Après deux mois passés à la Villa Saigon, André Derainne est revenu avec un roman graphique intitulé Un orage par jour (éditions Keribus). Le magnifique ouvrage est une plongée dans un Ho Chi Minh à l’atmosphère humide, aux contrastes saisissants et aux découvertes culinaires donnant l’eau à la bouche.
Je connaissais finalement le Vietnam à travers sa cuisine
Qu’est-ce que vous a amené à faire une résidence de deux mois à la Villa Saigon ?
J'avais envie de faire le portrait d'une grande ville d'aujourd'hui, une mégalopole contemporaine en pleine mutation. Cela m'intéressait depuis longtemps et j'avais déjà commencé à le faire dans la fiction. Par ailleurs, j'avais une vraie curiosité pour le Vietnam parce que je ne le connaissais finalement assez peu. Alors que la communauté vietnamienne est assez importante en France, le Vietnam reste un pays assez méconnu. Même si j'avais vu quelques documentaires, je connaissais finalement le Vietnam à travers sa cuisine. Cela m'arrive souvent de lire des livres de cuisine, peut être même plus pour en apprendre sur la culture d'un pays que pour réaliser les recettes.
Ho Chi Minh-Ville est une ville extrêmement dynamique, qui a une cuisine très différente de la cuisine française, extrêmement riche et surtout méconnue. J’ai eu envie de réunir deux centres d’intérêt au sein d’un même projet : la cuisine et le portrait d'une grande ville. La cuisine vietnamienne est intimement liée à la ville et à son urbanisme. Cela m’a semblé intéressant de faire un cliché de cette ville à un moment donné. J’ai eu l’opportunité de le faire à la Villa Saigon.
L’orage est omniprésent dans votre roman graphique. Qu’est-ce que cette atmosphère a apporté à votre ouvrage ?
Je n’ai pas choisi le moment où j’allais me rendre au Vietnam. Cela a été décidé par la Villa Saigon. J’y suis allé en septembre et octobre, une période où l’orage apporte une atmosphère particulière à la ville. Le quotidien est rythmé par les orages. L’atmosphère y est lourde, humide et chaude. Cela donne à la ville une lumière et une couleur particulières.
J’ai dessiné sur une trentaine de petits carnets. Je les remplissais avec des croquis de la ville. J’ai été étonné au début par ce ciel constamment gris et qui vire au gris foncé quand l’orage éclate. Le gris est donc très présent dans l’ouvrage et nous avons beaucoup travaillé avec mon éditeur Keribus pour que cette couleur ressorte bien à l’impression. C'était pour moi une des couleurs dominantes de la ville mais en contraste avec les couleurs beaucoup plus éclatantes et colorées des petits tabourets en plastique et du mobilier urbain. J’ai reproduit avec des encres ce gris mais aussi du rouge, du bleu, du orange ou du vert beaucoup plus flashy.
J’ai eu beaucoup de mal à reproduire la pluie
Comment peut-on faire comprendre les odeurs et les saveurs en couleurs ?
J’ai eu beaucoup de mal à reproduire la pluie. Elle n’est pas évidente à dessiner, mais l’encre était la technique la plus adaptée pour retranscrire cette atmosphère humide. Pour la cuisine, c’était encore un autre défi. J'ai d'abord dessiné tout le livre sans dessiner les plats et j'ai commencé à faire la cuisine à la fin, au moment où je me sentais un peu plus à l'aise. Heureusement, la bande dessinée, c'est du dessin mais c’est aussi du texte. Je pense que le texte était pour moi essentiel pour parler des plats et décrire leur température ou leur consistance. Et puis j'ai choisi aussi un dessin assez simple, parfois proche de l'abstraction. J'avais besoin du texte pour venir contrebalancer cela et être plus précis dans la description des plats.
Quelles sont vos plus belles découvertes culinaires au Vietnam ?
J’évoque plusieurs plats dans le livre. Il y a une soupe qui n’est pas très connue au Vietnam et qui s’appelle Canh chua nghêu tì là. C'est une soupe de palourdes délicieuse au riz fermenté avec des caramboles. Elle est à la fois légèrement acide, un peu sucrée, un peu salée, comme souvent au Vietnam. Pour moi, ce mélange de saveurs caractérise le Vietnam du Sud. J’aime aussi beaucoup le Bò lá lốt, du boeuf grillé dans une feuille de lá lốt, de la famille du poivrier. Cela se mange avec des herbes fraîches. Sinon tous les matins, j’avais pris l’habitude de manger dans la rue, en bas de chez moi, des Bánh cuốn, des galettes à base de riz et farcies au porc et aux champignons noirs.
A un moment vous décrivez un plat comme étant « mi-chaud mi-froid, mi salé-mi sucré, mi-mou, mi-croustillant » Vous dites que vous en perdez vos repères papillaires. Est-ce un parallèle à faire avec le Vietnam en lui-même, un pays plein de contrastes ?
Je ne sais pas mais c’est sûr que cela caractérise la cuisine vietnamienne. Quand je suis arrivé au Vietnam, j'ai décidé de marcher une quinzaine de kilomètres par jour avec cette idée de découvrir tous les quartiers de la ville. Même si cela s’est avéré impossible, j’ai pu voir une grande partie de la ville et c’est vrai que le contraste est évident. Il y a des quartiers riches très calmes et des quartiers populaires beaucoup plus animés. Mais je pense que ce contraste peut se retrouver à Paris ou dans d’autres villes.
Il ne se passe pas une semaine sans que je ne cuisine vietnamien ou que je n’évoque le Vietnam
Que vous reste-t-il d’Ho Chi Minh aujourd’hui ?
Encore beaucoup de choses. En revenant en France, j’ai continué à apprendre le vietnamien. Dans un premier temps, cela m’a aidé dans l'écriture de mon livre mais finalement cela m’a énormément intéressé. J’ai continué à en apprendre davantage sur la cuisine vietnamienne, l'histoire de la colonisation et cette histoire du Vietnam si complexe. Avec l’écriture de mon livre, je me suis plongé de nouveau dans la culture vietnamienne. Aujourd’hui, j'ai envie d'y retourner. Il ne se passe pas une semaine sans que je ne cuisine vietnamien ou que je n’évoque le Vietnam. Le Vietnam est très présent dans ma vie. J’ai gardé beaucoup de contacts sur place, notamment les personnes présentes dans mon livre. J’ai envie de retrouver le Vietnam, de le parcourir pendant plusieurs mois et de le découvrir en dehors d’Ho Chi Minh.