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Franco-lavage : le Made in France Bleu Blanc Rage

drapeau français utilisé par certaines marques pour se faire passer pour du Made in Francedrapeau français utilisé par certaines marques pour se faire passer pour du Made in France
Écrit par Caroline Chambon
Publié le 11 avril 2021, mis à jour le 12 avril 2021

Dans les rayons, certains produits arborent fièrement le drapeau français, sans être nécessairement fabriqués en France. Focus sur le franco-lavage, ce stratagème commercial plus que contestable.

 

« Pensé en France », « marque 100% française », utilisation du drapeau français… Nombreux sont les stratagèmes mis en place par certaines marques pour faire passer des produits faits à l’étranger comme du Made in France. Cette pratique a un nom : le franco-lavage. A l’origine de cette tendance, une envie de plus en plus marquée des consommateurs français de contribuer à la création de richesse sur le territoire national en achetant des produits fabriqués en France.

Yves Jégo, fondateur du label Origine France Garantie (OFG), Gilles Attaf, co-président du même label et fondateur des Forces Françaises de l’Industrie (FFI), Luc Lesénécal, président de l’Institut National des Métiers d’Art et directeur de Saint James, et Fabienne Delahaye, fondatrice de MIF Expo : le Salon Made in France, font la lumière sur les stratagèmes utilisés par ces marques et ses implications pour le consommateur et le producteur. L’occasion d’évoquer la désindustrialisation en France, et de mettre en avant des solutions au franco-lavage et pour la ré-industrialisation des territoires français.

 

Le franco-lavage, ou « French-washing » : une « manipulation » et une « tentative de fraude au consommateur »

Depuis plusieurs années, l’engouement pour le Made in France est croissant. « Nous participons à un effet vertueux qui est « je consomme, donc je participe à l’économie française. Des marques se sont aperçues que l’« immatériel » de la Marque France avait une vraie valeur. », explique Gilles Attaf. Fabienne Delahaye fait le même constat. « Il n’y avait pas de franco-lavage il y a 15-20 ans, car personne n’avait spécialement  envie d’acheter du Made in France. La tendance était plutôt, au contraire, au French-bashing. »

Le franco-lavage, pour Yves Jégo, est « le fait de mettre un drapeau bleu-blanc-rouge sur des produits qui ne sont pas fabriqués en France. On dit « french-washing » par parallélisme avec « green-washing ». C’est une sorte de fraude ou de tentative de fraude au consommateur ». La législation actuelle n’oblige pas à indiquer l’origine. Les marques ne peuvent tout de même pas apposer un drapeau français sans indiquer l’origine réelle du produit, sous peine d’être poursuivies pour fraude à l’origine. « Et comme elles sont intelligentes, elles mettent un drapeau français mais cachent l’origine », explique le fondateur du label OFG, pour qui le véritable problème est la « transparence avec le consommateur et la traçabilité ».

Mais les stratégies déployées par les entreprises ne se limitent pas à l’utilisation de symboles. « Il y a aussi des choses sur les plats cuisinés où par exemple, on voit « 100% de notre viande de boeuf est française », relate Fabienne Delahaye. Ce qui est vrai, sauf que la viande dans le plat cuisiné représente en fait 10%. Donc 90% du plat cuisiné n’est pas fait sur le territoire ».

 

Sur le seul secteur du textile, nous pensons qu’il y a un milliard d’euros de produits vendus pour français alors qu’ils ne le sont pas

 

Yves Jégo président Origine France Garantie
Yves Jégo, fondateur du label Origine France Garantie (OFG)

 

Le franco-lavage, une barrière au développement et au rayonnement de l’industrie française

Mais ces stratagèmes coûtent également cher aux entreprises. « Sur le seul secteur du textile, nous pensons qu’il y a un milliard d’euros de produits vendus pour français alors qu’ils ne le sont pas », évalue Yves Jégo, qui prend l’exemple d’une basket Lacoste arborant fièrement les couleurs françaises. « Non seulement vous trompez le consommateur et faites une marge considérable, mais vous faites également concurrence à une basket française. Si le consommateur savait qu’elle venait de Chine, il achèterait peut-être sa voisine française dans le rayon ».

Pour Gilles Attaf, il est essentiel de pointer du doigt ces marques qui « profitent de la prise de conscience du consommateur ». Acheter français, pour lui, permet de contribuer « au modèle social français ». Et Yves Jégo d’ajouter : « C’est le respect que l’on doit à ceux qui fabriquent en France, qui payent des charges, des impôts, des taxes. Il ne faut pas leur faire une concurrence malvenue ».

 

Depuis une trentaine d’années, nous avons perdu énormément de richesse industrielle dans nos territoires

 

Gilles Attaf, fondateur des Forces Françaises de l'Industrie
Gilles Attaf, co-président du label Origine France Garantie (OFG) et des Forces Françaises de l’Industrie (FFI)

 

La désindustrialisation de la France et des territoires

« Depuis une trentaine d’années, nous avons perdu énormément de richesse industrielle dans nos territoires, analyse Gilles Attaf. Ceci a fait éclater le modèle social. L’ascenseur social s’est complètement bloqué, avec pour conséquences la crise des Gilets Jaunes ». L’engagement de Fabienne Delahaye s’est développé à partir de cette perte de vitesse de l’industrie. « En constatant notre abyssal déficit commercial, la perte des emplois dans l’industrie, qui avoisine les 1 ou 1,5 million en deux décennies, je me suis interrogée sur ce modèle économique qui consistait à faire produire ailleurs ce que nous pouvions parfaitement faire ici. »

Selon elle, la désindustrialisation de la France trouve son origine dans les politiques menées à la fin du siècle dernier. « On nous vantait le modèle d’une France sans usines dans les années 1980. Il semblerait que l’actualité ait montré que ce modèle ne tient pas la route. » Le déclic, elle l’a eu il y a près de 10 ans, en achetant un couteau. « Je le pensais fait sur le territoire, et me suis rendue compte qu’il était fabriqué en Chine. Je me suis vraiment sentie trahie »

 

Nous payons peu cher individuellement, mais cela coûte en fait très cher collectivement, en termes environnementaux, de richesses et de perte de savoirs-faire, et bien sûr de déficit commercial

 

Fabienne Delahaye, fondatrice de MIF Expo : Le Salon du Made in France
Fabienne Delahaye, fondatrice de MIF Expo : le Salon Made in France 

 

La crise sanitaire : le regain d’intérêt politique pour l’industrie et le Made in France

Avec la crise sanitaire, le constat a été sans appel. La France était devenue dépendante des importations dans de nombreux secteurs. Gilles Attaf l’affirme, « Le manque de souveraineté nationale nous a coûté très cher. Qui eut cru que le textile était une filière stratégique? On nous a pourtant demandé de fabriquer des masques en urgence pendant la première vague. Pour moi, un pays qui perd sa souveraineté industrielle et économique est un pays qui perd son indépendance. »

« Nous nous sommes rendu compte que les principes actifs du Doliprane venaient d’ailleurs et, surtout, que les bas prix se payaient très cher », avance Fabienne Delahaye. « Nous payons peu cher individuellement, mais cela coûte en fait très cher collectivement, en termes environnementaux, de richesses et de perte de savoirs-faire, et bien sûr de déficit commercial. »

Le gouvernement a depuis lancé un plan de relance de l’industrie française. « Il faut que les emplois reviennent dans les territoires, et pour cela il faut changer complètement le modèle. Il faut passer de l’outil industriel à la Zola, à l’usine 4.0 et technologique. » Pour Gilles Attaf, la solution est là, ainsi que dans une vision à « long-terme ». Fabienne Delahaye veut repenser la concurrence, car « mettre sur un ring un poids lourd et un poids coq, ce n’est pas possible. »

 

Interdire le franco-lavage est essentiel pour dénoncer des personnes qui utilisent le drapeau français pour faire des marges éhontées sur des produits délocalisés

 

Comment contrecarrer le franco-lavage ?

Interdire l’usage des symboles de la France

Quelles sont les solutions ? Yves Jégo est un fervent défenseur de l’interdiction d’utiliser le drapeau français pour les entreprises qui ne produisent pas en France. « Le code douanier dit qu’un produit est français s’il a eu au moins sa dernière partie faite en France, et qui a 45% de son prix de revient unitaire acquis en France. Pour nous, un produit qui ne respecte pas ces critères et a un drapeau français est une tromperie au consommateur. » Plusieurs sénateurs et députés ont déposé un projet de loi visant à faire interdire l’usage du drapeau français, à l’image de ce qui a été fait en Suisse. « Bien sûr, si l’utilisation du drapeau français est interdite, Lacoste ne va pas automatiquement en fabriquer en France. Mais ils ne pourront plus faire croire au consommateur qu’il s’agit d’une basket française ».

Gilles Attaf soutient cette proposition : « Le choix doit se faire en toute conscience. Interdire le franco-lavage est essentiel pour dénoncer des personnes qui utilisent le drapeau français pour faire des marges éhontées sur des produits délocalisés, avec une empreinte carbone catastrophique. »

 

Il faudrait a minima à avoir l’IMF, qui est gratuit et repose sur des critères douaniers. Il y a aussi des labels comme OFG qui sont sérieux et donnent lieu à des vérifications gérées par des organismes certificateurs

 

 

Logo de MIF Expo

 

Rendre l’indication de l’origine et le certificat Made in France (IMF) obligatoire

« Il faudrait a minima à avoir l’IMF, qui est gratuit et repose sur des critères douaniers. Il y a aussi des labels comme OFG qui sont sérieux et donnent lieu à des vérifications gérées par des organismes certificateurs. », argumente Fabienne Delahaye.

La prochaine édition du Salon du Made in France aura lieu du 11 au 14 novembre 2021 à Portes de Versailles. Elle sera l’occasion pour de nombreux producteurs et fabricants français de mettre en valeur leur savoir-faire Made in France : « Quand le salon a été annulé l’an dernier, cela a été un crève-coeur. 80% des entreprises n’ont pas voulu annuler et ont reporté. Tous les patrons que j’ai au téléphone pensent que cela va être un grand succès et ont hâte de se retrouver. Et je suis sans doute la plus impatiente. »

 

J’ai toujours été choqué que la commande publique ne donne pas l’impulsion à l’économie

 

Pour un « Small Business Act » à la française

« Il y a deux ans, j’ai décidé de lancer les FFI, un club d’entrepreneurs et d’activistes du « Made in France », explique Gilles Attaf. C’est un clin d’oeil aux vraies Forces Françaises de l’Intérieur de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’un club d’activistes transversal et transpartisan, pour accélérer la réindustrialisation de la France. »

Avec l’objectif de l’emploi sur le territoire français en tête, le fondateur des FFI renchérit : « J’ai toujours été choqué que la commande publique ne donne pas l’impulsion à l’économie. Je milite depuis longtemps pour un « Small Business Act » à la française, c’est-à-dire réserver une partie des marchés publics aux PME françaises. Le SBA est un acte du Congrès américain datant de 1953 qui réserve une partie des marchés américains aux PME américaines. Avec les FFI, nous avons lancé l’idée d’un PME Business Act. Les grands groupes s’engageraient à réserver une partie de leurs achats à des PME françaises. »

 

Logo Origine France Garantie

 

Alors que dans certains pays, il n’y a pas le même respect des normes sociales, environnementales et salariales, comment comparer avec un pays comme la France dont les normes sont particulièrement drastiques?

 

Renforcer les normes législatives

Selon Fabienne Delahaye, l’Europe n’a pas su être suffisamment ferme dans sa politique commerciale : « Si certaines entreprises délocalisent, ce n’est pas uniquement pour une question de coûts de production. C’est parce que des pays comme la Chine ont su imposer aux entreprises de produire sur leur territoire. Or, l’Europe n’a pas fait de même. »

La fondatrice de MIF Expo et Gilles Attaf sont pourtant tous deux très réalistes. « Bien sûr, nous ne pouvons pas tout produire sur le territoire, je ne suis pas un ayatollah du Made in France », plaisante le responsable OFG. « Quand j’achète de la fêta, je préfère qu’elle vienne de Grèce car c’est une de leurs spécialités, ajoute Fabienne Delahaye. Ce qui me gêne, ce sont les échanges inéquitables. Alors que dans certains pays, il n’y a pas le même respect des normes sociales, environnementales et salariales, comment comparer avec un pays comme la France dont les normes sont particulièrement drastiques? Je vois une concurrence déloyale. »

 

Chaque entreprise EPV détient un savoir-faire d’exception

 

Luc Lesénécal, président de l'INMA et patron de Saint James
Luc Lesénécal, président de l’Institut National des Métiers d’Art et directeur de Saint James 

 

Miser sur l’excellence du savoir-faire français

Pour Luc Lesénécal, la voie qui doit être choisie est celle de l’excellence. Dans cette optique, la loi Dutreil en faveur des PME du 2 août 2005 a mis en place le label d’Etat Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV). Géré à ses débuts directement par le ministère de l'Economie, le label EPV est depuis près de deux ans géré par l'INMA. Aujourd’hui, 1.400 entreprises sont labellisées sur l’ensemble du territoire. Pour obtenir ce label, « l’entreprise doit remplir plusieurs critères », explique le patron de Saint James. « Il faut que l’entreprise ait déjà une notoriété locale et régionale. Chaque entreprise EPV détient un savoir-faire d’exception. Par exemple, pour Saint James, c’est la fixation du col au corps du pull maille par maille, un travail qui demande à l’opératrice 18 mois de formation. Ensuite, il doit y avoir une démarche de transmission du savoir-faire. Enfin, nous regardons si l’entreprise a une démarche de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE). »

Ce savoir-faire est également très cher à Fabienne Delahaye : « Beaucoup de projets naissent sur le salon MIF entre deux fabricants qui s’unissent pour inventer un nouveau produit. »

 

Il vaut mieux avoir des locomotives qui tirent le train que d’essayer de décrocher le dernier wagon

 

Logo Entreprise du Patrimoine Vivant

 

Le franco-lavage: un « faux débat » ?

Néanmoins, Luc Lesénécal est convaincu que la lutte contre le franco-lavage n’est pas une priorité : « Je pense que le franco-lavage est un faux débat. Encore une fois, nous nous en sortirons par l’excellence. Les entrepreneurs ont bien compris que ce label EPV était un garant de l’excellence du savoir-faire. Il vaut mieux avoir des locomotives qui tirent le train que d’essayer de décrocher le dernier wagon ». C’est par cette métaphore imagée que Luc Lesénécal envisage l’avenir. Selon lui, le Made in France « ne suffit plus ». « Il faut qu’au-delà de la fabrication en France, le produit soit d’une qualité supérieure. Le consommateur recherche une marque forte, désirable, qui a une histoire à raconter. Le label EPV est vraiment un facteur différenciant dans le Made In France, avec des produits de qualité supérieure. Ce n’est pas étonnant que 53% des entreprises du patrimoine vivant exportent. Elles exportent une différence qualitative. »

 

Je souhaite qu’après cette période Covid, nous gardions cette proximité avec les entreprises

 

Vers une ré-industrialisation des territoires: un an après les déclarations

A la question « voyez-vous la différence entre l’annonce du plan de relance durant le premier confinement et aujourd’hui? », Gilles Attaf et Luc Lesénécal apportent la même réponse : « Absolument ». « Nous voyons que des filières se « réarment », le plan de relance va irriguer l’industrie dans les territoires. D’ailleurs, des entreprises ont déjà été identifiées dans ce cadre. », affirme le fondateur des FFI. « Il y a eu une aide, une réactivité et une souplesse d’adaptation, de la part du gouvernement et des régions, d’un niveau remarquable. », renchérit le président de l’INMA.  « Je souhaite qu’après cette période Covid, nous gardions cette proximité avec les entreprises. »

Mais les pouvoirs publics doivent encore montrer leur bonne volonté sur le long-terme. « Depuis 20 ans, j’ai régulièrement été sollicité dans le cadre des campagnes présidentielles, explique Gilles Attaf. Et, une fois que les élections étaient passées, ils allaient au moins cher. Il ne faudra pas oublier tout cela lorsque la crise sera passée. Il est important de ne pas être amnésique. » Fabienne Delahaye met également en garde : « Nous n’avons jamais autant parlé de relocalisation, et tant mieux. Mais il ne faut pas oublier les entreprises qui ne sont jamais parties. »

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