Photographe installé à Dakar et finaliste des Trophées 2016 des Français de l'étranger, Stéphane Tourné est notamment connu pour sa participation à la campagne « Nuul Kukk » contre les crèmes éclaircissantes de peau. C'est aussi un artiste passionné et plein de ressources, qui revient pour nous sur son parcours, son travail et la situation actuelle de la photographie.
J'ai tout mis dans une malle, bradé le reste et je suis venu
Peut-on revenir d'abord sur votre parcours ?
J'étais mannequin à Paris ou j'ai résidé 10 ans. Mannequin ça n'était pas vraiment ma passion, presque un choix de facilité. Ce qui me plaisait surtout, c'était de ne pas avoir de patron ou de comptes à rendre et quand je ne travaillais pas, je faisais du sport. Quand j'avais suffisamment d'argent je prenais un billet d'avion. Je demandais si possible un aller simple et je m'arrangeai avec les durées de visas pour rester le plus longtemps possible. Je voyageais sans vraiment savoir où j'allais : en général je débarquais dans le pays sans avoir cherché de logement. Je trouvais sur place. Il n'y avait pas Internet à l'époque... J'avais beaucoup de mal à rester sur Paris toute une année. Ça ne se faisait d'ailleurs pas sans problème avec les agences qui m'employaient. J'ai de cette manière découvert beaucoup de pays, avec cette idée de m'installer ailleurs, au soleil.
Par ce métier de mannequin, j'ai pu découvrir le monde de la photographie. Lorsque j'étais dans un studio photo, je passais toujours du temps avec les photographes et leurs assistants pour leur poser des questions. C'est comme ça que j'ai découvert que la photographie était une vraie passion. J'ai mis du temps à m'acheter mon premier appareil et quand j'ai commencé à faire mes premières images, je les ai tout de suite comparées avec ce qui pouvait me plaire dans les magazines. La question que je me posais c'était : « pourquoi les miennes ne sont pas aussi jolies ? ». À travers ces questions j'ai cherché les réponses, les solutions. C'est ainsi que j'ai appris mon métier.
En ce qui concerne le Sénégal, je ne m'étais pas du tout imaginé que je m'y installerais. J'ai d'abord passé 3 mois sur place et fait beaucoup de rencontres, dont mon épouse. Je suis rentré à Paris, avant de revenir à Dakar. J'ai tout mis dans une malle, bradé le reste et je suis venu ! Ça fait 18 ans maintenant...
la maison, pour nous c'était Dakar
On ressent chez vous un vrai amour de l'Afrique. Qu'est-ce qui vous rattache à ce continent et à Dakar ?
On est bien ici. Ça n'est pas non plus toujours facile, mais on peut s'exprimer, on peut parler politique, religion, sport, et même si l'on est pas en accord, les échanges se font toujours avec le sourire et la bonne humeur. Je suis resté 7 ans à Dakar avec mon épouse. A cette époque je faisais beaucoup de publicités, des shootings pour des magazines français ou africains. J'ai aussi travaillé pour la Présidence, sur des gros projets parfois en partenariat avec l'UNESCO. En 2006, j'ai commencé à avoir le sentiment d'avoir fait le tour de ce que je voulais faire. On m'a un jour commandé une exposition dans le cadre d'un événement bio, cela m'a permis d'explorer des choses que l'on ne me demandait jamais ici : le noir et blanc, le nu... J'ai réalisé donc une série de nus avec des matières tels que le coton, le riz, la farine, et un gendarme a alors menacé de me mettre en prison. Ça a été une sorte de déclencheur car je ne me suis plus senti libre dans ce que je pouvais faire. Je suis rentré en France pour exposer avant de partir à Los Angeles avec mon épouse. La Californie pour un photographe, c'est un peu le paradis ! Je faisais des portraits de comédiens, des books de mannequins, des photos pour des albums de musiciens... Ça ne s'est pas très bien passé avec mon agent, nous avons donc décidé, avec mon épouse, de rentrer. Or, elle est italienne et je suis français, pourtant la maison, pour nous c'était Dakar. Même si Dakar, on l'aime autant qu'on peut la détester parfois.
Peut-on revenir sur la campagne « Nuul Kukk ? Black is so Beautiful » que vous avez mené en 2012 ?
Je n'ai pas mené cette campagne, je l'ai illustré. C'est parti d'un constat et d'une idée : les crèmes éclaircissantes étaient et sont très utilisées au Sénégal. Il est difficile de savoir si la pratique est interdite ou pas, la régulation n'est pas claire. Leur usage est en tous cas assez répandu malgré les problèmes de santé que cela peut engendrer, allant jusqu'aux cancers de la peau. Cela crée des tâches et en général, c'est assez inesthétique. Pourtant beaucoup de femmes ici en sont consommatrices. Dès le début, lorsque que je faisais des castings et que je voyais arriver des modèles qui utilisaient ces crèmes, je leur disais directement d'arrêter, que je refusais de travailler avec des femmes qui s'éclaircissent la peau, qu'elles étaient de toute façon beaucoup plus jolies avec leur couleur naturelle. D'ailleurs j'ai réussi à faire arrêter plusieurs filles. Ensuite il y a eu cette campagne d'affichage dans Dakar qui s'appelait « Khess Petch», promettant de devenir « plus blanc que blanc ». Le slogan a dérangé beaucoup de monde ici. Des amis qui travaillent pour un site web culturel, agendakar, sont allés dans une agence de publicité en disant : nous voulons faire une campagne pour contrer ces produits, utiliser les mêmes armes qu'eux. J'ai été contacté et j'ai dit oui immédiatement. C'est une première et la presse internationale en a parlé. J'ai créé ensuite un magazine féminin (« Elixir ») et chaque mois, je publiais une photo avec cette thématique.
On vit quand même une époque étrange ou tu crée un compte Instagram et tu deviens blogueur
Quelle est la situation actuelle de la photographie au Sénégal ?
La photographie s'est largement développée : il y a dix ans nous étions 4 ou 5 photographes à travailler dans les secteurs de la publicité ou de la mode, et le reste, c'étaient surtout des journalistes ou des photographes de soirées ou de mariages. Aujourd'hui je ne sais pas combien on dénombre de photographes professionnels à Dakar mais je dirais que nous sommes bien plus de cent. J'ai du mal à juger le travail des autres photographes mais il faut voir que la retouche est de plus en plus importante. J'ai des relations qui me disent ne recevoir les photos qu'ils ont commandées seulement 15 jours après, le temps qu'elles soient retravaillées et retouchées pour les rendre « montrables ». On trouve donc de très bons photographes et d'autres qui devraient faire autre chose à mon sens.
Bien sur, je ne peux pas tous les citer, mais les premiers noms qui me viennent sont Omar Victor Diop, il a explosé en quelques années. Il est devenu une vraie star internationale, il est d'ailleurs bien plus qu'un photographe, avec une culture de l'image et de la publicité dont il se sert, s'inspire sans jamais copier. C'est très fort. J'adore le personnage. Et puis il y a Alun Be. Lui, c'est un amoureux inconditionnel de l'image et ça se ressent dans son travail. Je suis fan.
On vit quand même une époque étrange ou tu crée un compte Instagram et tu deviens blogueur, tu crée une page Facebook en ajoutant à ton nom "pro" et tu deviens photographe, réalisateur, producteur ou encore organisateur d'évènements sous prétexte que tu reçois des "like" de tes amis... Ça devient très compliqué de faire le tri entre les mythomanes et les vrais professionnels. Un jour, j'ai booké une fille qui m'avait envoyé son portfolio par email. Ce n'était même pas elle sur les photos... Vous imaginez ?
Comment voyez-vous la photographie africaine ?
À mes yeux, il n'y a pas de photographie africaine, comme il n'y a pas de photographie européenne ou américaine. La photographie c'est la lumière, le regard, la vision de l'artiste, c'est le reflet d'une personne dans son ressenti, ses expériences, ses préférences, ses souffrances, son exceptionnalité. La photographie est universelle et individuelle, alors ne mettons pas de barrières ou de frontières à l'art ou à la sensibilité d'un être.
Vous commencez à diversifier votre activité, d'aller vers d'autres supports. C'est une volonté de votre part ?
C'est d'abord quelque chose de plus généraliste : de plus en plus les infographistes deviennent également photographes, les photographes deviennent réalisateurs et les réalisateurs, infographistes, monteurs... On a des appareils photos qui font de la vidéo et j'avais déjà travaillé sur des plateaux publicitaires sur la lumière comme directeur photo. C'est parti d'une demande, d'un producteur à Los Angeles pour le clip d'une chanteuse. C'est comme ça que j'ai découvert la vidéo et une nouvelle passion, car l'on tourne toujours autour du travail de l'image. J'ai fait des reportages aussi, des vidéos pour l'Union Européenne, l'USAID etc, et une dizaine de clips musicaux. Quelques films de mariage aussi. Je ne pense pas être un réalisateur, avoir les capacités de gérer les acteurs ou un scénario mais j'aime travailler l'image. En général je vais marcher par coup de coeur : si c'est pour un clip par exemple, je vais écouter la chanson et si une idée me vient, si cela me touche, je fonce.
J'ai l'impression que si je n'ai pas de projets, je meurs !
Quels sont vos projets à venir ?
Des projets j'en ai tout le temps. J'ai l'impression que si je n'ai pas de projets, je meurs ! J'ai une fille de cinq ans et sa venue a changé beaucoup de choses. Comme j'ai été mannequin puis photographe, mon métier a toujours été d'attendre que mon téléphone sonne. C'est une façon de vivre au jour le jour. Avoir une fille me donne envie au contraire d'avoir des projets, de créer. Je travaille toujours sur des projets d'expos et en ce moment également, j'ai un projet vidéo de portraits d'artistes. J'aime beaucoup ce projet car il me ressemble. Aller à la rencontre de ces gens dans leur atelier me fait énormément de bien. Ce sont des artistes et cela me parle : on se comprend. J'en ai pour l'instant réalisé quatre, et ces films ont tous été sélectionnés par le Festival du Film Documentaire Africain de Saint-Louis, hors compétition, et projetés en ouverture des 4 soirées de projections.
Vous avez exposé à Paris, Marseille, Los Angeles, Santa Barbara, pourquoi ne voit-on pas vos oeuvres à Dakar ?
La photographie en galerie est un art nouveau, comparativement à la peinture ou la sculpture. Elle a donc été très règlementée et pour qu'une photo puisse être considérée comme une oeuvre d'art, elle doit être numérotée et ne pas dépasser 30 exemplaires, mais aussi imprimée sur un papier et avec une encre qui assureront une durée de vie de l'image de plus de cent ans. Tout ça n'est pas forcément respecté ici, ni par les galeries, ni par certains photographes. Si je dois exposer, je dois respecter ces contraintes, ne serait-ce que par respect envers les collectionneurs qui ont déjà acheté une de mes images. C'est donc un cout important qui se répercute sur le prix de vente. J'ai vu en galerie, des images exposées qui étaient vendues moins cher que ce que me coute un tirage... Mais j'y réfléchis, un jour peut-être.
Stéphane Tourné, vous considérez-vous comme le meilleur photographe à Dakar ?
Haha ! Ce n'est pas à moi de répondre à cette question. Quoi qu'il en soit, la photographie est un univers très vaste, avec plein de domaines différents. On ne peut pas être le meilleur photographe, on peut être le meilleur dans le portrait, la mode, le paysage ou le reportage, et même ça, c'est très subjectif. Mais ma fille vous dira que je suis le meilleur... (Rires)
Alors quels sont vos domaines de prédilection ?
Sans hésitation, le portrait. Je sais lire et comprendre la lumière, la photographie, c'est la lumière. Et je crois qu'en portrait, elle prend toute son importance. Et puis, dans un portrait, on est toujours en quête du meilleur angle, du regard, de l'expression. Chercher à capter l'âme à travers le regard, c'est peut-être utopique, mais c'est beau l'utopie, non ?
Un message, un conseil à ceux qui débutent ou souhaitent devenir photographe ?
Oubliez les règles, écoutez votre coeur, ne copiez pas et travaillez exclusivement en mode manuel. Soyez exigeants avec vous-même et ne vous contentez pas d'une image que vous pourrez montrer après des heures de retouche.
Pour finir, personnage historique ?
Tarzan, Volverine, Osvaldo Piazza, Robin des Bois et Rocky Balboa (Rires)
Mot Wolof préféré ?
Retane (Souriez)
Signe astrologique ?
Verseau ascendant verseau
Votre chiffre fétiche ?
Les multiples de 4
Couleur préférée ?
Les teintes de terre et de soleil
Plats préférés ?
Spaghettis ail & piment
Boisson préférée ?
La mauresque
Restaurant préféré ?
La table de Silvia, mon épouse. (À la maison)
Vous ?
Artiste-Autiste-Ermite-Raleur
Votre ou vos qualités ?
Une seule, l'honnêteté
Votre ou vos défauts ?
L'honnêteté, de nos jours on ne sais plus si c'est un défaut ou une qualité... Je ne suis pas physionomiste, j'oublie les visages et les noms. J'oublie tout d'ailleurs...
Une obsession ?
La lumière, l'image
Qu'est-ce que vous détestez le plus au monde ?
Le mensonge, les ragots, l'injustice, la malhonnêteté, la ségrégation
Qu'est-ce que vous aimez le plus au monde ?
Ma fille, Lya-Marie et sa mère, Silvia
Propos recueillis par Philippe Creusat, www.lepetitjournal.com
Le site de Stéphane Tourné : http://stephanetourne.com/