Après une formation en marketing à SKEMA Business School, Frédéric Ritter réalise un stage chez L’Oréal, qui marque le début d’une longue carrière au sein du groupe. Aujourd’hui directeur général de L’Oréal Luxe en Suisse, il revient sur les grandes étapes de son parcours.
J’ai intégré le marché de l’emploi très rapidement
Lepetitjournal.com : Pouvez-vous revenir sur votre parcours académique en quelques mots ?
Frédéric Ritter : J’ai un parcours un peu atypique. J’ai d’abord été diplômé de l’IEP de Strasbourg, en administration publique. Après avoir compris que la fonction publique n’était pas faite pour moi, j’ai effectué une maîtrise en droit des affaires, avec à l’issue un stage dans une étude notariale.
Mais j’ai ensuite réalisé que je ne voulais pas être lié à un seul endroit toute ma carrière, et je trouvais très réducteur l’idée de rester en France toute ma vie. J’avais à cœur de découvrir de nouvelles façons de travailler, de nouvelles cultures…
Dans le but de construire une carrière internationale en entreprise, je me suis donc réorienté vers une école de commerce. C’est là que j’ai intégré le programme en marketing de SKEMA Business School (Sup de Co Lille à l’époque).
Après mon parcours initial très universitaire, cette formation m’a permis d’avoir des acquis très concrets et des compétences opérationnelles pour intégrer le monde de l’entreprise.
J’ai d’ailleurs intégré le marché de l’emploi très rapidement. Après un stage de fin d’études de 6 mois chez L'Oréal, sur la marque Biotherm, en Allemagne, j’ai été embauché au sein du groupe. 25 ans plus tard, j’y suis toujours !
Il y a en une offre très spécifique en Asie
Quelle a été votre évolution professionnelle chez L’Oréal ?
Après ce stage, j’ai donc démarré en tant que Chef de produit marketing. J’ai ensuite évolué, toujours en Allemagne, au poste de Chef de Groupe Marketing (je gérais des équipes de chefs de produit) toujours sur la marque Biotherm.
J'ai ensuite rejoint, à Paris, la DMI (direction marketing internationale). C’est là que sont créés et développés les produits ainsi que toute la stratégie mondiale de la marque. J’étais chargé du développement marketing de Biotherm en Asie. Ce poste a ensuite été délocalisé, ce qui m’a amené à m’expatrier à Singapour. Là-bas, j’étais, entre autres, chargé du développement de produits pour ce continent. Il y a en effet une offre très spécifique sur ce marché avec, par exemple, toute une catégorie de produits destinés à éliminer les taches pigmentaires causées par l’exposition au soleil. De même, la galénique et la texture des produits seront très différentes sur ce marché, car les femmes asiatiques ont plutôt des peaux à tendance grasse, alors qu’en Europe, on répond plutôt à des problématiques de peaux sèches.
J'assurais donc, d’une part, la coordination du développement des produits spécifiques pour l'Asie et j’accompagnais d’autre part les équipes locales dans le lancement des marques et dans le développement de leur stratégie de communication. Après deux ans et demi, je suis revenu en Allemagne, à Düsseldorf, où j'ai pris la direction marketing de Biotherm pour le marché allemand (c’était, à l’époque, le premier marché au monde pour la marque à la vague bleue).
Quatre ans plus tard, je suis reparti à Paris, où j’ai occupé le poste de directeur marketing de la zone Europe 5 pour la marque Biotherm (j’étais donc responsable marketing pour les 5 grands pays d'Europe : France, Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni).
J’ai ensuite souhaité évoluer vers une fonction de direction, d’une filiale ou d’une zone pays, mais cela exigeait une expérience commerciale significative que je n’avais pas. L'Oréal étant très ouvert aux parcours transversaux, on m’a encouragé dans cette voie, en me proposant de gérer la direction des ventes de Lancôme France. J'ai donc pris la responsabilité de la force de vente de cette entité. Un an et demi plus tard, je me suis vu proposer un poste en tant que directeur général de la marque Lancôme en Suisse, qui rencontrait quelques difficultés de croissance à l’époque.
J’ai ensuite assuré la direction commerciale de l'ensemble de la filiale et, depuis l'an dernier, j’occupe le poste de directeur général de L’Oréal Luxe en Suisse. À la tête d’une équipe de 220 collaborateurs, j’ai la responsabilité du compte d'exploitation, des ressources humaines, de la supply chain, de la stratégie de commercialisation, de communication et du développement des 14 marques de notre portefeuille sur le marché suisse.
L'Oréal Luxe est leader en termes de parts de marché
Pour mieux comprendre l’organisation de L’Oréal, il faut savoir que le groupe s'organise en 4 grandes divisions : la division des produits de grande consommation (avec des marques comme L'Oréal Paris et Garnier) ; la division Cosmétique Active (avec des produits vendus en pharmacie, et des marques telles que Vichy et la Roche-Posay) ; la division de produits professionnels, vendus aux salons de coiffure (avec des marques comme Kérastase et Redken) ; la division Luxe, qui justement regroupe 14 marques (Lancôme, Yves-Saint-Laurent, Giorgio Armani, Biotherm, Kiehl’s, Urban Decay, Valentino, Prada…).
Ces produits de luxe sont vendus dans ce qu'on appelle la distribution sélective, dans des enseignes telles que Marionnaud, Sephora, Douglas, ou des grands magasins comme les Galeries Lafayette ou Printemps (l’équivalent en Suisse étant Manor ou Globus). Les concurrents catégoriels de notre division sont des marques comme Estée Lauder, Clinique, MAC du groupe éponyme Estée lauder ou Dior, Guerlain de LVMH ou encore Chanel et Clarins. L'Oréal Luxe est leader en termes de parts de marché, avec un chiffre d'affaires avoisinant les 130 millions de francs suisses.
Le moteur de croissance est l’Asie et plus précisément la Chine
Quels sont les marchés les plus dynamiques pour L’Oréal ?
Depuis quelques années, on voit très clairement que le moteur de croissance est l’Asie et plus précisément la Chine. Il y a notamment une très forte demande sur les soins de la peau. D’ailleurs, à l’échelle internationale, on constate, depuis le début de la pandémie, une explosion de la demande de produits skin care. Le consommateur ressent le besoin de se tourner vers des soins plus intimes, plus « impliquants ». La croissance repart aussi en Amérique du Nord, et c’est un peu plus lent en Europe.
Par ailleurs, la demande en maquillage était bien moins forte ces derniers temps, en toute logique : les occasions de sortie étant réduites à cause du contexte sanitaire. D’ailleurs, le port du masque a aussi impacté à la baisse les ventes de rouges à lèvres, et les consommatrices privilégient plutôt les produits de maquillage pour les yeux.
Nous avions déjà fortement démarré ce shift digital avant le début de la pandémie
L’autre tournant marquant, c’est l'accélération massive du digital et du e-commerce, générée par la Covid-19. Sur certains marchés comme la France, l'Italie ou la Suisse, les ventes e-commerce étaient relativement faibles avant la pandémie : elles représentaient 4 à 5 % du business de la beauté sélective. Aujourd'hui, on est plutôt sur une part de marché de 12 à 15 %. Il y a donc eu une très forte hausse en seulement un an, et ça continue encore aujourd’hui. À moyen terme, on estime que 50 % du marché mondial de la beauté sera entièrement online.
Cela crée évidemment des défis d’organisation importants quand les forces de vente sont principalement sur le terrain. Cela implique aussi de développer de nombreuses compétences chez les équipes (expertise digitale, e-commerce, data management, gestion de CRM…)
Chez L’Oréal, l’un de nos grands avantages, c'est que nous avions déjà fortement démarré ce shift digital avant le début de la pandémie. Un travail colossal a notamment été fait pour l'upscaling des équipes et la montée en compétences dans le domaine du digital. Ça a vraiment été un avantage déterminant.
Aujourd'hui, L'Oréal est le groupe dans le secteur de la beauté ayant gagné le plus de parts de marché durant la pandémie, ce qui démontre notre capacité à bien négocier le virage du digital et du e-commerce.
Nous avons placé la customer centricity au cœur de nos réflexions et de nos stratégies
Quelles sont les grandes forces de L’Oréal Luxe ?
Je pense qu'il y a plusieurs grandes forces qui font le succès de L'Oréal Luxe :
Tout d’abord, la complémentarité de notre portefeuille de marques, qui regroupe 14 signatures. Cela nous permet de couvrir parfaitement tous les besoins des consommateurs : que ce soit Urban Decay qui s’adresse à un public jeune ; Lancôme, dont le cœur de cible regroupe plutôt des femmes de 45 ans et + ; Kiehl’s, une marque de soins américaine avec des engagements forts en termes de développement durable ; et des marques de parfums qui vont de Cacharel (une marque souvent prisée par les jeunes filles qui achètent leur premier parfum) à Prada et Valentino, dont les produits sont beaucoup plus statutaires.
La deuxième force de L’Oréal Luxe, c’est le fait d'avoir placé la customer centricity au cœur de nos réflexions et de nos stratégies. Nous sommes très à l'écoute des attentes des consommateurs. L’analyse de données et les échanges avec nos clients nous permettent de mieux les comprendre et de mieux répondre à leurs besoins.
Notre troisième force, c’est que L’Oréal en général a toujours énormément investi en recherche et développement, ce qui nous permet d'innover et de créer de nouvelles formules toujours plus efficaces avec une base scientifique très robuste.
L’Oréal est une entreprise citoyenne
Mais L’Oréal est aussi une entreprise citoyenne avec de grands engagements en termes d’éthique, de sustainability, de diversité. Nous avons compris très tôt que le consommateur n’achète plus simplement un produit parce qu’il est efficace ou qu’il sent bon : il faut qu’il y ait un vrai « sense of purpose » derrière son achat. Tout cela fait partie intégrante de la stratégie du groupe qui, de manière très déterminée, va vers un business model toujours plus durable et responsable, avec par exemple des engagements très forts et concrets pris pour l’horizon 2030 dans le cadre du programme « L’Oréal pour le futur ».
C’est aussi pourquoi le groupe surperforme sur le marché de la beauté, face à des consommateurs qui sont aussi des acteurs engagés, qui ont parfaitement conscience qu’ils ont le pouvoir de changer les choses par leur acte d’achat.
Pour réussir à l’international, il est important d’aborder son expatriation avec beaucoup de modestie
Auriez-vous des conseils pour les jeunes diplômés qui aspirent à une carrière internationale ?
Mon premier conseil serait de privilégier, entre une proposition de poste en France et à l’étranger, l’opportunité d’emploi à l’international, surtout en début de carrière. Il sera toujours possible de réintégrer le marché du travail en France, mais démarrer une carrière internationale est plus compliqué. C’est aussi un élément de différenciation très fort par rapport à quelqu’un qui aurait un parcours très franco-français.
Par ailleurs, je pense que pour réussir à l’international, il est important d’aborder son expatriation avec beaucoup de modestie, de faire preuve de curiosité, de comprendre la culture et de s'immerger pleinement dans le pays, en laissant de côté sa mentalité hexagonale.
Enfin, quand cela est possible, je recommande vivement de privilégier une expérience en Asie. C’est un marché ultra innovant qui regorge de nombreuses opportunités dans beaucoup de secteurs et qui restera, pour quelques années encore, le moteur principal de la croissance mondiale.
Interview réalisée par Soraya Benaziza