Diplômée de l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP-Europe) et de l’Institut d’études politiques de Paris, ancienne élève de l’École Nationale d’Administration, Caroline Ferrari a occupé différents postes notamment au sein d'instances européennes et au Quai d'Orsay, elle est depuis 2018, Ambassadrice de France au Danemark. Elle nous accueille pour un entretien dans le salon du Palais Thott à Copenhague.
Connaissiez-vous le Danemark avant d’être nommée à Copenhague ?
J’étais venue au Danemark en mission, il y a une dizaine d’années, avec Claudie Haigneré, l’astronaute, qui était alors secrétaire d’état aux affaires européennes, mais je ne connaissais pas plus que cela et en particulier je n’avais jamais fait de tourisme au Danemark.
En revanche, comme j’ai toujours beaucoup travaillé sur les questions européennes, j’ai souvent rencontré des Danois, avec lesquels j’avais sympathisés et que j’ai été heureuse de retrouver ici.
j’ai d’abord connu le Danemark par les Danois !
J’avais ainsi un a priori très favorable sur ce pays et j’ai donc été très heureuse d’être nommée au Danemark, dans un pays européen parce que
l’Europe est le fil rouge de ma carrière et la raison pour laquelle je me suis engagée dans la diplomatie.
J’avais plutôt un profil économique par mes études mais pendant ma scolarité à l’ENA (École Nationale d’Administration), j’ai effectué un stage à la représentation permanente de la France auprès de l’Union Européenne à Bruxelles. J’avais apprécié cette atmosphère de chaudron européen où nous travaillions à trouver des solutions ensemble à des problèmes communs. J’ai donc choisi le quai d’Orsay en espérant pouvoir travailler sur l’Europe, c’était vraiment ma motivation profonde.
J’ai eu beaucoup de chance car jusqu’à présent, je n’ai servi que dans des postes européens à Bruxelles, à Berlin et maintenant à Copenhague.
Je savais en arrivant ici que la manière dont j’aurai à promouvoir la relation bilatérale dépendrait beaucoup des priorités européennes. C’est ce qui m’intéressait particulièrement et ça se confirme tous les jours avec la crise que nous traversons actuellement. C’est encore plus évident aujourd’hui : nos pays font partie d’un ensemble qui a un destin commun et nous devons travailler à des coopérations qui nous rendront encore plus forts ensemble. Il peut y avoir un volet bilatéral se prolongeant par des volets européens et inversement. C’est vraiment au coeur de l’activité d’une ambassade dans un pays européen. Donc je suis comblée de ce point de vue-là.
Quelle est l’actualité de l’Ambassade ?
L’intérêt de cette ambassade est que l’on peut travailler sur toute la palette de la relation. C’est une ambassade qui est bien représentée aux plans ministériels avec un attaché de défense, un chef de service économique, un service culturel de coopération, une attachée sociale, au-delà bien sûr de la chancellerie politique et des services consulaires.
Ce n’est pas le cas partout en Europe et j’essaie vraiment de m’investir sur tous les volets de la relation. La relation franco-danoise est très riche sur tous ces volets avec certes certains plus faciles et d’autres demandant plus d’efforts, comme la convention fiscale par exemple.
La mission qui m’a été confiée et qui est celle de l’ambassade dans son ensemble est de faire progresser en priorité les relations économiques. La France est en effet le 8ème client et le 9ème fournisseur du Danemark et en termes d’investissement, nous sommes aussi dans les 10 premiers. Nous sommes donc un pays qui compte pour le Danemark et celui-ci compte pour la France d’un point de vue économique. Nous ne sommes toutefois pas encore dans le premier cercle : les partenaires les plus importants restent l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas. On perçoit néanmoins un fort potentiel de développement de cette coopération économique déjà étroite, sans doute de manière plus forte depuis le Brexit. C’est d’ailleurs un élément conjoncturel qui a son importance dans la mission qui est la mienne aujourd’hui. J’essaie d’en tirer le meilleur parti.
Par ailleurs, c’était déjà vrai avant la crise et ça l’est encore davantage désormais dans le cadre de la relance européenne, nos deux pays ont les mêmes ambitions et des champions industriels dans les secteurs de la transition écologique, énergétique et de la digitalisation. Les échanges et la coopération dans ces secteurs avec le Danemark sont très fructueux et prometteurs. Le secteur de la santé a aussi toujours été un pilier fort dans la relation franco-danoise, des entreprises pharmaceutiques danoises sont implantées en France depuis très longtemps comme Novo Nordisk par exemple.
Que ce soit la santé ou la transition énergétique et climatique, les thèmes de la coopération franco-danoise sont donc vraiment d’actualité, c’est une chance à saisir car ça n’a pas toujours été le cas.
Jusque la crise Covid, nous avons accueilli beaucoup de visites de représentants de villes et de régions françaises pour des voyages d’études et d’inspiration sur la mobilité verte, le chauffage urbain ou les questions d’économie circulaire. Je trouve que ces coopérations au niveau des collectivités font particulièrement sens car cela permet d’échanger des bonnes pratiques à une échelle pertinente. C’est souvent très dynamique et fructueux et j’espère que les difficultés actuelles à voyager ne vont pas stopper cet élan. Pour le moment, on essaie de compenser avec des webinars grâce notamment à l’implication de Business France*.
La convention fiscale est un des rares sujets difficiles de la relation bilatérale, « un irritant », qui remonte à plus de 10 ans maintenant quand le Danemark a dénoncé l’accord avec la France, en raison de difficultés sur la question de l’imposition des retraités. La visite d’État du Président de la République (NDLR : Emmanuel Macron est venu au Danemark fin août 2018) a permis de donner une nouvelle impulsion à ce dossier. Ces derniers mois, les discussions ont bien progressé, en particulier sur l’imposition des pensions, ce qui devrait permettre d’avancer maintenant sur l’ensemble des dispositions de la convention. C’est un travail qui est en cours, les administrations négocient directement et nous sommes là en suivi et pour nous assurer qu’il n’y a pas d’incompréhension de part et d’autre. Je sais que c’est un sujet très important pour beaucoup de nos concitoyens. J’espère que les administrations des deux pays arriveront à la finalisation d’un texte dans les meilleurs délais. Ensuite la convention fiscale devra être signée et ratifiée par les parlements donc cela nécessitera encore quelques étapes. Mais nous sommes sur la bonne voie !
Le Danemark et l’Europe
C’est une dimension très intéressante de ma mission, en raison des liens particuliers que le Danemark entretient avec l’Union européenne. Ce n’est pas un pays fondateurs, il a rejoint le marché commun en 1973 avec le Royaume-Uni. Le Danemark a traditionnellement vu l’Europe comme un marché ce qui n’est pas la vision française qui a toujours eu plus d’ambition pour la construction européenne. Il est vrai qu’à chaque étape d’une intégration plus poussée, les Danois ont préféré se mettre de côté : par rapport à l’euro, à la politique européenne de sécurité et de défense ou aux chapitres justice et affaires intérieures. C’est un pays qui est évidemment très attaché en tant que Royaume à sa souveraineté et aussi à d’autres types de liens comme la coopération nordique.
Le Brexit a été un choc dans tous les pays européens mais peut être encore plus ici et le début d’une interrogation sur la stratégie du Danemark au sein de l’Union Européenne. C’est donc un contexte très favorable pour essayer de l’entrainer un peu plus vers nos vues.
La crise du Covid constitue aussi un moment important pour la relation du Danemark à l’Union européenne. Cette crise qui a mis en jeu un des éléments identitaires du Danemark - l’État providence, la protection et la santé des citoyens- lui a fait prendre conscience comme à d’autres pays européens, de sa dépendance à des approvisionnements lointains pour des produits critiques et l’a conduit à nuancer sa perception de la globalisation. Les choses bougent, dans le sens de moins de naïveté à l’égard de la concurrence mondiale, de plus d’intérêt pour la coopération européenne dans le domaine de la santé ou de la politique industrielle. C’est un développement positif pour la relation bilatérale.
Sans doute le plus grand des paradoxes concerne la coopération de sécurité et de défense car malgré leur opt-out, les Danois sont aux côtés de la France et d’autres nations européennes dans des opérations qu’ils considèrent comme stratégiques pour le Danemark, comme au Sahel ou dans le détroit d’Ormuz ou dans d’autres zones, compte tenu de l’importance du transport maritime danois qui est partout dans le monde. C’est une coopération essentielle et mutuellement bénéfique pour les deux pays.
Qu’aimez-vous au Danemark ?
Je pourrais vous dire beaucoup de choses mais ce qui me fascine tous les jours, c’est la capacité du peuple danois à être une nation soudée, une nation qui fait bloc, et qui est dans la confiance. Des sondages montrent que si la crise a bousculé beaucoup de pays dans le monde, le Danemark a encore accru sa confiance dans le gouvernement, dans les services publics et dans les entreprises. Il faut essayer de comprendre les ressorts de cette confiance, cette confiance dans l’avenir, cette aisance à se projeter dans le futur.
C’est une caractéristique fascinante de ce pays qui concilie une forte tradition, c’est un royaume, l’un des plus anciens du monde qui a des traditions très ancrées voire un certain conservatisme mais qui réussit aussi à aller de l’avant et finalement à bâtir son avenir avec confiance sans renier son passé. En France, nous avons des aspirations très proches mais c’est plus laborieux parfois !
Quelques mots pour finir concernant les récents événements :
Dans la situation difficile que traverse la France, après les attaques terroristes de Conflans Sainte Honorine et de Nice, je voudrais assurer tous les lecteurs du Petit Journal, Français, francophones, francophiles, de ma sympathie et de mon soutien. Les dernières semaines ont été éprouvantes pour nous tous, mais dans cette épreuve, nous avons aussi mesuré combien nous étions attachés à nos valeurs démocratiques et aux principes de la République française, parmi lesquels la liberté d’expression et la liberté de conscience, également protégées par la laïcité.
Comme moi, je suis sûre que vous avez aussi trouvé des raisons d’espérer dans le soutien sans réserve du Danemark, des Danois et des Danoises, qui ont été très nombreux à nos côtés ces derniers jours. C’est dans ces moments difficiles que les liens d’amitié et de solidarité entre nos deux pays se font le mieux ressentir, en mettant en lumière ce qui nous unit, ce que nous avons en partage et que nous voulons défendre ensemble, au-delà de nos différences.
L’Europe est diverse mais l’Europe est unie et déterminée dans la défense des valeurs démocratiques. Face à la pandémie comme dans la lutte contre le terrorisme, nous sommes plus forts ensemble.
Dans les prochaines semaines, nous continuerons à agir pour mieux coordonner au niveau européen les plans nationaux contre la pandémie et pour mieux nous protéger contre le terrorisme, en particulier pour être plus efficace et plus rapide pour retirer les contenus haineux en ligne au sein de l’Union européenne. La coopération entre la France et le Danemark restera étroite sur ces sujets comme sur la relance de l’économie et sur l’accélération de la transition énergétique.
L’ambassade et l’ensemble de l’équipe France au Danemark sont pleinement engagés dans cette tâche qui nous oblige tous. Merci aussi pour tout ce que vous faites aux niveaux individuel et associatif pour vous entraider dans cette période où il faut se serrer les coudes.
Bon courage
Je remercie Madame l'Ambassadrice de nous avoir accordé cet entretien.
* Business France aide au développement international des entreprises et de leurs exportations