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Monastère « Keur Moussa »: une vie de prière et de travail

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Écrit par Irène Idrisse
Publié le 5 janvier 2018, mis à jour le 11 octobre 2023

Au Sénégal, il est un lieu à part où piété et travail vont de concert : ainsi s’égrènent les journées des 42 moines pensionnaires du monastère « Keur Moussa ». Des retraites mixtes à celles qui ne le sont pas, du rythme d’activités s’apparentant aux « trois huit » y ayant cours : « je me lève à 4 heures du matin » nous confie le père Jean-Marie qui a bien voulu nous relater cette césure de recueillement si cher à son cœur. 50 années de Sénégal dont 45 dans ce monastère lui donnent la latitude d’en parler en toute vérité et d’en passant, nous renseigner quant au cépage du vin de messe: alors, Châteauneuf du Pape ou pas ?

50 ans de Sénégal, 45 ans de monastère Keur Moussa

Pouvez-vous vous présenter ?

Fr Jean Marie Vianney ROUZEAUD né le 23 juin 1950 à Tours en France.  Profession : moine bénédictin, prêtre.

Keur-Moussa

Depuis combien de temps êtes-vous au Sénégal et plus précisément dans ce monastère ?

Arrivé au Sénégal en 1968, cela fera donc 50 ans dans quelques mois. Et entré en monastère de Keur Moussa le 09 février 1972.

Depuis combien de temps ledit Monastère existe-t-il ?

Le monastère a été fondé en 1963 par l’Abbaye Saint Pierre de Solesmes qui se trouve dans le diocèse du Mans. Ce monastère fondateur a plus de 1000 ans d’existence.

Keur-Moussa

Existe-t-il une différence entre une abbaye et un monastère ?

Une Abbaye est un monastère qui a franchi certaines étapes dans son développement, qui comprend un certain nombre de profès solennels et qui a à sa tête un supérieur que l’on appelle Père Abbé.

Pourquoi le choix du quartier Keur Moussa pour l’implantation dudit monastère ?

Le but était, dans un environnement entièrement musulman, de donner le témoignage d’hommes d’Eglise voués uniquement à la prière.

D’ailleurs qui est le « Moussa » de qui cet endroit tire t-il son nom ?

Ce Moussa devait être un des chefs du village.

Huit heures de prière, huit heures de travail et huit heures pour le sommeil et les repas 

Keur-Moussa

Est-ce là le bâtiment tel que construit au tout début ou a-t-il subi des modifications ?

Il y a eu en permanence des bâtiments qui ont été construits pour pouvoir mieux accueillir les jeunes qui entraient au monastère et les hôtes qui venaient de plus en plus nombreux pour des retraites spirituelles.

Pouvez-vous nous raconter l’une de vos journées type ?

Nos journées sont très remplies. Je me lève à 4 heures du matin. On pourrait dire que l’on fait les 3 huit. Huit heures de prière, huit heures de travail et huit heures pour le sommeil et les repas. Huit fois trois 24 heures. Le compte est bon !

Quelle est la fonction première d’un monastère ? De celui-ci ?

La prière. En latin on dit « l’opus Dei », « l’œuvre de Dieu » et le travail. C’est notre devise : «  ORA et LABORA » (Prier et travailler).

Keur-Moussa

Musique en Monastère

Quelle place tient la musique dans le monastère ?

Tous les 7 offices de la journée sont entièrement chantés et accompagnés d’instruments, spécialement de la  kora fabriquée chez nous. Cela demande donc une bonne formation musicale, du solfège en particulier pour pouvoir lire une partition, et du chant grégorien aussi.

Le processus de fabrication de la kora est-il difficile. Pouvez-vous nous le relater ?

Non, mais cela demande un bon suivi et des recherches qui ne sont pas finies. Nous cherchons le bois de la hampe et la peau pour couvrir la calebasse en Guinée Bissau. La calebasse est achetée au Sénégal, parfois au Mali. Les clefs viennent du Japon. Nous avions commencé à fabriquer les koras aidés par l’Ecole polytechnique.  Actuellement nous avons vendu plus de 2200 koras dans 54 pays.

Donnez-vous des concerts en dehors du monastère ?

Non. Une fois où l’autre pour avoir un soutien financier, mais c’était exceptionnel.

Quelles activités  rythment la vie du monastère ?

Avec les 7 offices il y a le travail dans le verger, l’atelier de koras, la transformation de nos fruits, le poulailler, le potager, la fromagerie. L’accueil des hôtes nous demande une forte présence.

Vivez- vous en autarcie ou avez-vous des échanges professionnels et/ou quotidiens avec les gens alentours ? De quels genres lesdits échanges ?

Les monastères à l’origine, vivaient en autarcie. Actuellement, tout en essayant de sortir le moins possible, nous avons des contacts avec des professionnels, nos ouvriers. Il s’agit pour nous d’améliorer nos productions et nous voudrions avoir une certification  qui reconnaitra officiellement nos  produits avec la qualité de bio. Pour cela, il nous faut les conseils de personnes compétentes.

Keur-Moussa

Certains viennent en groupe d’autres individuellement 

Pouvez-vous nous parler du volet retraite ? Des personnes viennent s’y isoler afin de se recueillir. Pouvez-vous nous expliciter cela ?

Des personnes ont besoin de se recueillir en un lieu silencieux, paisible, et qui leur offre donc un environnement calme où l’on peut davantage écouter Dieu dans la prière. Ils ont besoin aussi de parler, parfois de discerner un choix de vie, ou demandent le sacrement de réconciliation. Certains viennent en groupe,  d’autres individuellement. Certains retraitants préfèrent une retraite individuelle sans prédication, d’autres demandent un prédicateur que l’on met à leur disposition. Il y a aussi les religieux et prêtres qui doivent chaque année faire une retraite spirituelle. La demande est très forte.

Les retraites sont-elles mixtes ? Je veux dire : un homme ou une femme peut –il/elle indifféremment opérer une retraite en vos murs ? Existe-t-il des formats de retraite en couple ici ?

L’hôtellerie inférieure est réservée aux hommes. Pour les couples il y a un autre centre d’accueil. Au Bois des Manguiers : centre d’accueil très vaste, les groupes sont souvent mixtes.

Quels sont les critères pour une retraite?

Vouloir se recueillir, respecter le silence et participer aux offices chantés par les moines.

Existe-t-il des choses que les personnes désirant faire une retraite  ont interdiction d’apporter dans ledit monastère ?

Le bruit qui peut se présenter sous bien des formes depuis le téléphone portable jusqu’aux cris.

Les personnes venant en retraite sont-elles soumises au même régime que vous ? À savoir prières études etc ?

Pour les prières, oui. Les études au monastère sont réservées aux moines en formation.

Les durées de retraite sont-elles fixées par vous ou les personnes désireuses d’effectuer une retraite elles-mêmes ?

En principe elles durent une semaine. Pas davantage.

Cire d’abeilles pour les cierges, fleurs naturelles pour la décoration de l’église, fûts avec l’emblème de Vatican, ça c’était avant… 

Quelle relation le monastère entretient-il avec son environnement ?

D’amitié, dans le travail avec les ouvriers. Nous avons été amenés à aider les populations des environs en construisant une école primaire, une école rurale et un dispensaire tenu par des religieuses. A l’origine des moines avaient ces responsabilités.

Le Monastère se voit-il parfois obligé d’endosser un  rôle de régulateur social par rapport à la communauté alentour ?

Cela peut se faire mais individuellement, pour des familles en conflit qui demandent nos conseils.

Quel est le modèle économique du monastère ? De quoi vivez-vous ?

On vit de nos produits, de nos ventes et de quelques dons. C’est une économie de type familiale très organisée.

Pouvez-vous nous parler de l’alcool que vous y fabriquer ? Récolte, processus de fabrication, vente ou non etc.

A partir de notre production du verger que nous transformons, nous fabriquons des jus, des fruits séchés et des alcools. Il y a trois vins (Bissap, pomolo et cajou), et deux liqueurs, dont une à base de plantes médicinales appelée « lay-jaar ».

Ne faire que du bien à tout le monde 

Comment sont réparties les activités génératrices de revenus du Monastère ?

Il y a toujours un moine responsable, secondé par un autre. Tout est en relation avec le responsable de l’économie du monastère. Chaque année, il y a un bilan financier et tout est relevé dans un logiciel.

Que peut-on vous souhaiter ?

De ne faire que du bien à tout le monde.

Enfin, le vin de messe est-il du Châteauneuf du pape ?

Je me souviens dans les années 1970 que notre vin de messe venait d’Espagne d’une vigne travaillée uniquement pour le vin de messe, vignes non traitées. Sur les fûts, il y avait l’emblème du Vatican. On demandait aussi que la cire des cierges utilisés pour le culte soit une cire d’abeilles et que les fleurs de décoration de l’église soient naturelles et non artificielles. Cela a beaucoup changé !

Mais est-il bon ?

Je ne puis rien dire, je ne prends jamais d’alcool (de ce côté, je suis un mauvais français !), sauf le vin en toute petite quantité à la messe. Mais il me semble qu’il est très sucré.

Plus sérieusement, en ce début dannée 2018, de quoi pensez vous que le monde manque le plus ?

De paix. Non seulement internationale mais dans les cœurs de plus en plus troublés et inquiets. Cette paix ainsi définie par St Augustin : « tranquillitas ordinis », c’est-à-dire la tranquillité dans l’ordre ou de l’ordre ».

Et en ce début d’année donc, quel est votre vœu le plus cher pour ce même monde ?

Justement cette paix, avant tout dans le cœur de chacun car c’est dans mon cœur que commence la paix internationale mais aussi les guerres.

Keur-Moussa

Vos préférences

Verset biblique préféré ?

Tout le Prologue de Saint Jean : « Et le Verbe s’est fait chair ». Parce qu’li s’agit du verbe aimer.

Hormis les entités que sont Dieu et le saint Esprit, et les personnages que sont Marie et Jésus, votre personnage biblique préféré 

Les prophètes. Ils ont parlé de Dieu en vérité, envers et contre tout et à tous. Et la Samaritaine (Jean chapitre 4em).

Musique préférée ?

Les oiseaux qui chantent, la musique orthodoxe russe, les negro spirituals.

Sentiment préféré ?

Aimer en vérité.

Déraison préférée ?

Il n’y en a pas. J’essaie d’être le plus réaliste possible au quotidien.

Excuse préférée ?

Je ne savais pas, on ne me l’a pas appris. Voilà pourquoi j’ai fait une erreur.

Expression latine préférée ?

« Age quod agis ». « Fais ce que tu fais ». C’est-à-dire être là où l’on doit être et faire ce que l’on a à faire à fond.

Moment de la journée préféré ?

La nuit avec son silence, ces bruits, son mystère, ses peurs qu’il faut surmonter aussi et l’attente du jour nouveau.

Keur-Moussa

Lire aussi notre article : Les missionnaires de l’Asie ou l’expatriation ad vitam

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