En tant qu’expatrié, il est essentiel d’anticiper sa succession internationale pour se prémunir des éventuels risques. Une question importante se pose alors : comment choisir la loi applicable à sa succession ? Quels critères prendre en compte et comment réaliser ces démarches ? Le notaire Pierre Tarrade nous éclaire sur le sujet.
Lepetitjournal.com : Peut-on tout d’abord rappeler les spécificités des successions internationales pour un non-résident français ?
Pierre Tarrade : Le propre d’une succession internationale, c’est de mettre en présence plusieurs systèmes juridiques, qui pourraient vouloir s’y appliquer.
Pour un Français établi hors de France, on comprend bien ce que cela peut vouloir dire : il vit dans un pays, où il possède des biens, mais il a la nationalité d’un autre pays, dans lequel il a potentiellement également des biens : un compte en banque, un bien immobilier, des biens de famille…
Or, le droit international privé, qui est la discipline qui permet justement de déterminer quelle législation va s’appliquer lorsque plusieurs sont en concurrence, se réfère habituellement à tous ces critères : la nationalité, la résidence, le domicile (ce qui n’est pas toujours pareil), ou la situation des biens.
Certains pays ont un critère unique, et soumettent toute la succession, quelle que soit la situation des biens, à un rattachement unique : en général la résidence ou la nationalité. D’autres préfèrent soumettre la succession à plusieurs droits : en particulier, les biens immobiliers sont alors soumis à la loi du pays où ils se trouvent.
Comment s’organiser ? Comment faire en sorte qu’il n’y ait pas de conflit entre les systèmes juridiques ? Que ce qui est valable dans un pays le soit aussi dans l’autre ? Et que, si je prépare ma succession, le droit qui sera appliqué à mon décès permette d’exécuter mes volontés comme je l’avais anticipé ?
Quelle est la loi applicable par défaut à la succession, en l’absence de testament ?
Depuis l’entrée en application du Règlement européen sur les successions internationales, la règle qui s’applique, du point de vue français et dans tous les Etats membres de l’Union (sauf le Danemark, l’Irlande et - déjà, à l’époque - le Royaume-Uni), est la suivante : la loi qui s’applique à une succession est celle qui correspond à la résidence habituelle du défunt.
Cette règle est dite « universelle », dans la mesure où elle s’applique même si la loi ainsi désignée est celle d’un pays qui n’est pas membre de l’Union européenne.
La règle connaît toutefois deux exceptions. La première, plus importante, est le « renvoi » : quand la loi de la résidence habituelle est celle d’un pays qui n’a pas le même critère, c’est cette loi à laquelle la loi étrangère renvoie elle-même qui s’applique.
Par exemple : un Français qui vit habituellement en Belgique, pays membre de l’UE et qui applique le règlement, verra sa succession soumise au droit belge. C’est le droit de la résidence habituelle, et le droit belge se reconnaît compétent, puisqu’il a par définition le même critère, celui du Règlement.
Si en revanche le Français vit au Maroc, dont le critère est celui de la loi de la nationalité (c’est en pratique un peu plus compliqué que cela, car sa confession sera prise en compte !), on suivra le droit marocain désigné par le Règlement, et on appliquera le droit français, loi nationale du défunt, par l’effet du renvoi.
Le second correctif est plus anecdotique mais il peut être important pour un expatrié temporaire : le Règlement européen admet que parfois, la loi de la résidence habituelle n’est pas celle avec laquelle le défunt avait les liens « manifestement les plus étroits ». C’est le cas par exemple du Français en mission quelques années à l’étranger, mais qui a laissé ses biens et sa famille en France. Il est envisageable, alors, de lui appliquer la loi française.
On comprend tout de même que la situation n’est pas si évidente, notamment parce que tous les pays n’appliquent pas les mêmes critères. Il peut y avoir une incertitude quant à la loi qui sera effectivement appliquée par les autorités de chacun des pays impliqués par la succession. D’où l’utilité, quand c’est possible, de procéder à un choix de loi.
Si je rédige un testament, quels choix s’offrent à moi et quelles sont les portées et limites de chaque loi applicable ?
Le Règlement européen a effectivement prévu la possibilité de désigner expressément la loi applicable à sa succession. L’outil naturel pour cela est le testament.
Le testateur a alors le choix de désigner à la place de la loi de sa résidence habituelle, la loi d’un pays dont il a la nationalité.
C’est un choix assez ouvert, car la loi en question peut-être celle d’un pays dans lequel le Règlement européen s’applique, ou non. De plus, si le testateur a plusieurs nationalités, il peut librement choisir entre elles. Le fait qu’il ait la nationalité française ne l’empêche pas d’en choisir une autre dont il serait également titulaire.
La portée de ce choix est importante car il sera efficace pour régir, du point de vue français, l’ensemble de la succession. Mais il se heurte encore une fois à la diversité des solutions retenues dans le monde : si un pays impliqué par la succession, notamment parce que des biens du défunt s’y trouvent, n’admet pas la possibilité de désigner la loi applicable, le choix de loi risque fort de ne pas y être respecté !
Comment désigner la loi applicable à sa succession ? Quels critères prendre en compte ?
Pour un expatrié, organiser le règlement de sa succession suppose justement d’anticiper ces contradictions. Il faut qu’il prenne en compte les différents droits qui ont vocation à s’appliquer, et qu’il fasse en sorte de trouver des solutions compatibles avec tous ces systèmes juridiques.
Il faut ensuite qu’il prépare des actes, en particulier son testament, dans une forme qui sera acceptée et comprise de la même façon partout.
Une solution est par exemple de désigner comme applicable la loi qui a le plus de chances de trouver à s’appliquer pour le plus grand nombre de biens, ou pour les biens les plus importants, et ensuite d’organiser sa succession à partir de ce droit-là, mais en gardant toujours un œil sur le résultat que cela produira ailleurs.
Avez-vous d’autres conseils pour aider les non-résidents à faire le meilleur choix ?
Pour arriver au résultat que je viens d’évoquer, et maîtriser le plus possible le règlement de sa succession, l’expatrié doit absolument consulter les juristes, les notaires ou leurs équivalents locaux, dans les différents pays impliqués, et faire en sorte que ces différents conseils échangent entre eux, pour bien s’assurer de la compatibilité et de la cohérence des solutions qu’il va adopter.
A cette occasion, il ne faut pas non plus perdre de vue les enjeux fiscaux, car les principes que je viens d’exposer ne concernent que les règles civiles qui s’appliquent à la succession : qui hérite, et dans quelles proportions. Pour les règles fiscales, il faut se référer aux critères propres à chaque pays et, quand elles existent, aux conventions bilatérales qui ont pu être signées entre deux Etats pour éviter les doubles impositions.
Pour en savoir plus sur les successions internationales, rendez-vous sur le site
www.notaires.fr