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Les expatriés de l’espace : bientôt une édition lepetitjournal.com sur Mars ?

Alors que certaines élites envisagent sérieusement l’installation d’êtres humains hors de la Terre, la figure de l’expatrié spatial se dessine. Pierre-José Billotte, auteur d’Homo Solaris et pionnier du New Space en France, trace les contours de cette migration inédite vers les étoiles. Mais cette vision futuriste est loin de faire l’unanimité. S’expatrier sur Mars, est-ce une réalité convoitable… ou une fuite en avant ?

Deux personnes en combinaison spatiale sur marsDeux personnes en combinaison spatiale sur mars
Photo de RDNE Stock project imaginant des humains sur Mars
Écrit par Liz Fredon
Publié le 28 mai 2025, mis à jour le 13 juin 2025

 

« En 2019, en France, c’est l’omerta. Personne ne parle de New Space. Le CNES n’en parle pas, les industriels y voient une menace américaine, et les journalistes s’en désintéressent. » C’est dans ce climat d’indifférence et de réticence que Pierre-José Billotte, théoricien et entrepreneur tech, décide d’agir. Le New Space, c’est la révolution industrielle à l’échelle du secteur spatial. Il lance alors les Assises du New Space, devenues depuis 2022 la principale conférence spatiale française, et rédige le premier rapport national sur le sujet : Ambition New Space 2027. En 2025, il écrit Homo Solaris, essai visionnaire qui interroge ce que cette conquête spatiale révèle de notre époque. Pour le théoricien, ce mouvement, porté par des entreprises privées comme SpaceX d’Elon Musk ou Virgin Galactic — qui bouleversent l’écosystème spatial : moins d’État, plus de marché — n’est pas qu’une révolution technologique, mais aussi le catalyseur d’un bouleversement civilisationnel, porteur de nombreux sujets sociologiques et philosophiques qui ouvrent au débat.

Mais ce glissement vers un espace ultra-libéralisé interroge, faut-il confier l’avenir spatial de l’humanité à quelques milliardaires ? Certains y voient une privatisation de ce qui devrait rester un bien commun, lorsque l’argent pourrait être investi dans des problématiques terrestres urgentes.

 

États, entreprises ou particuliers : à qui appartient l’espace ?

 

En 2012, le projet Mars One propose à tout un chacun de candidater pour devenir colon martien, ambitionnant l’implantation d’une colonie humaine d’ici 2032. Le rêve tourne court, l’entreprise est déclarée en faillite en 2019. Aujourd’hui, c’est SpaceX, sous l’impulsion d’Elon Musk, qui porte le flambeau. Son objectif est de rendre possible une colonisation permanente et autonome de Mars d’ici 50 à 100 ans. Aujourd’hui, Elon Musk se vante que sa fusée Starship peut atteindre Mars en 6 mois tous les 26 mois, lorsque les planètes s’alignent de la bonne manière.

 

 

 

 

Après Homo erectus, Homo solaris, une nouvelle migration logique de l’humanité 

« Le moment qu’on vit aujourd’hui, pour moi, est comparable à celui d’Homo erectus. Grâce à la technologie, il s’est affranchi de son assignation à résidence africaine. Aujourd’hui, Homo sapiens s’apprête à faire la même chose avec la Terre. », amorce Pierre-José Billotte. Ce parallèle anthropologique est au cœur de son raisonnement, et un point de vue partagé par tous les convaincus de la colonisation de l’espace. Pour lui, nous sommes déjà entrés dans l’ère de la civilisation spatiale. Des signes existent : des cendres envoyées en orbite, des entreprises conçues pour opérer hors Terre, des stations privées en construction…

 

Se dire "oui" dans l’espace, parés au décollage en 2025 ?

 

Cette analogie, séduisante, se heurte à une question :  la migration vers l’espace est-elle aussi naturelle que celle des premiers hommes ? Selon Thomas Jestin pour le média Contrepoints, cette perspective masque la complexité des enjeux actuels. Ce ne serait pas l’absence d’espace qui freine l’humanité, mais l’incapacité à bien gérer ce qu’elle a déjà.

 

 

Planète mars
Photo de Planet Volumes sur Unsplash

 

 

Mars, sixième continent de l’humanité

Pour Pierre-José Billotte, Mars est bien plus qu’un caillou stérile : « Mars a été une Terre. Avec des océans, des montagnes, une atmosphère chaude. Elle conserve les caractéristiques géologiques d’une planète vivable. » Elle est la cible privilégiée de cette nouvelle aventure humaine, et ce, pour plusieurs raisons : la présence d’eau, de minerais (comme l’or, le titane), d’un potentiel énergétique… mais surtout d’un espace à habiter.

« Mars pourrait, à long terme, accueillir des centaines de millions d’habitants. »

« La surface de Mars équivaut à celle de tous les continents terrestres réunis. Elle pourrait, à long terme, accueillir des centaines de millions d’habitants. » Certains scientifiques rappellent que les défis techniques sont colossaux : terraformation, approvisionnement, gestion des déchets… Beaucoup de progrès techniques sont à cocher avant d’imaginer un avenir martien, mais l’humain en est capable.

 

Pourquoi partir ? Les multiples raisons d’une expatriation martienne

L’un des chiffres marquants que l’on peut lire dans l’introduction d’Homo Solaris, est que 64,5 millions d’adultes américains sont prêts à vivre et mourir sur Mars, selon un sondage aux États-Unis. À titre de comparaison, il y a actuellement 66,4 millions d’habitants en France hexagonale.

« Mon père a quitté son village pour vivre une vie d’aventure. Ma mère, parce que son monde s’écroulait. Ce sont exactement les mêmes raisons qui pousseront certains à partir sur Mars. » Les motivations sont nombreuses : spirituelles, économiques, écologiques, utopiques… tout simplement humaines ? La curiosité pousse l’Homme à la découverte, parfois aux dépens de ce qu’il connaît déjà, ou aux dépens de ce qu’il a à découvrir, comme l’illustre la conquête de l’Amérique. À cela s’ajoute justement la quête d’un « nouveau rêve américain », mais version spatiale : salaires élevés, main-d’œuvre recherchée, construction de nouvelles sociétés.

 

 

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« Coloniser Mars ? Commençons par coloniser notre propre conscience »

 

Mais certains y voient une fuite en avant. Est-il raisonnable de rêver de Mars quand tant de défis urgents nous attendent sur Terre ? Ne risque-t-on pas de détourner des moyens colossaux de la lutte contre les inégalités ou le changement climatique ? « Investir dans l’espace alors qu’on ne sait même pas vivre en paix sur Terre, c’est comme repeindre un bateau qui coule. [...] Coloniser Mars ? Commençons par coloniser notre propre conscience, c’est un territoire bien plus inconnu. », commente Steve Dubois, utilisateur de la plateforme Usbek & Rica.

 

Une expatriation pas réservée aux élites

« On pense souvent que seuls les milliardaires pourront partir. C’est faux. Le modèle, c’est la colonisation américaine. Ce sont les pauvres et les classes moyennes qui sont partis. », plaide Billotte, évoquant un parallèle avec les migrants du XVIIe siècle, qui vendaient sept ans de travail en échange de leur traversée vers l’Amérique. Sur Mars, le coût estimé d’un billet avoisine les 300.000 euros : « L’équivalent d’un deux-pièces à Paris. » Cela pose cependant des questions éthiques sur le “travail sous contrat” spatial. Mais à qui appartiendra Mars ? À ceux qui auront les moyens d’y aller ou bien de l’exploiter ?

 

 

Une colonie humaine sur Mars
Une colonie humaine sur Mars imaginée par l'Intelligence Artificielle

 

 

Vivre sur Mars : entre cités-dômes et habitats troglodytes

« On vivra dans des dômes transparents, un peu comme les malls américains, avec magasins, loisirs, écoles. Et dans des habitats troglodytes ultramodernes, protégés des radiations. », imagine le théoricien. La planète rouge reste hostile, entre températures extrêmes (de +20 à -160°C), radiations et atmosphère irrespirable. Mais la vie y est possible, selon lui, grâce aux technologies et à la résilience humaine. L’architecture martienne est déjà en cours d’études.

Selon Contrepoints, les écosystèmes martiens, même rudimentaires, pourraient être irrémédiablement altérés par la présence humaine, pouvant causer une nouvelle forme de colonialisme écologique, posant des questions éthiques. Car coloniser, c’est aussi transformer, souvent sans retour.

 

Envoyer des humains sur Mars, un projet prometteur mais risqué

 

 

« Il y a une proportion naturelle de l’humain à s’étendre partout où il le peut. » 

 

Un pari pour la survie et l’élan vital

L’argument le plus fréquemment avancé est celui de la survie : « L’humanité ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Il faut un backup », indique Pierre-José Billotte en citant Stephen Hawking, également de cet avis. Catastrophes climatiques, astéroïdes, changements climatiques majeurs, guerres… Coloniser l’espace serait une forme d’assurance-vie pour l’espèce humaine. Mais pour lui, l’expansion ne se réduit pas à cela : « Il y a une proportion naturelle de l’humain à s’étendre partout où il le peut. Et tant qu’il existera, il continuera. »

Mais cette rhétorique divise. Pour ses détracteurs, penser la survie hors Terre revient à admettre l’échec de la gestion planétaire. Pourrait-ce même désengager les décideurs d’investir dans la préservation de la planète bleue ? L'exploration spatiale pourrait tout de même stimuler l'innovation et le développement de nouvelles technologies qui pourraient avoir des applications bénéfiques sur Terre (matériaux, énergie, médecine). D'autres planètes pourraient d’ailleurs renfermer des ressources abondantes qui permettraient de résoudre les problèmes d'épuisement des ressources terrestres.

 

 

Astronaute sur Mars
Photo de Nicolas Lobos sur Unsplash

 

 

Y aurait-il désormais un futur où les expatriés de demain ne changeront plus de continent, mais de planète ? Un futur où l’aventure humaine s’écrirait, à coup de milliards de dollars, dans les confins du système solaire. À ce rythme la prochaine génération sera peut-être celle qui pourra s’expatrier dans l’espace. 

 

« L’humain est celui qui devient Homo Solaris. »

 

« Je me considère comme un humain, pas comme un terrien. L’humain est celui qui devient Homo Solaris. Le terrien, lui, ne bougera pas. », conclut Pierre-José Billotte. Les terriens, ce sont ceux qui, à l’inverse, revendiquent leur attachement profond à la Terre, à ses paysages, à sa biosphère, à sa complexité. 

Plier bagage vers Mars ou rester sur Terre ? À vous de choisir.


 

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