« Le 29 octobre 2025, notre proposition de loi pour ajouter la notion de non-consentement à la définition pénale du viol et des agressions sexuelles a été définitivement votée par le Sénat, à la suite de l’Assemblée nationale », affirme la sénatrice Mélanie Vogel, à l’origine du texte. La France rejoint le mouvement européen qui redéfinit le viol à travers la notion de consentement. Décryptage avec la sénatrice et le magistrat François Lavallière, sur la portée réelle de cette réforme et sur les pays qui, à travers le monde, ont déjà franchi ce cap.


« Le consentement est désormais inscrit dans nos lois, pour que demain, il le soit dans nos rapports sociaux », exprime la sénatrice Mélanie Vogel. Le Sénat a adopté, le 29 octobre 2025, le texte inscrivant explicitement la notion de consentement dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, par 327 voix contre 15 abstentions. À présent, la France s’aligne sur plusieurs pays européens comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, la Belgique, Malte, l’Espagne ou encore la Norvège qui ont fait du consentement le cœur de leur législation pénale. Pour la sénatrice Mélanie Vogel, « c’est une grande victoire pour Les Écologistes qui en sont à l’initiative, mais son adoption est largement transpartisane, ce qui démontre que les parlementaires de tous bords adhèrent aujourd’hui à cette formule que “sans oui, c’est non”. Et que, malgré un oui, parfois c’est quand même non. »
Qu’est-ce que cela change concrètement ?
« Cette réforme fait entrer dans le champ pénal des situations qui n’étaient pas nécessairement couvertes par le texte antérieur », explique le magistrat et maître de conférences en droit pénal à Sciences Po Rennes, François Lavallière. Jusqu’en octobre 2025, la loi ne reconnaissait le viol ou l’agression sexuelle qu’en cas de violence, menace, contrainte ou surprise. Désormais, l’absence de consentement suffit à caractériser l’infraction. En tant qu’ancien procureur, juge d’instruction et président de tribunal correctionnel, il confie avoir souvent été confronté à des situations où, faute d’un cadre légal clair, il ne pouvait pas envisager de condamnation. « Certaines victimes ne voulaient pas l’acte sexuel mais n’ont pas réussi à exprimer leur désaccord. Cela pouvait être dû à des rapports de domination, de subordination, à des liens hiérarchiques, ou encore à un état de sidération, un phénomène que l’on reconnaît de mieux en mieux aujourd’hui », poursuit le magistrat.
L’application The Sorority de Priscillia Routier-Trillard aide à lutter contre l’effet de sidération. Il s’agit d’une interruption brutale des processus mentaux face à un événement perçu comme insupportable. Il entraîne une paralysie temporaire des fonctions cognitives et motrices, empêchant la victime de réfléchir, de s’exprimer ou de bouger. Reconnue et labellisée par le Ministère de l’Intérieur français, l’application The Sorority œuvre pour donner une solution immédiate face au danger, sortir de l’état de sidération face au choc de la brutalité imprévue, que l’on soit victime ou spectateur.
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Si certaines de ces situations pouvaient déjà être interprétées comme de la contrainte ou de la surprise, « l’élément intentionnel posait souvent problème pour caractériser l’infraction », précise-t-il. L’introduction explicite du non-consentement vient combler cette zone grise.

« On ne demandera plus aux victimes pourquoi elles n’ont rien dit, et l’effet de sidération, qui touche environ 70 % des victimes, ne pourra plus être interprété comme une forme d’acceptation », précise Mélanie Vogel.
Pour la sénatrice Mélanie Vogel, cette évolution vise avant tout à mieux rendre justice. « Alors qu’à peine 1 % des coupables de viol sont condamnés, et que d’un bout à l’autre de la France, le droit n’était pas le même pour toutes les victimes, dépendant des pratiques des différentes juridictions. » C’est un basculement de la culture du viol à celle du consentement. « On ne demandera plus aux victimes pourquoi elles n’ont rien dit, et l’effet de sidération, qui touche environ 70 % des victimes, ne pourra plus être interprété comme une forme d’acceptation », explique-t-elle. Cette reconnaissance juridique du non-consentement agit aussi sur la culpabilité des victimes, souvent tétanisées par l’impossibilité d’avoir réagi. Aujourd’hui encore, seules 10 % des victimes de viols ou d’agressions sexuelles en France portent plainte, selon le rapport de l’Assemblée nationale.
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« Le viol n’est pas toujours un acte commis dans une ruelle sombre par un inconnu armé. Plus de 90 % des viols et agressions sexuelles sont commis par un proche », exprime François Lavallière.
Pour François Lavallière, la réforme du consentement dépasse la seule portée symbolique. « Même si ce n’était qu’un geste symbolique, ce serait déjà essentiel. Cela permettrait de former les jeunes générations à une vision saine et égalitaire des relations sexuelles. Le consentement, c’est une question de respect et de dignité. » Ce changement de paradigme permet aussi de déconstruire les clichés qui pèsent encore sur les victimes. « Le viol n’est pas toujours un acte commis dans une ruelle sombre par un inconnu armé. Plus de 90 % des viols et agressions sexuelles sont commis par un proche », explique-t-il.
La loi aide aussi à briser les stéréotypes qui justifient trop souvent l’inacceptable. « Dire qu’une femme qui accepte un verre, qui monte dans une chambre d’hôtel ou se déshabille a forcément consenti à un rapport sexuel, c’est un mythe sexiste », justifie le magistrat. Le Canada, rappelle-t-il, a d’ailleurs formalisé ces mythes du consentement dans sa jurisprudence pour mieux les écarter des prétoires.
Une définition claire et encadrée du consentement
Auditionné à plusieurs reprises par la Délégation aux droits des femmes, à l’origine de la proposition de loi, François Lavallière témoigne que les travaux menés ont permis « d’aboutir à une définition du consentement claire et précise ». Il explique, « le postulat est simple, tout acte non consenti est une agression sexuelle et s’il y a pénétration ou acte bucco-génital, c’est un viol. » Le texte, poursuit-il, « donne une définition exigeante du consentement. Il doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable ». Ces cinq critères visent à écarter un certain nombre de craintes, notamment celles de situations où des femmes disaient « oui » parce qu’elles n’avaient pas le choix de le dire.

« En affirmant que le consentement doit être libre, on pose comme postulat qu’il faut être certain que la femme pouvait s’opposer, qu’elle était en pleine liberté de son choix », souligne le magistrat en insistant sur le caractère préalable et explicite du consentement. Selon lui, cette définition s’inspire des modèles belge et canadien, le Canada ayant introduit une telle approche dès 1990.
La France s'aligne enfin sur la Convention d'Istanbul de 2011
« Nous sommes loin d’être le premier pays à nous doter d’une définition pénale du viol et des agressions sexuelles fondée sur la notion de consentement », rappelle Mélanie Vogel. La Convention d’Istanbul, adoptée le 11 mai 2011 par le Conseil de l’Europe, exige des États signataires qu’ils fassent du consentement libre et éclairé un élément central de leur législation pénale pour les infractions sexuelles. Une quinzaine de pays, dont l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Suède ou Malte, avaient déjà intégré la notion de non-consentement dans leur droit pénal conformément à la Convention d’Istanbul. « Même si la France a été pionnière en inscrivant le droit à l’IVG dans sa Constitution, elle n’est aujourd’hui que le 20ᵉ pays européen à reconnaître officiellement que le viol repose sur l’absence de consentement », précise la sénatrice.
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Cette évolution répond également aux recommandations du groupe d’experts du Conseil de l’Europe (GREVIO), chargé de vérifier l’application de la Convention d’Istanbul. Dans son rapport du 16 septembre 2025, le GREVIO avait pointé le retard français, estimant que la définition du viol alors en vigueur ne permettait pas une réelle protection des victimes et appelant à mettre le consentement au cœur de la loi pénale. François Lavallière rappelle que ce changement aurait pu intervenir bien plus tôt « Depuis 2011, nous aurions dû adapter notre droit à la Convention d’Istanbul. L’article 36 n’avait toujours pas été intégré dans notre dispositif interne. La France a donc longtemps maintenu une approche fondée sur la preuve de la violence, de la menace, de la contrainte ou de la surprise. En l’absence de ces éléments, on présumait le consentement. » Une situation qu’il jugeait aberrante. « C’était l’un des seuls domaines où, sans réaction de la victime, on considérait qu’elle était d’accord. En matière de vol, personne ne dirait qu’une victime qui ne crie pas a consenti à se faire dérober ses biens. Pourtant, en matière d’infractions sexuelles, l’absence de résistance suffisait encore à semer le doute. »

Selon lui, cette réforme corrige enfin une incohérence historique du droit français. « Être sur le terrain de l’intimité, avec toutes les conséquences psychotraumatiques que cela implique, nécessitait de revoir notre cadre légal. Il était urgent de sortir de cette présomption de consentement. Même si, à l’échelle mondiale, nous sommes encore loin d’une reconnaissance universelle du consentement, cette réforme française envoie un signal fort. Elle participe à un mouvement global, impulsé par la Convention d’Istanbul et relayé par notre diplomatie féministe », exprime-t-il.
Vers une meilleure prise en charge des victimes hors de France
Le magistrat François Lavallière insiste sur un point qu’il juge essentiel : la réforme ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence. « Il faudra toujours démontrer que l’auteur n’a pas vérifié le consentement ou qu’il a obtenu un consentement invalide parce que la personne était endormie, alcoolisée ou soumise à violence, menace ou surprise. Il n’y a pas de présomption de viol ni de culpabilité automatique. » Il précise également que la charge de la preuve reste entièrement sur les autorités. « Le procureur ou le juge d’instruction doivent apporter les preuves. Si elles ne parviennent pas à démontrer l’absence de consentement ou l’usage de violences, il n’y aura pas de condamnation. »
« Cette loi ne fera pas passer le taux de condamnation de 1 % à 95 %. Mais elle permettra une augmentation significative des condamnations, comme l'a montré l’exemple de la Suède, où elles ont progressé de 75 % en quelques années », témoigne le magistrat.
« Cette loi ne fera pas passer le taux de condamnation de 1 % à 95 %. Mais elle permettra une augmentation significative des condamnations, comme l'a montré l’exemple de la Suède, où elles ont progressé de 75 % en quelques années. Et surtout, l'entrée en vigueur de telles dispositions met du temps. Elle ne concerne que les faits commis après son entrée en vigueur. Les anciennes affaires ne sont pas révisées », conclut-il.
Qu’est-ce que la violence économique en expatriation et comment s’en prémunir ?
Pour la sénatrice Mélanie Vogel, un enjeu central de son action parlementaire est la prévention et la prise en charge des violences sexuelles et conjugales, qu’elle juge encore largement insuffisantes, y compris pour les Français et Françaises de l’étranger. « En France, une femme sur six est victime de violences sexuelles au cours de sa vie et une sur dix subit des violences conjugales. Pour les Françaises vivant à l’étranger, ces violences ne sont pas chiffrées, mais leur prévalence pourrait être au moins équivalente, aggravée par la dépendance financière ou administrative à l’agresseur, l’isolement social et familial, les barrières linguistiques ou encore la méconnaissance du droit local », explique-t-elle.
Mélanie Vogel : “Amorcer le passage de la culture du viol à celle du consentement”
« Ces mesures simples peuvent sauver des milliers de vies. Espérons que les parlementaires et le gouvernement auront le courage politique de les soutenir », exprime la sénatrice Mélanie Vogel.
« Dans un contexte où l’emprise de l’agresseur peut être décuplée, il est urgent de proposer des solutions et une voie de sortie aux victimes, et au minimum de rendre accessibles à l’étranger les dispositifs déjà existants en France. » La sénatrice affirme continuer de défendre des initiatives qui donneront bientôt naissance à une proposition de loi spécifique pour la protection des femmes et des enfants à l’étranger, prévue pour novembre 2025. « Ces mesures simples peuvent sauver des milliers de vies. Espérons que les parlementaires et le gouvernement auront le courage politique de les soutenir. »
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