Le Groenland pourrait bien être l’île de tous les paradoxes… parmi eux celui de la préservation durable de la nature, de la biodiversité arctiques tout en développant la région pour la rendre compétitive, attirante pour les investisseurs et le tourisme.
Le Groenland est la seule île de la taille d'un continent (avec une surface de 2 millions de km² soit près de 4 fois la France métropolitaine) qui n'est pas un continent, avec une population d'environ 60 000 personnes et qui représente 98% du territoire du royaume danois, un territoire qui n’est pas à vendre, comme le rappelle la première ministre danoise Mette Frederiksen à Donald Trump en août 2019 après que celui-ci eut voulu acheter le territoire au Danemark. Située à proximité de la Chine, de la Russie et des Etats-Unis, longtemps isolée, l'île suscite aujourd’hui toutes les convoitises.
Un sanctuaire naturel vierge au potentiel de ressources énorme, victime du réchauffement climatique
La calotte glaciaire ou inlandsis recouvre en permanence près de 80% de cette île. Seule une partie du littoral est parfois libérée de son manteau blanc. Cette étendue glacée est la deuxième plus grande au monde après l’inlandsis de l’Antarctique. En moyenne, l’épaisseur de glace est de 2 km. Cette zone du globe est particulièrement impactée par la crise climatique. En Arctique, la température de l’air augmente deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Les pôles ont, en effet, tendance à se réchauffer plus vite que le reste de la planète. La banquise blanche présente la particularité de refléter les rayons du soleil. Le pouvoir réfléchissant de cette surface est connu sous le nom d’albédo, variable qui exprime la part de rayonnement solaire qui va être renvoyée vers l’atmosphère et la surface terrestre vers l’espace et qui ne servira pas à chauffer la planète. On exprime l’albédo en pourcentage - celui de la lumière réfléchie par la surface, par rapport à la quantité de celle qu’elle reçoit. La glace a un albédo d’environ 60 %, tandis que celui de la neige peut aller jusqu’à 90 %. Lorsque la banquise fond, elle modifie cet albédo, qui change lui-même les échanges d’énergie sur la Terre. En fondant, les glaces laissent la place à l’océan, plus sombre. Celui-ci absorbe davantage de chaleur solaire que la banquise - son albédo est compris entre 5 et 10 %. Cette absorption de chaleur limite les chances que la banquise se renouvelle et augmente celles que le réchauffement climatique s’accélère.
Finalement, la situation produit un système en boucle : l’absorption de la chaleur fait monter les températures, qui accentuent elles-mêmes la fonte des glaces et donc la diminution de leur albédo. Par ailleurs, le réchauffement des pôles est encouragé par un autre élément: des déplacements de chaleur qui ont lieu dans l’atmosphère et les océans terrestres, en direction des pôles.
Au Groenland, la glace fond 6 fois plus vite aujourd’hui que dans les années 1980. En 2019, la saison de fonte a débuté fin mai, avec un mois d’avance. Sur les côtes, la toundra se dévoile alors et attire les hardes de bœufs musqués. Une quinzaine d’espèces de cétacés dont la baleine à bosse, le narval, le béluga et la baleine boréale, fréquente les eaux groenlandaises. Leur chasse est autorisée par la Commission baleinière internationale depuis 1946 en tant que chasse aborigène de subsistance, ressource considérée comme essentielle par les Inuits. La baleine, elle aussi, symbolise tout le paradoxe humain car en dépit des menaces d’extinction qui pèsent sur l’espèce (la baleine bleue, le rorqual commun et le rorqual boréal restent toujours classés « en danger », source UICN) et malgré le développement du tourisme pour leur observation, ces chasses perdurent. L’argument de la tradition ancestrale, dans le cadre des « chasses aborigènes de subsistance » est controversé car cette pratique ne se développerait réellement qu’après la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il y a pénurie de denrées alimentaires.
Avec le réchauffement climatique, l’île suscite des convoitises car ses ressources deviennent plus facilement accessibles et exploitables à mesure que les glaciers reculent et que le permafrost dégèle. La fonte des icebergs dégage une nouvelle route pour le transport maritime, route par le Nord convoitée par les pays d’Asie qui verraient alors la durée de transport vers l’Europe diminuer significativement.
Les minéraux, l’uranium, les terres rares, le pétrole, le gaz et l’eau provenant de la fonte des glaciers sont autant de marchés qui s’ouvrent et qui permettraient d’offrir de nouvelles perspectives, notamment d’indépendance financière vis-à-vis du Danemark, qui finance à 60% son budget. « 70% de la population veut se tourner vers l’indépendance et le processus est stipulé dans la loi propre au Groenland » prévient Kim Kielsen, chef du gouvernement groenlandais depuis 2014. Pour exemple, la commercialisation de l´eau de la calotte glaciaire qui a commencé en 2012. Greenland Ice Cap Water a été la première entreprise à produire et à vendre dans le monde entier l'eau potable « la plus pure du monde », à environ 15 euros le litre !
Relations avec le Danemark…vers un Groenxit ?
Le Groenland est une ile habitée depuis 4500 ans par des premiers peuplements venus du Canada par la banquise, mais c’est Erik le Rouge, célèbre viking, qui en 982 débarque dans le sud-ouest et baptise cette terre « terre verte », ou Groenland, pour encourager la colonisation.
Au nom du roi du Danemark, Hans Egede, pasteur luthérien norvégien, fonde en 1728 la première colonie danoise, une minuscule implantation d’une dizaine de familles qu’il baptise Godthåb « bonne espérance » en danois, qui deviendra Nuuk en 1979. Le Danemark déclare alors l’île « terre danoise ».
A la fois terre des grandes expéditions arctiques menées successivement par Knud Rasmussen, Jean-Baptiste Charcot, Paul-Emile Victor et Jean Malaurie et base militaire américaine lors de la deuxième guerre mondiale alors que le Danemark est sous occupation nazie, le Groenland revendique de plus en plus son identité propre, sa langue, ses costumes, ses danses, ses tatouages traditionnels ; successivement province danoise en 1953, l’ile forme son propre gouvernement et son assemblée territoriale en 1979, quitte la Communauté économique européenne en 1973 à la suite d'un désaccord sur la pêche (par référendum), défavorable pour l'ile. En 2009, un nouveau statut permet au Groenland de disposer de ses ressources naturelles, le Danemark restant maître de l’armée, de la monnaie et des relations internationales. Comme sa voisine l’Islande, le Groenland souhaite attirer les touristes en quête de paysages extraordinaires : un projet d´extension de l´aéroport international est prévu d’ici 2023 à Nuuk.
Indépendance et préservation de la nature sauvage? Un pari conciliable ?
Comment être indépendant vis-à-vis du Danemark, asseoir sa différence par rapport au monde scandinave, tout en préservant sa nature, la laisser attrayante aux yeux des touristes et ne pas l’offrir au plus offrant, chinois et américains en tête ? Tels sont les défis présents auxquels les groenlandais sont confrontés dans le contexte de crise climatique actuelle.