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Valentine Hugo au pays de Dreyer : une artiste aux doigts de fée

L'artiste Valentine Hugo L'artiste Valentine Hugo
Valentine et Jean Hugo au Petit-Clamart en 1927 - Studio Soulat- Boussus - Collection Fonds Jean Hugo.
Écrit par Violaine Caminade de Schuytter
Publié le 19 juillet 2021, mis à jour le 20 juillet 2021

Parmi une poignée d’artistes retenues l’exposition « Fantastic Women » à Louisiana Museum of Modern Art braque ses projecteurs sur Jacqueline Lamba, femme d’André Breton : la biographie succincte de celle-ci mentionne sa participation à « Peggy Guggenheim’s Exhibition by 31 Women » parmi une liste de noms, dont une certaine Valentine Hugo, laquelle aurait cependant mérité tout autant d’être elle aussi valorisée. Est-ce parce que la ville de Boulogne-sur-Mer dont elle est originaire lui avait déjà consacré une exposition en 2018 ? Si vous êtes passé à côté, il reste le beau catalogue comme témoignage précieux pour entrer dans le monde de cette femme hors-du-commun, reçue première à l’école des Beaux Arts de Paris en 1908 et compagne de route d’artistes majeurs du XXème siècle, amie intime de Cocteau, Erik Satie ou Radiguet ; c’est chez elle qu’eut lieu la première lecture publique de ce livre à l’origine d’un scandale en 1923 : Le Diable au corps.

Valentine Gross passe à la postérité sous le nom célèbre de son mari, arrière petit-fils de l’écrivain, peintre et décorateur de théâtre et de cinéma auquel une exposition récente à la Villa Noailles à Hyères (été 2019) rendait hommage. Elle est en effet la première femme de Jean Hugo de 1919 à 1932, date officielle de leur divorce qui concrétise un éloignement mutuel depuis 1926. Mais ils garderont des rapports affectueux jusqu’à la mort de Valentine en 1968.

Peintre et illustratrice elle-même, Valentine travaille entre autres pour les Ballets russes de Serge Diaghilev ou ou pour le Vieux Colombier et si elle a souvent oeuvré dans l’ombre à la gloire d’autres artistes, elle forge une oeuvre personnelle singulière encore trop méconnue. Car elle n’était pas que muse et confidente sachant mettre en relation les talents : Satie, Cocteau et Picasso pour la réalisation du ballet Parade (1917) par exemple. Elle avait en effet « beaucoup de cordes à son arc » (Valentine Hugo, Le Carnaval des ombres, Editions Invenit, 2018, p. 29.) et une sensibilité aiguë.

Elle découvre aussi le monde du cinéma, ou plus exactement le monde de Dreyer en collaborant en 1927 au tournage de La Passion de Jeanne d’Arc aux studios de Boulogne-Billancourt avec Jean Hugo chargé des décors (avec Hermann Warm) : il fait construire au Petit-Clamart une ville remplie de remparts tandis qu’elle est en charge des costumes. Les voici donc réunis ci-dessus sur le tournage d’un film muet où les sentiments sont tournés à fleur de peau, sans maquillage, ce qui n’est pas dans les usages du cinéma à l’époque, a fortiori en gros plan.

Jean Hugo décrit dans ses mémoires, qui viennent de reparaître, que Valentine sait mener à la baguette tout un chacun : « chaque jour avant la prise de vues, les figurants passaient devant elle au pont-levis comme des soldats devant le sergent de garde, à la grille du quartier. Elle vérifiait leur tenue, faisait recoudre un bouton, fermer un col, rentrer sous le fichu une mèche folle. » (Jean Hugo, Le Regard de la Mémoire, Actes Sud, 1984, p. 268.). Sa biographe Cathy Bernheim commente avec malice : « Dreyer est content : il a découvert aussi tatillon que lui. » (Cathy Bernheim, Valentine Hugo, Presses de la renaissance, 1990, p. 239.). C'est aussi l’occasion pour elle de faire des croquis qui donneront lieu aux fameuses lithographies d’Antonin Artaud et de Renée Falconetti :

Mademoiselle Falconetti Valentine Hugo portrait
Mademoiselle Falconetti - collection particulière, droits réservés

 

Elle parvient donc à capter la gravité douloureuse d’un tournage dont elle sait aussi restituer le pittoresque hors champ : interviewée par Cinémonde en 1929, Valentine parle de ces « moines qui jusque là s’étaient montrés majestueux », mais que l’on voyait « relever leur robe et marcher à grandes enjambées ». Elle, qui a vécu si intensément cette révélation cinématographique, vient assister le 21 avril 1928 à la première danoise de La Passion de Jeanne d’Arc au Palads Teatret, dont la façade n’avait pas encore connu son ravalement coloré.


 

Palads Cinéma Copenhague
Palads @Violaine Caminade de Schuytter


Ce film, elle l’aura donc accompagné avec ferveur en amont et en aval puisqu’elle va aussi à

Madrid faire une conférence à l’occasion de la sortie du film en Espagne.

Valentine se rapproche à partir de 1926 des surréalistes et particulièrement de Breton dont elle tombe amoureuse. Elle l’entraîne dans une relation passionnée qui dure du printemps 1931 à l’automne 1932. En 1934, la rupture amoureuse est bel et bien consommée puisqu’il épouse la Jacqueline Lamba privilégiée à Louisiana. Mais Valentine n’avait-elle pas prédit : « c’est moi qui serai - dans ce terrible jeu - foudroyée » ? (Valentine Hugo, Le Carnaval des ombres, Ibidem, p. 69. 5 Ibidem, p. 29.). Leur amour du surréalisme leur permit cependant ensuite de préserver une relation amicale, bien que cet amour impossible restât pour Valentine une blessure à vie. Mais ne doit-elle pas à Breton comme à son ami Eluard, son « frère d’élection » de l’avoir « sauvée du désespoir » puisque grâce à eux elle s’est « remise au travail » (Ibidem, p. 29.)?

Celle qui se définissait par la formule « Mon coeur bat » à l’époque dadaïste, trouve en effet dans le surréalisme une aventure à sa mesure, pleine de merveilleux et d’anticonformisme. Elle participe aux expositions du mouvement dont celle qui a lieu à Copenhague en 1935.

Elle a illustré tout au cours de sa vie de nombreux livres d’artistes, comme René Char ou en particulier en 1939, Ondine de La Motte-Fouqué alors qu’elle confiait dans une lettre à Breton avoir très peur de l’eau. Pour cause : son père s’est noyé mais on peut supposer que l’art est un sortilège qui permet d’exorciser ses terreurs. La créature aquatique est d’ailleurs un motif récurrent, qui apparaît sous la forme de la sirène dans un cadavre exquis érotique de 1945.

Adepte des déguisements, qu’elle créait avec brio, Valentine Hugo aura su se métamorphoser en tout, y compris en « manège » pour le bal des Jeux donné par le comte Etienne Beaumont en 1922. Pourtant la roue tourne pour elle, parfois durement. Celle qui a été fiancée à un homme d’affaires richissime, Charles Stern, elle qui a participé avec éclat aux fêtes mondaines d’avant- guerre finit dans la misère, « dorée » nuance-t-elle, au point qu’une vente aux enchères est organisée en 1963 par ses amis à son profit.

Valentine a souvent peint d’autres artistes, comme dans « Les Constellations » (1936) portrait de groupe des surréalistes exposé au Museum of Modern Art à New York. Mais son portrait de Rimbaud aux traits androgynes (ci-dessous) n’est-il pas également une sorte de masque intime ?

 

Arthur Rimbaud portrait Valentine Hugo
Rimbaud - Collection particulière, droits réservés 

 

Dans cet autoportrait en creux au lyrisme naïf, elle représente en effet le jeune poète déterminé, marchant « à grandes enjambées » (comme les moines de La Passion de Jeanne d’Arc !) vers un idéal qui n’est pas inaccessible mais dans la foulée du mouvement, à portée de rêve...Inutile de préciser que l’artiste est seul mais l’image n’est pas plaintive, bien au contraire. Il y a un prix à payer à l’absolu, Valentine ne l’ignore pas. Pourtant si son oeuvre est souvent sombre, cet élan rimbaldien euphorisant rappelle que la légèreté est une conquête arrachée à la noirceur.

A la fin de sa vie, elle se lance dans un travail sur le thème des nuages, elle qui n’avait pas son pareil pour peindre dans ses gravures les ombres de façon « écumeuse ». Si son ancien mari s’est converti au catholicisme après leur séparation, Valentine cherche, elle-aussi à sa manière, l’inspiration dans le ciel, elle qui n’hésitait pas à faire marcher une étoile affublée de plusieurs longues jambes déliées dans une illustration de l’ouvrage Médieuses (1944) d’Eluard. « Vous êtes merveilleuse de naissance - comme d’autres sont laides ou méchantes. Je vous respire et me porte mieux. » (Cathy Bernheim, Ibidem, p.96-97.), lui écrivait Cocteau. Comment ne pas partager son avis ?

 

On se souvient de ce titre ambigu d’un beau film féministe de Yannick Bellon datant de 1974 :
« La femme de Jean » à propos d’une femme qui réapprenait à exister pour elle-même et non comme seule épouse. Valentine fut avec bonheur celle de Jean Hugo. Mais elle ne saurait être que cela : son oeuvre cohérente en témoigne. Car on ne saurait n’y trouver que ce qu’elle appelle avec humour « gribouillis » tant « de loin, tout cela prend forme » (Valentine Hugo, Le Carnaval des ombres, op. cit., p. 42.), plaide-t-elle. Cette femme attachante qui eut l’honneur de porter ce beau nom exigeant d’artiste est bel et bien à (re)découvrir.

 

 

Nous remercions très chaleureusement Jean-Baptiste Hugo et Dominique Rabourdin pour leurs aimables autorisations de reproduction.

 

 

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