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Rencontre avec le Dr. Hans Kluge, Directeur régional Europe de l'OMS

Hans Henri Kluge OMS Hans Henri Kluge OMS
Le Docteur Hans Kluge lors d'une conférence de presse - source : WHO Europe
Écrit par Joëlle Borgida
Publié le 7 décembre 2020, mis à jour le 29 octobre 2021

Nous rencontrons le Docteur Hans Henri Kluge qui est Directeur régional Europe de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à Copenhague depuis février 2020. Il évoque avec nous son parcours, le rôle de l'OMS puis nous faisons avec lui un tour d'horizon des questions relatives à l'épidémie de Covid-19 : les derniers chiffres, les recommandations, les vaccins...

 

Pourriez-vous nous parler de votre parcours jusqu’à votre récente élection au poste de Directeur régional Europe de l’OMS ici à Copenhague.

Mon père était médecin et ma mère infirmière. J’ai suivi des études de médecine à l’Université catholique de Louvain et à l’issue, j’ai d’abord travaillé comme médecin généraliste en Belgique. Puis, j’ai suivi une spécialité à l’Institut de médecine tropicale à Anvers pour pouvoir travailler pour Médecins Sans Frontières (MSF).

Je suis alors parti en mission avec MSF en Somalie pendant la guerre civile et au Libéria.

Après cela, j’ai été envoyé en Sibérie, c’était une première depuis la chute du mur, je travaillais dans des prisons où je participais à un programme de lutte contre la tuberculose. La situation était catastrophique.

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré ma femme. J’ai souhaité alors prolonger mon séjour en Russie et à cette période-là, l’OMS ouvrait un bureau à Moscou et ils cherchaient des personnes qui connaissaient l’environnement russe. Je suis resté 5 ans pendant lesquels l’OMS est venu en appui technique à des projets sur la tuberculose notamment.

Après la Russie, j’ai été nommé en Birmanie pour m’occuper de la tuberculose, du sida et du paludisme. J’ai ensuite un peu travaillé en Corée du nord et comme nos filles grandissaient nous avons souhaité revenir en Europe et j’ai obtenu un poste à Copenhague comme Directeur des systèmes de santé.

Pour devenir Directeur régional, il faut être élu. Je me suis présenté avec 6 autres candidats. Pour ma campagne, je suis allé rencontrer les 53 ministres de la Santé de toute l’Europe. Chacun des 53 pays membres a une voix, le même poids : 1 voix pour la Russie ou 1 voix pour Andorre !

 

 La justice sociale, la protection des plus vulnérables a toujours été le moteur de ma carrière. 

 

Expliquez-nous le rôle de l'OMS et ses relations avec les pays membres :

Beaucoup de gens s’interrogent sur le poids et le pouvoir de l’OMS mais il faut savoir que le domaine de la santé est une compétence nationale. L’OMS n’a pas de pouvoir de sanction comme l’a par exemple l’Union Européenne vis-à-vis de l’un de ses pays membres.

L’OMS a pour mission de développer les échanges de connaissance et d’informations. Nous proposons des "Soft instruments" et basons nos relations avec les États membres sur la confiance. Nous travaillons par consensus et cela fonctionne bien.

Comme dans toutes les instances internationales, le multilatéralisme est très important. L’OMS a déjà pris contact avec le chef de cabinet du nouveau président des Etats-Unis, Joe Biden, et nous espérons que les Etats-Unis retrouveront leur place dans notre organisation.

Entre-temps et tout particulièrement avec le Covid-19, l’Allemagne qui a présidé l’Union Européenne pendant 6 mois et la France ont poussé à la signature de directives et conclusions pour augmenter le rôle de l’Union Européenne dans le domaine de la santé. C’est une bonne chose pour l’Europe !

Il y a eu une prise de conscience en Europe de l’importance des approvisionnements lorsqu’au début de la pandémie le matériel manquait car toutes les usines sont en Chine.

Le budget dédié à la santé va être augmenté car l’Europe est déterminée et c’est une vraie opportunité de positionner la santé au centre de l’agenda politique car s’il n’y a pas de santé, il n’ y a pas d’économie, pas de sécurité, ni de cohésion sociale.

 

Le Professeur Mario Monti avec 17 commissaires (anciens chefs d’État, scientifiques) mènent actuellement une réflexion dans le cadre d’une commission paneuropéenne sur la place que l’on doit faire à la santé et au développement durable aux lumières des leçons que nous pouvons tirer de la pandémie. Il s’agit de :

 repenser les politiques à la lumière de la pandémie. 

 

Quels sont les derniers chiffres que vous pouvez nous communiquer concernant l’épidémie en Europe ?

 

15,7 millions de cas recensés.

300 000 décès.

Une personne meurt du Covid toutes les 17 secondes.

 

La tendance actuelle montre que le taux de mortalité augmente. On voit aussi des jeunes gens mourrir du Covid.

Le virus attaque chaque individu très différemment, même des personnes très sportives ont pu être sévèrement touchées. Ce n’est pas une maladie respiratoire classique, elle attaque beaucoup d’organes dans le corps, notamment cardio-vasculaires.

Si des personnes ne portent pas de masques, elles peuvent être infectées mais elles peuvent surtout infecter des personnes vulnérables. Il faut arriver à casser la chaine de transmission. Il y a des cas asymtomatiques ou encore des personnes qui ne peuvent pas se confiner car elles vont perdre leur travail.

 

Que pensez-vous du confinement ?

Il fait arriver à trouver le bon dosage et privilégier un confinement modéré car il y a eu une prise de conscience des effets collatéraux du confinement très strict au printemps. Un confinement sévère supprime le virus mais cause de nombreux autres dégâts : des problèmes mentaux notamment liés à l’isolement.

Nous sommes très vigilants car il y a eu une nette augmentation des violences domestiques aussi ; des femmes, des enfants se sont retrouvés enfermés avec leur agresseur.

C’est pour cela, qu’il faut maintenir les écoles ouvertes le plus possible et accueillir à tout prix les enfants aux besoins spécifiques.

D’autres maladies vont se developper car pendant que l’on se concentre sur le Covid, il y a moins de prévention pour d’autres pathologies comme les cancers ; on attend une hausse de 15% de la mortalité pour les cancers du sein par exemple.

 

Quelles sont les autres recommandations pour lutter contre le virus ?

Pour le sida, il n’y toujours pas de vaccin mais on a su prévenir et soigner. Il faut donc essayer d’en faire autant avec le Covid en attendant un vaccin.

Il y a le lavage des mains, la distance physique, éviter les rassemblements, l’isolement en cas de symptômes et le port du masque obligatoire !

Si 95% de la population européenne portait un masque, on pourrait sauver 200 000 vies dans les 100 prochains jours !

A ce stade en Europe, il y a des pays où ce n’est que 50%, la moyenne est de 67%. En Asie, à Singapour par exemple, c’est 95% de la population qui porte un masque.

Ce sont des mesures peu coûteuses, low tech et accessibles à tous et qui sont très efficaces.

Le virus va être encore très actif cet hiver même s’il ya des espoirs avec la technologie, les vaccins et les progrès que l’on a fait  pour mieux soigner les cas graves.

Mais en attendant, pour les 5-6 mois à venir, il faut continuer à être prudent et à avoir un comportement solidaire.

 

Et quels sont vos conseils pour les fêtes de Noël qui approchent?

Fêtez Noël mais en petit comité et il faut que chaque famille ait conscience des personnes qui sont à risques, des personnes qui sont vulnérables (maladie cardio-vasculaire, diabète, obésité). Il faut éviter la proximité, les contacts fréquents.

La responsabilité des États est également très importante et il faut que, dans chaque pays, il y ait un message clair émanant du gouvernement, de ses dirigeants. Un seule voix qui communique et c’est un vrai problème dans les Balkans par exemple.

 

Comment organiser le déconfinement pour éviter un retour du virus ?

Il ne faut pas aller trop vite, tout comme le confinement doit se faire pas à pas, il faut réouvrir aussi pas à pas. C’est toujours très populaire d’annoncer une reprise de la vie normale mais le virus n’a pas disparu et il y aura vraisemblablement une troisième vague.

 

Concernant la question des vaccins ?

Même des personnes qui ont déjà été malades peuvent être ré-infectées, seul un vaccin apportera une immunisation.

Il y a déjà plusieurs candidats vaccins mais il ne faut pas aller trop vite :

la bonne science prend du temps.

C’est déjà à une vitesse historique que l’on a atteint les résultats actuels mais il faut s’assurer de l’efficacité et de la sécurité.

 

Par ailleurs, ce (s) futur(s) vaccin(s) devra/ont être accessible(s) pour tout le monde mais au début, il est certain qu’il n’en n’y aura en quantité suffisante.

Il existe une instance, Covax facility, rassemblant 172 pays et qui réfléchit et travaille à ce que le l’accès au vaccin se fasse d’une façon juste et équitable.

Chaque pays recevra des doses pour vacciner 20% de sa population. La priorité sera donnée aux personnes travaillant dans le secteur de la santé, aux personnes de plus de 65 ans et aux personnes à risques.

La problématique autour de la distribution du vaccin est majeure et on a tendance à la sous-estimer pour l’instant. Avec, par exemple, le vaccin Pfizer qui nécessite une conservation à moins 60 degrés, les problèmes logistiques sont immenses !

 

 

Et les derniers mots du Docteur Kluge à l'occasion de cet entretien :

 Ce n’est qu’en étant solidaire que l’on arrivera à sortir de cette crise. 

 

 

Lepetitjournal.com Copenhague remercie chaleureusement le Docteur Kluge pour le temps qu'il nous a accordé.

 

 

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