nés souffrant de diverses malformations congénitales, elle va en voir beaucoup.
« Pour vraiment comprendre le drame des mères qui donnent naissance à de tels enfants, il faut en être témoin de ses propres yeux. Certaines ne peuvent accepter la terrible réalité et deviennent folles… Certaines souffrent de dépression, tandis que d’autres sont abandonnées par leurs familles. Une telle souffrance est inimaginable », confiera-t-elle.
Une prise de conscience
Il faudra peu de temps à Nguyen Thi Ngoc Phuong pour faire le lien entre toutes ces malformations congénitales et les produits chimiques hautement toxiques utilisés par l’armée américaine pendant la guerre, à commencer par l’agent orange.
Dès 1976, au lendemain de la guerre, elle s’attelle à rassembler des preuves scientifiques de ce qu’elle pressent. Elle se rend notamment dans le delta du Mékong, dans des zones où de fortes concentrations de défoliant ont été déversées.
Les enquêtes qu’elle mène à Ben Tre et à Ca Mau en 1982 vont révéler que dans ces régions, le taux de fausses couches, de mortinatalité et de malformations congénitales est significativement plus élevé que dans d’autres régions.
Un combat inlassable
Forte de toutes les données qu’elle a pu collecter, Nguyen Thi Ngoc Phuong va présenter trois rapports sur les effets à long terme des herbicides et des défoliants lors d’une conférence internationale à laquelle participent des représentants de 22 pays. Nous sommes alors en 1983.
En 1987, elle présente de nouveau ses conclusions sur l'impact de la dioxine à l’occasion d'une conférence aux États-Unis. Deux ans plus tard, elle publie un article dans une revue scientifique britannique.
On la retrouve ensuite en 2008, alors vice-présidente de l’association des victimes vietnamiennes de l’agent orange, participant à plusieurs auditions à la Chambre des représentants des États-Unis. À chacune de ses interventions, elle insiste pour que les grandes firmes agrochimiques américaines soient enfin mises face à leurs responsabilités.
Dans l’intervalle, elle a créé le village de Hòa Bình, un sanctuaire pour des centaines d’enfants handicapés abandonnés par leurs familles. Beaucoup de ces enfants vont pouvoir y apprendre un métier et acquérir un début d’autonomie.
Mais Nguyen Thi Ngoc Phuong n’est pas seulement cette porte-étendard des victimes de l’agent orange auquel le prix Ramon Magsaysay vient d’être décerné. Elle est aussi l’une des pionnières de la fécondation in vitro (au Vietnam, et l’une des instigatrices du programme « Sage-femme au village », qui aura contribué à réduire la mortalité maternelle et les complications obstétricales dans les zones les plus reculées du pays.
« Tant que mon sang est encore chaud, je continuerai à faire des choses utiles », assure-t-elle aujourd’hui, du haut de ses 80 ans.