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Arlette Andersen, son histoire n'est pas un conte…

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Arlette Andersen lors de la remise de la Croix de Chevalier le 4 mai 2020 (Thomas Kvist Christiansen)
Écrit par Elisabeth Tinseau
Publié le 29 juillet 2020, mis à jour le 24 avril 2022

Arlette Lévy Andersen est née en France, a survécu à Auschwitz pendant la Seconde Guerre mondiale et est installée au Danemark depuis 1952. 75 ans après la libération de ce tristement célèbre camp d'extermination, Arlette Lévy Andersen reçoit un hommage national pour son travail inlassable dans la sensibilisation à l'Holocauste. Elle est, en effet, l'un des rares témoins directs de l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire du monde.

 

Remise de la Croix de Chevalier par la Reine Margrethe II, le 4 Mai 2020

 

Le 4 mai est une date importante pour le Danemark. En effet, le soir du 4 mai 1945, le porte-parole de la radio danoise Johannes G. Sørensen, via l'émission de nouvelles en langue danoise de la BBC, a pu informer la population danoise que les troupes allemandes au Danemark s'étaient rendues…

Ce 4 mai 2020, la Reine Margrethe II a honoré Arlette Andersen de la Croix de Chevalier, que le maire de Fredericia, Jacob Bjerregaard, lui a remis lors d´une cérémonie en comité restreint.

Ce dernier a déclaré au journal Fredericiaavisen : « Je suis honoré de présenter la Croix de chevalier à Arlette Andersen. Arlette a fait une impression indélébile sur plusieurs milliers de jeunes qui l'ont entendue raconter ses expériences épouvantables pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous ne devons jamais oublier les événements horribles et les abus contre l'humanité qui ont eu lieu dans les camps d'extermination nazis. Arlette y a apporté sa précieuse et très authentique contribution ».

Cette cérémonie aurait normalement dû être célébrée à Fredericia dans le cadre de la remise du Prix de la liberté d´Arlette Andersen. Dans le contexte actuel de crise liée au Coronavirus, elle a été enregistrée et retransmise sur le site de la commune et partagée sur Facebook. https://www.fredericia.dk/4-maj-arrangement-uddeling-af-arlette-andersens-frihedspris

 

Remise de la Croix de Chevalier (Thomas Kvist Christiansen)
Remise de la Croix de Chevalier (Thomas Kvist Christiansen)

 

En juin 2007 puis en novembre 2016, Arlette Andersen avait reçu les honneurs français par les Ambassadeurs de France au Danemark en devenant successivement Chevalier puis Officier de la Légion d´Honneur. En 2015, elle est devenue membre honoraire de l'Université de Clermont-Ferrand car son histoire est en étroit lien avec celle de l'université pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

De Clermont-Ferrand à Auschwitz-Birkenau

 

Arlette Andersen est née Arlette Lévy en 1924 à Paris. En 1943, à 19 ans, l´étudiante en anglais à l´Université de Strasbourg, alors repliée à Clermont-Ferrand en zone libre, est arrêtée en raison de son origine juive lors d´une rafle, la plus importante survenue dans le milieu universitaire durant la seconde guerre mondiale. Renseignés par un étudiant acheté par la Gestapo, les Allemands n'ignorent plus que l'université de Strasbourg est un foyer de résistants. Après avoir présenté ses papiers, Arlette rejoint en camion la caserne du 92ème Régiment d’Infanterie. Les garçons et filles sont séparés. Son groupe est conduit dans un gymnase sans confort. Durant ces quelques semaines, l’étudiante clermontoise écrit une vingtaine de lettres à ses parents.

Au début de janvier 1944, elle arrive à Paris. De la Gare du Nord, on donne l´ordre aux passagers de s’entasser dans des bus. Au terme de leur périple, ils arrivent au camp de transit de Drancy, surnommé plus tard l’antichambre de la mort. Sur les 500 étudiants et professeurs raflés, 130 sont expédiés à Drancy. Là aussi, Arlette peut envoyer quelques lettres à ses parents. Mais comme à Clermont-Ferrand, elle ne laisse rien transparaître de son inquiétude. Elle occupe un dortoir avec d’autres prisonniers. Ses journées se résument aux corvées de ménage et de repas.

Le 20 janvier 1944, à la tombée de la nuit, les soldats poussent près de 1.155 personnes, dont Arlette, dans le convoi n° 66. Entassés dans des wagons à bestiaux, les prisonniers, après trois jours et trois nuits d’enfer, arrivent à Auschwitz, au sud de la Pologne. “Les personnes plus âgées, ainsi que les familles comportant des enfants devaient monter dans des véhicules, « pour leur épargner la fatigue de la marche » nous disait-on. Nous avons rapidement compris qu’on ne pouvait rien espérer de bon des Allemands. Ces pauvres gens avaient été envoyés directement dans les chambres à gaz” racontera-t-elle plus tard.

 

Un matricule - 74853 - sauvé par un violon

 

Arlette devient alors un simple numéro, 74853, à jamais inscrit dans sa mémoire. Elle est forcée de faire un dur travail manuel ayant trait à la construction de routes, dans le froid hivernal. Elle doit sa survie à la chance, dit-elle, mais aussi au prisonnier Jacques Stroumsa, un ingénieur franco-grec, qui l’embauche dans l’usine d’armement, où les conditions de vie sont un peu moins dures. Elle découvre le nom de son sauveur 50 ans plus tard, à la télévision, lors de l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Quand elle le rencontre en 1995, il lui raconte alors comment il a pu lui sauver la vie en lui trouvant un emploi à l'usine d'armes située à côté d'Auschwitz. Cela a tenu au fait qu´il sait jouer du violon et qu'il parle allemand. Sa femme, enceinte, à leur arrivée avec tous les Juifs grecs en 1943, a été tuée dans les chambres à gaz avec son frère. Seules sa sœur et lui ont survécu… grâce au violon. Il se lie d'amitié avec le directeur de l'usine d'armes d'Auschwitz et conviennent de travailler ensemble pour aider les jeunes à trouver un emploi dans l'usine d'armes, au lieu de travailler à mort à l'extérieur…

 

Arlette Andersen et Jacques Stroumsa en 1995
Arlette et Jacques Stroumsa en 1995 (photo Peter Honoré)
 

 

Malgré ce court répit, à l'automne 1944, Arlette Lévy est à bout. « Je craignais de plus en plus les sélections des SS qui envoyaient à la chambre à gaz les prisonniers malades ou épuisés ».

 

Vers la Libération

 

Le 18 janvier 1945, sous la pression de l'Armée russe, les survivants sont dirigés sur Ravensbrück, près de Berlin. Une de ces terribles « marches de la mort » dont Arlette échappera, avec l'une des ses amies d'Université, Denise. Puis elle est transférée à Malchow, au Nord de l'Allemagne au cours d´une seconde marche.  Elle et ses amis rencontrent alors des soldats français qui sont restés dans une petite maison dans un village à la frontière entre la zone de contrôle russe et alliée. Les soldats se préparaient à rentrer chez eux par l'Allemagne et ont invité Arlette et ses amis à les rejoindre pour un voyage de plusieurs semaines en France. Ils ont été emmenés à Lille, où ils ont été examinés par des infirmières, avant de pouvoir rentrer chez eux. Arlette regagne Paris en mai 1945 où elle retrouve ses parents Edouard et Yvonne qui ont survécu à la guerre, retranchés d´abord dans la maison d´hôtes Bon Accueil à Durtol, petit village proche de Clermont-Ferrand, puis dans un autre village, où ils arrivent à obtenir de faux papiers d'identité. Ils ont pu y vivre paisiblement, et quand Paris a été libéré, ils sont rentrés chez eux, au 11 bis de la rue Elzevir dans le quartier du Marais.

Lorsqu´Arlette les retrouve à Paris, elle ne pèse plus que 30 kg.

Des 1.155 juifs du convoi 66 entre Drancy et Auschwitz, seuls 47 ont survécu, dont 14 femmes…parmi elles, Arlette Lévy.

 

L' Après….

 

Arlette Lévy arrive au Danemark à l'été 1946 car avec 600 autres jeunes de Paris, elle a été invitée par l'Alliance française pour des vacances d'été de six semaines. Arlette est restée à Copenhague, où elle a rencontré un homme, Ole Andersen. Quand Arlette rentre chez elle à Paris, ils commencent à s'écrire beaucoup. Ils étudiaient alors tous les deux à l'université, puis devinrent amoureux, se rendirent visite au cours des années, et en juin 1951 se rendirent à Paris où ils se marièrent. Arlette Levy est devenue Arlette Andersen et ils sont retournés à Copenhague en 1952. Après quelques années, Ole a obtenu un emploi de professeur dans un lycée de Fredericia, dans le Jutland, où ils ont déménagé. Le couple a deux enfants, un garçon Christian et une fille Annett.  De 1961 à 1994, Arlette Andersen rejoint le lycée en tant que professeur de français.

 

Son devoir de mémoire

 

Pendant de nombreuses années, Arlette Andersen n’a rien dit de son histoire. Puis un jour, elle a décidé de parler. «Pour certains, Auschwitz n’existe pas ; un homme politique d’extrême droite en France, Jean-Marie Le Pen, a déclaré que ce n’était qu’un détail. Et peut-être la raison la plus importante de mon engagement tient au fait que j’étais parmi les plus jeunes [déportés à Auschwitz] qui sont revenus en 1945 : le temps faisant son œuvre, aucun témoin de cette époque bientôt ne sera encore vivant. C’est pourquoi, j’ai commencé à raconter mon histoire », confie-t-elle au journaliste et photographe Thomas Kvist Christiansen.

 

Au cours de ses 25 années de 1990 à 2015, elle a tenu 426 conférences et discours. Elle a sillonné sans relâche le Danemark pour témoigner, au travers de ces conférences, sur l´horreur de la shoah. En particulier dans de nombreuses écoles et collèges, elle raconte comment elle a survécu à la captivité dans le pire camp de la mort des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a donné sa première conférence en 1990 - 45 ans après la fin de la guerre – choquée par les dénégations de l'Holocauste de Jean-Marie Le Pen.

 

Photo Thomas Kvist Andersen
Photo Thomas Kvist Christiansen

 

 

En sa qualité de membre de l’Union des déportés d’Auschwitz, et précédemment de l’Amicale d’Auschwitz, elle a tenu, au cours de toutes ces années, à transmettre la mémoire des évènements qu’elle a vécus en déportation, en donnant également des conférences en Suisse et en France dans des lycées et des universités.

 

Photo Thomas Kvist Christiansen
Photo Thomas Kvist Christiansen

 

Sa vie en livres et en films

 

Le journaliste Morten Vestergaard a écrit le livre "Pigen fra Auschwitz", qui raconte l'histoire d'Arlette Andersen à partir d'entretiens. La survivante d'Auschwitz, aujourd´hui âgée de 95 ans, a également décidé de transmettre son récit historique personnel au journaliste et photographe Thomas Kvist Christiansen, réalisateur du film sorti en 2017, "Arlette - une histoire que nous ne devons jamais oublier" présenté au festival du film, Traces de Vies, à Clermont Ferrand en 2018. Il est également l´auteur du livre sur l'histoire d'Arlette Andersen, "Nous sommes ici pour mourir" (Vi Er Her For At Dø), qui sera bientôt traduit en Français par Fabrice Boyet, responsable de la bibliothèque universitaire de Clermont Ferrand.

Au cours des six dernières années, Thomas Kvist Christiansen a travaillé sur la documentation de la vie et de l'histoire d'Arlette Andersen, et notamment sur son travail de mémoire durant les 25 ans dernières années pour que le monde sache et n´oublie pas. Il a sorti en janvier une nouvelle version de son film, qui a été projetée dans de nombreux cinémas au Danemark avant la crise du Coronavirus. Ce film sera sous-titré en français très prochainement comme dans la première version, et sera présenté à Clermont Ferrand en novembre, avec son livre traduit en Français... puis un jour certainement à Paris, la ville natale d´Arlette, afin d´honorer un de ses vœux les plus chers.

En effet, à l´aube de ses 96 ans, la parole d´Arlette Lévy Andersen est plus que jamais nécessaire.



 

 

 

Arlette Andersen et Thomas Kvist Christiansen, 2017 (photo Mads Nielsen)
Arlette Andersen et Thomas Kvist Christiansen, 2017 (photo Mads Nielsen)

 

 

Nous sommes infiniment reconnaissants à Thomas Kvist Christiansen pour le partage de ses informations et documents concernant la vie d´Arlette Andersen. Il nous a confié qu´Arlette sera très heureuse que son fils Christian lui lise cet article et que son histoire continue à vivre.

Nos remerciements vont également à Marie-José Caron, Conseillère consulaire au Danemark et Nathalie Deramat, Attachée de presse de l'Ambassade de France au Danemark pour leurs informations.

 

 

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