Steven Wang, Directeur logistique pour LVMH Fashion Group à Hong Kong et alumni de SKEMA, nous livre son témoignage et son regard sur la crise sanitaire, qui recense aujourd’hui plusieurs milliers de cas confirmés.
Comment se sont déroulées les premières semaines de l’épidémie à Hong Kong ?
Dès début janvier, nous avons suivi de près la situation à Wuhan depuis Hong Kong. Mais à l’époque, on nous indiquait que l’épidémie se limitait à des zones très restreintes et il n'y avait aucune preuve que le virus était transmissible d’un humain à l’autre. Notre quotidien était donc encore tout à fait normal à ce moment-là. J'ai même pu effectuer un voyage d'affaires de quelques jours en Australie le 20 janvier. Mais à mon retour, nous avons reçu l’annonce de la transmissibilité du virus d’une personne à l’autre, et de la gravité de la situation. Le gouvernement nous a alors demandé de rester chez nous et de limiter nos activités extérieures. Nous pouvions tout de même nous rendre au travail à nos horaires habituels. Mais le 10 février, deux cas ont été confirmés au sein d’une entreprise située dans le même immeuble que LVMH, l’entreprise où je travaille. Notre bureau a donc fermé, et nous avons travaillé à domicile pendant une semaine, car tout le bâtiment devait être entièrement désinfecté. Nous avons ensuite pu reprendre le travail, avec des horaires plus flexibles, en arrivant plus tard le matin et en partant plus tôt l’après-midi, pour éviter les heures de pointe. C’est à la suite de ça que l’entreprise a décidé de mettre en place des semaines de travail en rotation. C’est-à-dire que la moitié des employés travaillait le lundi, le mercredi, et le vendredi, et l’autre moitié travaillait les mardi et jeudi, puis inversement. Cela a duré 15 jours, et nous avons ensuite repris un rythme normal début mars.
Puis, suite à une deuxième vague de cas de coronavirus à Hong Kong mi-mars, nous avons repris les journées de travail alternées. Finalement, les cas confirmés à Hong Kong ont fortement diminué début avril. Notre entreprise reprend donc progressivement une activité normale.
Le gouvernement a aussi pris des mesures strictes, en interdisant par exemple les regroupements de plus de 4 personnes en même temps. Il y a donc quelques restrictions supplémentaires, mais les gens sont toujours autorisés à circuler librement, et les restaurants et autres commerces restent ouverts. Les écoles, quant à elles, ont fermé, et ce sera sûrement le cas jusqu’en mai ou juin, même si c’est encore difficile à dire avec certitude.
Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle impacté LVMH, l’entreprise pour laquelle vous travaillez ?
L'activité de l’entreprise est assez impactée, et les ventes ont bien sûr beaucoup baissé. Beaucoup de nos entrepôts centraux en Europe ont dû fermer. Certains reprennent progressivement leur activité, mais de manière assez limitée pour le moment. Nous ne pouvons donc pas encore recevoir de nouvelles marchandises de leur part, mais nous avons encore suffisamment de stock pour répondre à la demande des acheteurs.
Selon vous, comment le gouvernement de Hong Kong a-t-il géré la crise sanitaire ?
Je pense que la politique gouvernementale de Hong Kong est très différente de celle du reste de la Chine. À partir du Nouvel An chinois, fin janvier, tout a été complètement gelé dans le pays : les gens ne pouvaient plus sortir de chez eux, devaient envoyer une seule personne faire les courses… Mais à Hong Kong, le gouvernement essaie, depuis le début de l’épidémie, de maintenir un minimum d’activité économique, en permettant aux entreprises de rester en marche et en autorisant la population à sortir plutôt librement. C'est donc assez différent de la situation dans le reste de la Chine. Selon moi, ces décisions sont appropriées, mais elles nécessitent aussi le soutien des résidents. Par exemple, toute personne qui sort de Hong Kong doit, à son retour, s’isoler durant 14 jours, mais de nombreuses personnes ne respectent pas cette règle et sortent malgré tout. Cela rend la situation bien plus difficile à contrôler.
Comment la population hongkongaise a-t-elle réagi face à la crise sanitaire ? Percevez-vous des différences par rapport aux réactions en Europe ?
À Hong Kong, les gens prennent la situation très au sérieux, car ils se souviennent de l’épidémie de SRAS en 2003. Cette épidémie était très grave, et a causé la mort de plusieurs centaines de personnes à Hong Kong. C'est pourquoi cette année, lorsque l’épidémie de coronavirus a commencé, beaucoup d’habitants ont redouté d’avoir à faire face à une situation similaire à celle du SRAS il y a 17 ans. Ils ont vraiment tiré des leçons de cet événement et ont donc accordé beaucoup d’importance aux mesures prises face à l’épidémie actuelle. En Europe par contre, la population n’a jamais été confrontée à une situation semblable, donc je pense que beaucoup de personnes n’ont pas immédiatement perçu la gravité de la situation, ni l’impact sur leur vie quotidienne. Je pense aussi que le fait de porter un masque est un réflexe très intégré dans la culture asiatique, alors que dans la culture occidentale, ce n’est pas un geste qu’on perçoit comme nécessaire, à moins d’être malade. L’état d'esprit est donc très différent.
Quelles leçons retenez-vous de cette crise sanitaire sur le plan personnel et professionnel ?
L’épidémie impacte le monde entier, et je pense que pour cette raison, il est essentiel de travailler tous ensemble, depuis nos pays respectifs. Chez LVMH par exemple, nous avons plusieurs succursales dans différents pays, et nous travaillons maintenant ensemble face à cette situation, en essayant de s’entraider. Je pense aussi que ce virus est l'ennemi de tout le monde, et de tous les pays. Il est donc préférable d'ignorer les différences entre chaque nation, et d'essayer de coopérer les uns avec les autres, pour finalement surmonter ensemble cette situation difficile.