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Marc Lefebvre : "Être soi-même, c’est le meilleur moyen d’être unique"

Marc Lefebvre CEO Killine optique SkemaMarc Lefebvre CEO Killine optique Skema
Écrit par SKEMA Alumni
Publié le 20 septembre 2018, mis à jour le 18 juin 2019

Dans une industrie très concurrentielle, l’optique, Marc Lefebvre (SKEMA PGE 1997) a décidé d’évoluer dans une entreprise familiale devenue aujourd’hui un acteur global, présent dans 80 pays. Comblé par les opportunités qui ont ponctué son parcours entre Europe et Asie, le CEO de Killine revient sur sa carrière, menée loin des grands groupes et de leurs plans de carrière tout tracés.

Skema Alumni
EN PARTENARIAT AVEC SKEMA ALUMNI

lepetitjournal.com : Pourquoi avez-vous fait le choix de partir à l’étranger très vite ?
Marc Lefebvre :
C’est assez simple. J’avais un peu vécu en Allemagne et j’étais parti à l’université de Manchester faire un double diplôme. Après une année à faire mon service militaire comme officier, j’ai été sollicité par des grands groupes en France, mais je ne voulais pas signer pour 32 heures par semaine et un plan de carrière tout tracé. L’idée de la sécurité ne m’attirait pas. Dans ma vingtaine, j’avais envie de quelque chose de plus challenging. C’était déjà la crise, à la fin des années 1990, on ne voyait pas où cela menait. J’ai voulu partir en Chine et je me suis retrouvé au Portugal (rires) ! A présent je passe l’essentiel de mon temps en Asie et surtout en avion…

Vous avez choisi une structure familiale, Killine, pourquoi ?
C’est la rencontre avec les dirigeants, l’humain, qui a déterminé ce choix. C’était des gens avec des valeurs, au style informel et décalé. Quand on est jeune on est souvent à la recherche d’un mentor. Ils m’ont fait confiance alors que je ne connaissais pas du tout ce secteur d’activité, l’optique et la fabrication de lunettes. L’entreprise, créée dans le Jura, a cette particularité d’avoir su très tôt se relocaliser en Irlande, puis au Portugal et ensuite en Chine… En 6 mois, les opportunités ont fait que je suis devenu directeur commercial monde de ce petit groupe industriel. L’entreprise familiale a ensuite beaucoup grandi pour devenir l’un des acteurs majeurs de la fabrication de montures de lunettes optiques en particulier. On a bien performé. Je suis devenu CEO en 2009. Mais comme dans toute aventure, il y a une fin. La famille a décidé de vendre à un fonds d’investissement en 2014.

Quelles étaient les nouvelles orientations voulues par le fonds ?
Faire en sorte que le groupe perdure, croisse et devienne l’un des leaders mondiaux. On voulait se développer dans le downstream, intégrer la fabrication et la distribution. Cela a été un gros challenge, très intéressant, dans un cadre complètement différent de la famille : on est passé de réunions informelles, des diners les week-ends à des board meetings très structurés. Tout s’est très bien passé puisque l’exit est arrivé assez vite : au bout de deux ans et demi on a été revendu à Inspecs ; une entreprise de notre secteur que l’on avait nous-même visée dans le cadre de notre diversification et qui nous a finalement rachetés. Aujourd’hui nous formons un groupe plus grand, complètement intégré, il y a peu de modèles de ce genre dans notre industrie. Il y a un géant, le groupe Luxottica Essilor ; on est une petite version de ce grand groupe puisqu’en plus de la fabrication des lunettes, des licences, on a aussi une activité de fabrication de verres sur un segment très pointu.

Comment êtes-vous organisés ?
A la tête du groupe, il y a le propriétaire de la société qui nous a rachetés et je suis le directeur général du Groupe Inspecs Killine. Je m’occupe avec lui de la direction des opérations avec, pour ce qui me concerne, l’accent sur la partie OEM (Original Equipment Manufacturer), la fabrication et distribution des marques fabriquées chez nous. On rayonne dans 80 pays dans le monde. Je m’occupe aussi de la réorganisation de la structure pour faire bénéficier à l’ensemble du groupe des synergies sur la supply chain notamment.

Le marché de l’optique est ultra concurrentiel ?
C’est un secteur particulier, atomisé, avec plein d’acteurs, entre industrie, mode et distribution. Luxottica Essilor est le leader incontesté, un monstre 50 fois plus gros que le numéro 2. Mais cela ne reflète pas notre industrie. Aujourd’hui les fabricants sont tous concentrés en Chine, réellement 95 voire 99% de la fabrication se fait ici. Pour simplifier, sur trois ou quatre villes seulement on compte des milliers de concurrents. C’est très difficile mais il y a moyen de s’en sortir si on travaille plus que les autres et on tient un cap bien défini. Le tout est d’offrir aux plus grands acteurs des possibilités de se différencier et d’avoir une organisation derrière qui permet d’être en ligne avec leurs attentes très spécifiques. Nous avons la chance de travailler avec l’essentiel de ces grands groupes dans notre secteur… et la chance ça se travaille chaque jour.

Malgré notre taille relativement petite nous pouvons certainement dire à présent que nous sommes dans le top 20 mondial dans ce que nous faisons. Il est important d’avoir une taille critique. Nous avons environ 1.500 salariés. Notre siège est officiellement à Bath, en Angleterre. C’est là que l’on gère toute la partie liée aux marques, les licences, le marketing, incluant design et vente, même si notre bureau aux USA traite spécifiquement de ce marché… Nos équipes de Lisbonne sont plus sur la partie OEM, on y gère le soutien aux ventes dans le monde, on y fait aussi du design. Le siège Asie est à Macao. Nous avons nos usines en Chine et au Vietnam. Encore une fois nous avons été l’un des pionniers lorsque nous avons créé cette unité hors de Chine, une vraie différence. Et au sein du groupe, il y a encore une usine en Europe, au centre de Londres, qui fabrique des vintages en or et participe à l’histoire et à l’image du groupe avec les lunettes du film Harry Potter et aussi les lunettes originales de John Lennon, entre autres !

Entreprise familiale, private equity, rachat par une entreprise… vous avez su vous adapter à différents environnements et rester aux commandes.
L’important c’est les personnes qui vous accompagnent. Il faut savoir s’entourer d’une équipe qui permet d’avancer, rester curieux soi-même, sur le qui-vive, rester au contact. Il y a toujours des opportunités. Il faut avoir une bonne capacité à apprendre pour comprendre les nouvelles méthodes.

Comment gérez-vous ces déplacements incessants, et les différences culturelles de vos différentes équipes ?
J’ai peu de temps mort. Je navigue beaucoup entre l’Asie et l’Europe. Je passe 7 à 8 mois de l’année en Asie. En tant que CEO, le business development est toujours d’actualité mais il y a les différents sites de production à gérer, à motiver, à recentrer, à développer… Les déplacements ne me posent pas de problème, je ne peux pas le vivre comme une contrainte. Je suis tombé dedans ! Je ne suis pas un expatrié, qui bouge de pays en pays tous les 3 à 5 ans avec sa famille ; je dirais plutôt que je suis un déraciné. Ma famille elle est restée en Europe, c’est parfois plus problématique, mais nous avons fait le choix de vivre comme cela, de nous adapter à ce rythme. Je ne suis pas à plaindre et j’ai la chance d’être très bien entouré.

Sur le plan humain, les différences de point de vue sont très enrichissantes. Cela permet d’avoir des perspectives très variées, et de voir le monde dans sa globalité. Travailler en Asie donne une prise particulière sur l’évolution du monde par rapport à l’Europe notamment. Aujourd’hui 50 % de la richesse mondiale est en Asie, d’ici 10 ans ce sera 75% sans doute. Si l’on pense au principe des vases communicants, il y a de quoi s’inquiéter un peu pour le Vieux Continent. D’une certaine façon cela valide le choix que j’ai fait de partir il y a 20 ans.

Qu’avez-vous envie de transmettre aux étudiants et aux jeunes professionnels ?
Quand je vois en Asie la compétition acharnée dans le système d’éducation, le travail fourni pour être un virtuose et un prix Nobel de maths en même temps qu’un champion olympique, juste pour se distinguer… en somme, je dirais à la jeune génération qu’elle doit être elle-même : c’est le meilleur moyen d’être unique ! Le plus dur quand on est jeune, c’est probablement de faire des choix.
Il me semble important dans tous les cas de tout donner, quoique vous choisissiez faites-le avec passion. Tout en se disant qu’on peut évoluer en dehors des grosses structures, à condition peut-être de sacrifier un peu de confort au début et d’avoir le sens de l’initiative. Enfin, ne pas oublier ses valeurs. Rien n’est dû. Il faut aller au charbon, la réussite se mérite. Donnez et vous recevrez. Sinon, changez ! En prenant quelques risques, vous gagnerez peut-être sur tous les plans…

 

Propos recueillis par Marie-Pierre Parlange

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