Les acteurs d'origine asiatique et leurs films vont-ils faire une razzia sur les Oscars? Complètement inédite, cette question qui domine la cérémonie de dimanche atteste d'une percée remarquable à Hollywood, que les principaux intéressés jugent "bien tardive".
Michelle Yeoh, Ke Huy Quan et Stephanie Hsu ont une chance de remporter une statuette pour leurs prestations dans la comédie déjantée "Everything Everywhere All At Once", favorite pour le prix du meilleur film, et l'actrice Hong Chau est également en lice pour son second rôle dans "The Whale".
Il y a donc autant de nommés cette année que d'acteurs d'origine asiatique à avoir remporté un Oscar en 95 ans d'existence: quatre.
Le film indien "RRR" part lui favori pour le prix de la meilleure chanson, et le Nobel de littérature Kazuo Ishiguro est nommé pour le meilleur scénario avec "Vivre".
Le palmarès 2023 a ainsi toutes les chances d'être exceptionnel. La Malaisienne Michelle Yeoh pourrait notamment devenir la première comédienne d'origine asiatique récompensée par l'Oscar de la meilleure actrice, pour son rôle d'immigrée chinoise forcée de sauver l'univers dans "Everything Everywhere".
"Pourquoi les personnages blancs sont-ils les seuls à vivre des aventures amusantes, alors que les protagonistes asiatiques, noirs et latino-américains sont obligés de souffrir?", s'interroge auprès de l'AFP le producteur américano-taïwanais du film, Jonathan Wang.
- "Renverser la vapeur" -
Co-dirigé par un réalisateur d'origine chinoise, Daniel Kwan, ce film indépendant a récolté 11 nominations aux Oscars, après avoir engrangé 100 millions de recettes avec sa billetterie. De quoi prouver que le grand public apprécie des histoires incarnées différemment.
"Il est temps de renverser la vapeur et les gens vont se précipiter en salles", estime M. Wang.
L'époque endurée par le patriarche du film, James Hong, qui a rappelé fin février à 94 ans qu'Hollywood préférait autrefois brider les yeux des acteurs blancs avec du scotch plutôt que d'embaucher des acteurs asiatiques, semble bien loin.
Mais la reconnaissance exprimée par ces nominations est "bien tardive", souligne Snehal Desai, le directeur artistique des East West Players, une troupe de théâtre fondée par M. Hong lui-même en 1965 pour promouvoir les acteurs d'origine asiatique à Los Angeles.
La superstar des arts martiaux Michelle Yeoh et l'acteur d'origine vietnamienne Ke Huy Quan, révélé dès les années 1980 dans "Indiana Jones et le Temple Maudit", sont "des artistes qui font ce travail depuis des décennies", souligne M. Desai. La reconnaissance de leur talent "n'aurait vraiment pas dû prendre aussi longtemps".
Le retour éclatant de Ke Huy Quan, contraint de quitter pendant plus de 20 ans le métier d'acteur faute d'opportunités, souligne d'ailleurs en creux la frilosité persistante d'Hollywood.
Kristina Wong peut en attester. A l'affiche d'un "one woman show" co-produit par la troupe East West Players, l'humoriste s'est mise à écrire ses propres créations, car c'était selon elle le seul moyen de raconter ses histoires "bizarres" d'immigrée.
"C'est ça ou auditionner pour des publicités de chewing-gum", explique-t-elle à l'AFP. "J'ai vécu cette vie. Et c'est nul. Ce n'est pas épanouissant d'un point de vue créatif".
- Solidarité -
Pour elle, il y a encore "un manque d'opportunités en général".
Mais la comédienne, dont le spectacle a été nominé pour le prestigieux prix Pulitzer l'an dernier, considère également le succès d'"Everything Everywhere All At Once" comme un signe encourageant.
"Il y a un public prêt à être surpris" par de nouvelles histoires, estime-t-elle.
L'inclusion des communautés asiatiques aux Oscars reste toutefois très limitée. Seuls 23 prestations d'acteurs ont été nommées en tout, soit 1,2% des nominations depuis 95 ans, selon un décompte du New York Times. Le seul à avoir été nommé plus d'une fois est l'acteur d'origine indienne Ben Kingsley.
Et il n'y a jamais eu d'année où plus d'un acteur asiatique a raflé un Oscar. Un scénario qui pourrait changer cette année.
Si les choses évoluent, c'est aussi grâce à une solidarité nouvelle, d'après Joel Kim Booster. Né en Corée du sud, l'acteur a joué dans la récente comédie romantique gay "Fire Island". Un film qui doit beaucoup selon lui à l'implication de deux cadres d'origine asiatique du studio Searchlight.
Pendant longtemps, les rares représentants de minorité capables de se faire une place à Hollywood ont adopté "une mentalité revenant à fermer la porte derrière eux", tentant de garder les rôles pour eux seuls, estime-t-il. "Je pense que ça a largement disparu."