Face à l’urgence climatique, un groupe de jeunes entrepreneurs français a lancé le premier fonds d’investissement citoyen, Time for the Planet. Ils souhaitent lever 1 milliard d’euros pour créer et financer 100 entreprises qui innovent pour le climat.
Ils souhaitent mettre l’entreprenariat au pas de la lutte contre le dérèglement climatique. En un an et demi, Time for the Planet a déjà levé 4,2 millions d’euros et 7 millions signés qui vont être versés progressivement. Mais ce fonds d’investissement citoyen vise un objectif bien plus fou : lever 1 milliard d’euros à terme. Une somme à la hauteur de l’enjeu selon ses créateurs, qui permettra de financer 100 entreprises qui innovent pour le climat. Les deux premières devraient voir le jour cet été. Entretien avec Coline Debayle, co-créatrice de ce projet.
Quelles sont les motivations qui ont fait naître Time for the Planet ?
Time for the Planet est l'histoire de six entrepreneurs. Il y a trois ans, nous avons tous pris une « claque climatique » en prenant conscience du niveau d’urgence pour le climat. Nous avons chacun quitté ou revendu nos entreprises pour monter bénévolement Time for the Planet. L’idée est de créer un outil qui soit enfin aux mains des citoyens pour lutter très vite et à grande échelle contre le dérèglement climatique. Au départ, nous n’étions que quelques associés et aujourd’hui nous sommes 23.000.
On a tendance à imaginer que la lutte contre le réchauffement climatique et la recherche du profit sont antinomiques. Pourquoi avez-vous fait le choix d’agir par le biais d’entreprises rentables ?
Nous nous sommes questionnés sur ce que nous pouvons faire en tant que citoyen pour agir. Nous avons changé nos comportements individuels, mais nous sommes très vite arrivés à la conclusion qu’il est impossible de convaincre 7 milliards d’êtres humains de changer radicalement de mode de vie en 10-20 ans. Or, d’ici là, il faut que nous ayons réussi à opérer le changement et pas que nous ayons commencé à agir.
Nous avons cherché ce sur quoi nous pouvions avoir des leviers. Jean Jouzel, ancien vice-président du GIEC nous a appris qu’en tant que citoyen, trois possibilités s’offrent à nous : la régulation, qui se fait par la loi et donc par le vote, la sobriété, qui se fait en changeant de comportement, et l’innovation, qui n’est pas forcément déployée à grande échelle et reste généralement coincée dans les laboratoires parce que les scientifiques ne sont pas toujours de bons entrepreneurs. C’est ce que nous savons faire et nous avons donc choisi ce levier pour agir.
Il est important que les projets que nous montions soient rentables afin de gagner de l’argent qui leur permette de grossir. Ils doivent pouvoir avoir leur carburant propre pour alimenter leur déploiement à l’échelle internationale sans dépendre de subventions. C'est ainsi que seront proposés un maximum de produits et de services décarbonés.
Il faut permettre à n’importe qui de copier les entreprises que l’on crée et donc que les brevets soient open-source
Vous exigez que tous les brevets des entreprises que vous financez soient open-source. Pourquoi ?
Notre objectif est de lever progressivement 1 milliard pour financer 100 entreprises contre les gaz à effet de serre. Mais nous ne voulons pas nous limiter à créer 100 entreprises, nous voulons créer 100 marchés. Pour ce faire, il faut permettre à n’importe qui de copier les entreprises que l’on crée et donc que les brevets soient open-source.
Nous exigeons de ceux qui veulent avoir accès à ces brevets de signer une licence auprès de Time for the Planet qui leur donne des droits et des devoirs. Ils obtiennent le droit de commercialiser et créer la même entreprise. S’ils améliorent l’innovation d’un point de vue technique, ils doivent remettre l’amélioration au pot commun. C’est de cette façon que le marché va progresser très rapidement. Ils doivent aussi nous communiquer le nombre de tonnes de CO2 économisées grâce à leur entreprise pour montrer l’impact environnemental de Time for the Planet.
Acheter une action chez Time for the Planet ne rapportera jamais plus que le montant investi originellement. Quelles sont les motivations qui poussent les actionnaires à investir chez vous ?
Contrairement à une performance financière, nous proposons une performance environnementale. Chaque année, les actionnaires peuvent savoir combien de tonnes de CO2 n'ont pas été émises grâce à leur investissement et leur argent travaille à autre chose qu’à générer de l’argent.
Beaucoup de personnes, prises dans leur quotidien, se sentent impuissantes face au tsunami climatique qui leur est annoncé et ne savent pas comment agir. Il leur manquait un outil qui leur redonne de la puissance et redonne de la puissance à leur argent. Avec Time for the Planet, ils ont le sentiment de pouvoir agir et ils apprécient de pouvoir choisir à nos côtés les innovations de demain puisqu’ils votent avec nous pour choisir via quelles innovations leur argent va se transformer.
Pourquoi les faire participer ?
C'est très important pour nous que les actionnaires puissent voter. Il ne s’agit pas d’un don à une association, les actionnaires sont copropriétaires du projet avec nous et il est donc normal qu’ils puissent s'exprimer. La deuxième chose, un autre frein à la transformation, nous l'avons vu avec la taxe carbone et les Gilets Jaunes, est son acceptabilité sociale.
Nous avons plus de 3000 évaluateurs qui analysent les innovations que nous recevons et plus de 22000 personnes qui vont voter lors de l'Assemblée générale du 26 juin. Si ces 22000 personnes rejettent en bloc une innovation qui a pourtant été approuvée par un comité scientifique et des entrepreneurs aguerris, c’est intéressant de le savoir avant que l’Etat investisse des milliards et que l’on se rende compte que la population n’est pas prête à l’accepter.
Nous avons déjà des actionnaires de plus de 34 pays dans le monde
Envisagez-vous de vous exporter ?
Nous avons déjà des actionnaires de plus de 34 pays dans le monde. Au sein de la « Galaxie de l’action », un système que nous avons mis sur pied pour que tout le monde puisse passer à l'action en apportant ses compétences professionnelles et personnelles, nous avons plus de 3500 bénévoles. Parmi eux, des Italiens ont proposé de faire la traduction et d’animer les réseaux sociaux dans leur langue mais nous n’avons pas encore de véritable stratégie de pilotage au sein des pays. Cela permet pour l’instant de travailler la notoriété et préparer le terrain pour notre future expansion.
L’objectif est d'être un mouvement mondial le plus rapidement possible
Quelles sont justement vos perspectives de développement ?
L’objectif est d'être un mouvement mondial le plus rapidement possible car nous voulons aller chercher le milliard d’euros sur toute la planète. Il faut aussi que nous puissions détecter les meilleures innovations au Chili, les entrepreneurs les plus aguerris aux Etats-Unis etc…
Le problème est que l’expansion à l’international coûte cher. Nous ne pouvons pas dilapider l’intégralité des fonds que nous levons et dans tous les cas nos frais sont capés. Nous ne pouvons pas utiliser plus de 10% pour nos frais sur les levées de fonds. Nous devons pour l’instant prouver que nous tenons nos promesses en créant nos première entreprises. L’internationalisation est prévue pour l’année prochaine.
Quelles sont les deux entreprises que vous avez en projet ?
La première travaille sur l’énergie et son stockage. Elle développe une batterie stationnaire qui a une grande capacité de stockage et qui résout le problème des énergies intermittentes (éolienne et photovoltaïque). C'est une batterie révolutionnaire parce qu'elle a un nombre de cycles de charge et décharge illimité, ce qui n'est pas le cas de toutes les batteries, et est 100% recyclable et sans métaux rares.
La seconde entreprise, développée par des scientifiques américains, agit sur la captation du CO2. Elle agit grâce au mécanisme créé par la rencontre entre de l’olivine concassée, une roche très commune, et de l’eau. Il se produit un phénomène de captation naturelle de CO2 qui est transformé en sédiments. Cela permet de capturer les gaz à effet de serre déjà présents dans l’atmosphère et de désacidifier les océans.
Nous allons décider en assemblée générale le 26 juin si nous investissons ou pas dans ces entreprises.
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Time for the Planet sort le 28 juin le livre « Pisser sous la douche ne suffira pas ». Un manifeste pour « comprendre l'origine du projet, les valeurs qui le portent et la méthode envisagée pour tabasser ces foutus gaz à effet de serre ! ». Il est disponible en précommande ici.