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DERNIERS JOURS - FAN HO - Chroniqueur d’un Hong Kong hors du temps

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Dans la solitude d'une lumière crépusculaire un coolie s'avance fatigué. Ailleurs résonnent le rire insouciant d'enfants livrés à eux-mêmes et le clapotis de l'eau sous la coque des sampans. Ces photographies en noir et blanc du Hong Kong des années 1950 sont celles d'un grand maître de la photographie, Fan Ho, exposées jusqu'au 31 janvier à la galerie AO Vertical. On y reconnaît le Hong Kong d'hier, celui de Kessel et de Suzie Wong ; dont quelques vestiges - le tramway, les escaliers qui grimpent dans la chaleur étouffante, le chapeau des pêcheurs Tankas - ont survécu jusqu'à aujourd'hui. Fan Ho capture le quotidien des rues de Hong Kong, ses rythmes, ses vies, son "théâtre vivant". Sans chercher à documenter la ville, il se soucie de son âme, portraiturant ses gens, leur force de travail, leur compassion ainsi que leur résilience.

Histoire d'un réfugié

Fan Ho, né en 1931 à Shanghai, bousculé par le conflit sino-japonais et la guerre civile, fuit la Chine communiste vers 1949 pour se réfugier à Hong Kong où il poursuit des études de littérature chinoise. Avant son arrivée dans la colonie britannique, il s'est déjà essayé à la photographie. Son père lui avait offert pour ses 14 ans un Rolleiflex twin lens. Avec ses premières photos, il a d'ailleurs remporté un concours d'amateurs.

Pattern, Hong Kong Yesterday, Fan Ho

Mais c'est à Hong Kong que Fan Ho va se lancer à coeur perdu dans la photographie, prenant un détour dans le chemin qu'il s'était tracé. Alors qu'il est étudiant et se destine à la création littéraire, il est pris d'une migraine qui ne le quitte plus. C'est en prenant son appareil photo lors d'une échappée dans la ville qu'il réalise que les promenades au grand air lui font du bien. Autodidacte, le jeune homme apprend le métier en écumant les bibliothèques, en participant à des salons et des compétitions internationales. Il y découvre les photographes de son temps et ceux qui les ont précédé, nourrit ses images des émotions qu'il puise dans la poésie, la peinture, les films et la musique. Brahms. Tchaikovsky. Mahler. Hemingway. Fellini. C'est leur grandeur dramatique et leur talent pour le romantisme de la condition humaine qu'il poursuit dans les rues de Hong Kong.

La magie du quotidien

Les ruelles crasseuses, l'air moite saturé de visages et d'artefacts, le linge qui pend aux fenêtres, les habitations de fortune rappellent que le Hong Kong des années 1950 est avant tout celui de la Kowloon Walled City et des triades, une ville en pleine expansion démographique qui a du mal à réguler une immigration trop forte et trop rapide. Fan Ho croise le destin tragique de ces réfugiés, saisit la lassitude et le labeur de ces êtres qui disparaissent dans l'ombre de la prospérité. Porteurs, pêcheurs, casseurs de pierre, ces petites gens qui font vivre la cité, ceux qui occupent les trottoirs bondés des marchés de rue et des quartiers surpeuplés ou ces hommes pressés qui se rendent à leurs affaires, tous semblent gelés

en plein vol, surpris en quête d'un ailleurs, prisonniers de leur isolement. Maîtrisant l'art du temps suspendu, Fan Ho sait révéler la beauté qui entoure ses personnages. Le calme des images, la mer lisse, les perspectives fuyantes des grandes artères vides, invitent à la contemplation. Le spectateur est convié à y projeter son imaginaire.

Venice of the Orient, A Hong Kong Memoir, Fan Ho

Théâtralité, lumière et instantané

Fan Ho a dès ses débuts un oeil cinématographique. Les fonds sont composés comme un décor de film. La lumière, surtout celle de la nuit qui tombe, lorsque le soleil allonge les ombres, crée l'espace et le mouvement à la manière du Bauhaus, mettant en valeur la géométrie, structurant l'image, la poussant vers l'abstraction. Fan Ho joue avec le clair-obscur et la fumée pour donner une force graphique et renforcer le mystère de la scène. Les raies de lumière qui traversent l'air poussiéreux, les volutes de fumées, vapeur d'eau d'un panier de cuisson ou brouillard d'un matin d'hiver sur la baie, sont autant d'artifices pour accentuer la théâtralité.

Fan Ho préfère le noir et blanc à la couleur qui serait selon lui l'apanage du peintre. Il aime le format carré du Rolleiflex qui se prête parfaitement à ses jeux de composition. Il n'hésite pas à recadrer les négatifs en les découpant horizontalement ou verticalement, choisissant d'agrandir un détail, éliminant tout ce qui distrait le regard, pour renforcer l'effet d'une scène. C'est là, selon lui, sa signature.

A l'instar d'Henri Cartier Bresson qu'il a découvert dans les livres, il croit à "l'instant décisif", cherchant à capter la poésie d'une réalité fugace. Comme lui, il traque la rencontre des inattendus, attend des heures durant le moment parfait, celui où ses acteurs prendront leurs marques. Du matin jusqu'au soir il retient son souffle, se fait discret, disparaît. Il revient parfois plusieurs jours d'affilé au même endroit. D'autres fois il suit son sujet jusqu'à trouver l'atmosphère adéquate. "La photo c'est la concentration du regard, c'est l'oeil qui guette, qui tourne inlassablement, à l'affût, toujours prêt" disait son maître. Il s'agit de saisir l'imminent, ni trop tôt, ni trop tard, de s'emparer de l'émotion sur le vif. La beauté du moment, sa perfection, ne souffre pas l'empressement. Il faut rester concentré pour atteindre la simplicité d'expression. 

Fan Ho mêle la composition et la spontanéité, se fiant avant tout à son intuition et à son répertoire d'émotions. Chasseur d'images il cherche aussi à traduire les émois qui l'habitent. 

Retour aux origines

Après s'être interrompu pendant plusieurs décennies pour se consacrer au cinéma, Fan Ho reprend la photographie en 2010. Désormais trop âgé pour sillonner les rues, il se plonge dans ses anciens négatifs pour les retravailler, redécouvrant certaines images jamais imprimées, s'amusant à superposer différents clichés pour élaborer de nouvelles compositions, créant des jeux de double exposition aux allures surréalistes.

Reminiscence, A Hong Kong Memoir, Fan Ho

Délaissant la chambre noire, il travaille dorénavant à partir d'un ordinateur. Sa dernière série, réunie dans l'ouvrage A Hong Kong Memoir et présentée à la galerie AO Vertical Art Space, s'articule à partir d'une compilation de vieilles images. A la manière des photogrammes de Laslo Moholy-Nagy et de Man Ray, Fan Ho utilise les formes et les motifs pour construire des images dont la narration aux accents surréalistes tend vers l'abstraction. L'appareil photo permet de révéler ce que l'oeil ne perçoit pas. Explorant de nouvelles façons de voir, il associe des fragments de souvenirs, morceaux éparses d'un monde disparu, pour faire surgir une discordance ou une harmonie poétique. Fan Ho laisse poindre sa nostalgie du Hong Kong de sa jeunesse et active la mémoire collective. Alors que Hong Kong se pose de plus en plus la question de son identité, cette plongée dans l'histoire fait resurgir les valeurs fondatrices de la ville. On y retrouve les traces du vieux monde chinois et de l'ère coloniale mais au-delà des lieux et des visages Fan Ho nous offre l'intemporalité d'une époque à contempler. Déambulant dans les années 1950, il fixe les traits de ses contemporains. Lui qui voulait écrire, il utilise la photographie pour raconter des histoires, croquant une époque en pleine mutation. Ses images se regardent aujourd'hui comme une chronique du Hong Kong d'hier et peut-être comme une source d'inspiration.

Laure Phelip (www.lepetitjournal.com/hongkong) reprise du lundi 1er décembre 2014

Infos pratiques :

Fan Ho - A Hong Kong Memoir
Jusqu'au 31 janvier 2015.
AO Vertical Art Space, HK.
1-13F, Asia One Tower, 8 Fung Yip Street, Chai Wan, Hong Kong.
Du mardi au samedi de 11:00 à 19:00.

Les photographies de Fan Ho sont également visibles dans les chambres du Pottinger Hotel à Central.
21 Stanley Street, Central, Hong Kong.

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