L’homme à la tête de la « petite ville » de 3000 personnes que représente le lycée Jean Mermoz de Dakar a pour nom Alain Lize. Issu d’un milieu modeste, il connait l’importance de l’Éducation comme dynamiteur du déterminisme social. En matière de ladite éducation, sa connaissance des deux cotés de l’échiquier, il fut professeur avant d’être proviseur, amplifie sa capacité d’analyse de cet univers qu’il a choisi et qui de fait, le passionne. Entretien avec un homme de mission.
Des membres de ma famille travaillaient en Algérie…
Pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 57 ans, je suis fils d’un ouvrier métallurgiste du Nord de la France ; je suis marié, mon épouse est enseignante, nous sommes une famille recomposée, nous avons 5 filles qui vivent, travaillent et étudient en France. J’ai effectué toute ma scolarité en France, en empruntant plutôt les chemins chevriers que les voies royales, je suis, pour partie, autodidacte.
D’un point de vue professionnel, je suis Proviseur depuis 19 ans, j’ai été enseignant pendant 13 années, ma carrière a été marquée par une longue période en Zone Urbaine Sensible, dans le Nord de la France, en Meurthe et Moselle puis en Moselle dans un lycée « Ambition Réussite » en partenariat avec Sciences Po Paris ; elle s’est poursuivie à Montélimar dans une cité scolaire de 2000 élèves, de typologie et de structure proche de celle du Lycée Jean Mermoz. Le Lycée Jean Mermoz est mon cinquième établissement.
Le Sénégal est-il votre première affectation en Afrique ?
Le Sénégal est ma première expatriation. Après 17 années de direction d’établissements en France, je souhaitais changer de biotope professionnel, la Guyane et les postes à l’étranger correspondaient à cette aspiration.
Avant le Sénégal, aviez-vous eu des contacts avec ce continent d’une façon autre ?
Des membres de ma famille travaillaient en Algérie, c’est un pays dans lequel j’ai pu séjourner. Je suis également allé en Égypte et en Tunisie. Ces quelques expériences « touristiques » mis à part, je n’avais jamais eu de contact avec l’Afrique.
Je dors peu ce qui me permet de faire une revue de presse nationale et française quotidienne
Quel est le quotidien du proviseur du Lycée Jean Mermoz que vous êtes ?
Le métier de chef d’établissement est vaste, je dois mettre en œuvre dans l’établissement les décisions politiques du Ministère de l’Éducation Nationale et celles de l’AEFE en mettant en place des stratégies adaptées aux spécificités de l’établissement et au contexte local. On parle davantage de pilotage d’établissement que de direction. La pédagogie est mon cœur de métier, la gestion des ressources humaines, la sécurité, l’organisation de la structure, les relations avec les parents et les élèves, les autorités de tutelle, les partenaires, le pilotage financier et matériel, la gestion administrative de l’établissement et la représentation sont autant de cordes à mon harpe qu’il faut faire vibrer en harmonie.
Je dors peu ce qui me permet de faire une revue de presse nationale et française quotidienne.
Le Lycée Jean Mermoz est également mutualisateur de tous les établissements du réseau de l’Afrique Occidentale.
Pour cela, je suis entouré d’une solide équipe de direction qui fait un travail de très grande qualité et qui est très investie. Les journées commencent tôt et se terminent tard et nous nous retrouvons souvent pour le débriefing de fin de journée à l’heure où tout le monde est en famille.
Ce quotidien de chef d’établissement est surprenant car les journées ne sont jamais identiques et surtout, il arrive souvent que nous ne fassions pas du tout ce qui était prévu. Nous travaillons avec de l’humain et la petite ville que constitue l’établissement - 3000 personnes - réserve son lot de surprises quotidiennes.
Combien d’élèves compte l’établissement ? Et répartis comment ?
L’établissement compte 2550 élèves au total dont environ 770 au premier degré et 1780 pour le Secondaire : 95 classes en tout.
Les statistiques ethniques sont interdites mais à vue de nez, combien de nationalités différentes regroupent votre établissement ?
Il ne s’agit pas de statistiques ethniques, la nationalité ne rentre pas dans ce critère. 50 nationalités composent la population scolaire du lycée, beaucoup d’élèves français (65%) sont binationaux (21 %).
Il est visible que le lycée regroupe un nombre certain sinon de nationalités, du moins d’élèves d’origines diverses, comment gérez-vous les replis identitaires / communautaires ?
Cette question semble omniprésente quand on parle du Lycée Jean Mermoz, on a évoqué ce sujet dès mon arrivée. Après 15 mois passés à la direction de l’établissement je peux dire qu’il n’en est rien. Si les communautés peuvent avoir tendance naturellement à se regrouper, les mélanges et les amitiés viennent naturellement. Je trouve que les enfants vivent très bien ensemble.
Nous restons toutefois vigilants sur ce sujet comme nous pourrions l’être en France où cette question est quelques fois très prégnante, notamment dans les cités.
Existe-t-il des cours traitant de cet épineux sujet et sensibilisant les élèves à ce propos ?
Pas de cours spécifiques mais des projets pédagogiques qui peuvent aborder la question du vivre ensemble, de la tolérance…
Le lycée a-t-il mis en place une ligne verte que tout élève en situation de détresse peut appeler ?
Le Lycée ne dispose pas d’une ligne verte mais d’une cellule de veille pluridisciplinaire (proviseurs-adjoints, CPE, infirmières, psychologue scolaire) qui se réunit toutes les semaines et qui analyse les signaux faibles ou forts qui nous sont remontés par divers canaux (enseignants, parents…) et qui travaille sur les solutions à apporter. Au quotidien, c’est l’ensemble de l’équipe éducative qui est attentive au possible mal-être des enfants et des adolescents qui nous sont confiés.
Comment se recrutent les professeurs ?
Nous sommes un Établissement en Gestion Directe (AGE) par l’Agence (AEFE), ce qui implique que le recrutement soit très normé. Nous avons trois types de contrats : les expatriés, recrutés directement par l’Agence, les résidents qui sont des enseignants titulaires français qui obtiennent un détachement et sont recrutés par une commission paritaire présidée par le poste diplomatique et les contrats locaux, recrutés par une commission paritaire qui donne un avis.
Existe t-il des tests psychologiques afin d’établir ou du moins avoir un aperçu de l’état psychologique desdits professeurs avant qu’ils ne prennent en charge les élèves ? Le soleil ayant la faculté de flouter les valeurs et normes : pouvant faire voir comme « normal » ce qui ne l’est pas et bannissant au contraire, ce qui l’est ?
Il n’existe pas de tests psychologiques au moment des recrutements. Nous demandons un extrait de casier judiciaire et nous sommes un réseau… Nous sommes attentifs à ce qui se passe dans les classes, les difficultés, lorsqu’elles surviennent, remontent très vite.
Vous êtres proviseur depuis un an. Quelles sont les nouvelles donnes par vous apportées ?
La première année a permis de découvrir plus finement l’établissement dans toutes ses composantes, de dégager des problématiques et de poser une architecture fonctionnelle, de préparer les fondations du projet. De nombreux projets ont donc vu le jour à la rentrée : la mise en place de dispositifs d’aide à l’élève (mieux réussir au collège, au lycée), le renforcement de la pratique des langues vivantes et de l’anglais en particulier, les dispositifs préparatoires à l’entrée à Sciences Po, aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux écoles d’ingénieurs, l’accompagnement des élèves à l’option facultative arts plastiques au baccalauréat et aussi la création de la Maison des Élèves qui permet aux élèves du CM1 à la terminale, accompagnés par des adultes, de mettre en œuvre des projets, d’animer la vie de l’établissement, de gérer des finances… bref, de s’engager.
L’établissement va également s’engager cette année dans une démarche de développement durable dans le cadre du Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté, avec le concours de l’association des parents d’élèves qui fait un très gros travail dans l’établissement. D’autres projets sont en gestation.
La méthode dite de Singapour a fait ses preuves. Est-elle appliquée dans l’école ?
Non cette méthode n’est pas appliquée au lycée, l’établissement suit les programmes de l’Éducation Nationale française.
Quid de l’écriture inclusive ?
Comme pour les mathématiques, l’établissement suit les programmes de l’Éducation Nationale française. Je ne peux que citer les déclarations de notre Ministre sur le sujet que je partage.
« Il faut déjà arriver aux fondamentaux sur le vocabulaire et la grammaire, arriver à ce que les enfants aient une vision claire de la construction d'une phrase. Je trouve que l'écriture inclusive ajoute une complexité qui n'est pas nécessaire ». « La cause est bonne, celle de l'égalité hommes-femmes», mais je ne pense pas que ce soit un juste combat..« la langue française n’est pas à instrumentaliser pour des combats, aussi légitimes soient-ils ».
Comment gérez-vous les différentes fêtes religieuses et laïques dont regorge le Sénégal ? Le lycée es prend –il en compte ?
Là aussi les choses sont très normées. L’Ambassade de France produit une note de service fixant les jours fériés, les jours religieux du Sénégal comme ceux de la France sont suivis. Nous sommes amenés à travailler un certain nombre de samedis matins dans l’année pour faire en sorte que les horaires réglementaires soient respectés.
Quoiqu’étant un espace à part, le lycée est dans la cité dans le sens Platonien du terme. Nombre de personnes vivant au Sénégal en repartent sans avoir eu connaissance de la richesse culturelle du pays, le Lycée Jean Mermoz dispense-t-il des cours relatifs au patrimoine et culture du pays de résidence ?
Le Lycée Jean Mermoz n’est pas et ne sera jamais une enclave française au Sénégal. Nous sommes dans un pays hôte qui nous accueille formidablement bien. Si nous ne faisons pas de cours relatifs à la découverte du pays, nous prenons en compte ses spécificités dans les enseignements en contextualisant les programmes (Géographie, Histoire, SVT, Lettres...). De nombreux projets pédagogiques, culturels, artistiques prennent en compte cet aspect culturel du Sénégal. Régulièrement, des artistes, des professionnels et des entreprises sont invités à échanger avec nos élèves.
Sur certains projets pédagogiques, nous travaillons également avec des structures locales devenues nos partenaires, comme le Samu Social au Sénégal ou le Lycée de Ouakam. Au-delà de la nécessité pour l’école d’ouvrir les esprits aux travers des projets pédagogiques, je ne peux que rejoindre Son Excellence l’Ambassadeur de France qui invite les résidents français nouvellement arrivés sur le territoire à sortir de Dakar, à rencontrer les gens, sur le territoire, dans les campagnes. Nous avons la chance d’être dans un pays superbe, les Sénégalais sont des gens ouverts et très sympathiques, il faut profiter de ce contexte pour se découvrir et s’enrichir mutuellement.
L’école organise-t-elle des excursions dans les régions ? Avec par exemple des séjours en immersion, en campement etc ? Par exemple dans les diverses fermes et élevages bios qui poussent un peu partout ?
L’école organise tous les ans des classes de découvertes au premier degré (Saint Louis, Toubab Dialaw…) ainsi qu’au second degré. Nous participons depuis plusieurs années à la replantation de la mangrove dans le Sine Saloum (projet de la Course Verte en partenariat avec Nebeday).
« Dans la vie, il n’y a pas de solution. Il y a des forces en marche : il faut les créer, les solutions suivent ». Antoine de Saint Exupéry.
Est-il aisé de gérer un établissement de cette envergure, en terre étrangère qui plus est ?
Diriger un établissement n’est pas un métier simple, en existe-t-il d’ailleurs ; travailler à l’étranger apporte une dimension supplémentaire à un métier passionnant.
Laissez-vous l’établissement derrière vous lorsque vous quittez votre bureau ou le ramenez-vous chez vous ?
Je dois dire que les moments de relâche sont peu nombreux, diriger un établissement comme le Lycée Jean Mermoz nécessite - si on veut prendre en compte l’existant et faire évoluer les choses - un investissement très important. Je m’impose 20 km de marche rapide hebdomadaire pour évacuer et lutter contre les effets d’une vie sédentaire. Je m’accorde généralement et quand c’est possible, une coupure d’une journée par semaine. Les petites vacances scolaires sont consacrées pour partie à la réflexion, à la documentation, à l’élaboration de stratégies, car cela est nécessaire et pour autre partie, à la vie de famille, à la visite du Sénégal.
Vos élèves, et, ou leur parents, sont potentiellement dans tous les lieux où vous pourriez vous rendre : supermarchés, plages, lieux de loisirs, concerts, restaurants etc. De par ce que, de par votre statut vous représentez, et aux yeux des parents, et aux yeux des élèves, et vous devez d’envoyer comme image à votre hiérarchie, cette situation de « Big Brother au-dessus de mes cheveux » est-elle aisée à vivre ?
Mon travail, ma mission comporte une partie de représentation, celle-ci est plus importante encore à l’étranger qu’en France. Paradoxalement je ne sens pas de pression de cette nature à Dakar. Je ne me sens pas épié, les gens sont courtois, je ne suis jamais interpellé sur l’établissement dans ma vie quotidienne. Je vais le plus possible au contact des élèves ce qui permet qu’ils me considèrent comme leur proviseur mais aussi comme un être humain. D’une manière générale, je ne me suis pas bâti un personnage public et un autre privé et je suis dans la vie de tous les jours comme je suis au travail.
Comment décompressez-vous ?
Nous avons acheté, il y a quelques années une vieille ferme de 300 ans en ruine en Ardèche, en pleine nature, entre le mont Gerbier de Jonc et le mont Mézenc. Nous avons passé beaucoup de temps à la restaurer, il reste encore du travail, c’est notre repaire. La famille est également un sas, une bulle affective.
Un dernier mot ?
« Dans la vie, il n’y a pas de solution. Il y a des forces en marche : il faut les créer, les solutions suivent ». Antoine de Saint Exupéry.
Vos préférences
Livre préféré ?
« Graine de crapule » de Fernand Deligny
Musique préférée ?
J’ai des goûts très éclectiques, j’aime la musique classique, Pink Floyd, le rock, les chanteurs à textes.
Plat préféré ?
Je suis « chtimi » (habitant des Hauts De France), alors j’aime les plats sucrés-salés, la flamiche au Maroilles.
Sentiment préféré ?
Optimisme et bienveillance.
« Passion triste » préférée ?
Ce ne sont pas des sentiments qui m’habitent. La vie m’a appris à évacuer les sentiments toxiques.
Mot préféré ?
Yalla !
Excuse préférée ?
Balma.
Matière préférée?
J’ai plutôt un profil scientifique mais je préfère les espaces où sont mises en œuvres les connaissances, les tâches complexes. Je n’ai jamais aimé faire des maths pour les maths par exemple. Par contre les calculs mécaniques ou génie civil me plaisaient beaucoup. De par mon métier j’ai délaissé les sciences au profit de l’étude des organisations, de la GRH et de la systémique mais avec une approche pas nécessairement universitaire.
Notre site internet : www.lyceemermozdakar.org
Notre page FB : https://www.facebook.com/LyceeJeanMermozDakar/
Événementiels ou temps forts à venir du lycée ?
Deux temps forts (mais il y en a de nombreux)
- Carrefour des métiers – mars 2018 / Regroupant plus de 100 professionnels de Dakar pour présenter leur métier à nos élèves de 3ème et de 2nde
- Concours Ambassadeurs en Herbe – mars 2018 / Regroupant les pays de la zone Afrique Occidentale – plaidoiries autour d’un thème de l’Agence (les élèves doivent savoir parler dans la langue du pays d’accueil.