Entre natalité en baisse et recul de la mortalité, la Thaïlande fait face depuis plusieurs années aux défis du vieillissement et le Covid-19 apporte son grain de sel, surtout auprès des plus démunis.
Depuis plusieurs années, la Thaïlande est considérée comme un pays âgé. En 2021, le pays a ainsi passé le cap des 20% de personnes de plus de 60 ans, ce qui représente 14 millions de personnes sur une population de 69 millions d’habitants. La tendance devrait s'accélérer au cours des prochaines années et les prévisions des Nations Unies annoncent qu’en 2031, les plus de 60 ans représenteront 38%. En fait, la Thaïlande est le 4ème pays qui vieillit le plus vite après le Japon, la Corée du Sud et Singapour.
À Chiang Mai, la Fondation pour le développement des personnes âgées (Foundation for the Development of Older Persons - FOPDEV) a commencé à travailler sur le problème du vieillissement de la population, en particulier chez les classes sociales les plus pauvres dès 1999.
Selon le directeur de la FOPDEV, Sawang Kaewkantha, le vieillissement de la population a démarré dans les années 1990 avec l’épidémie du VIH. “À l’époque, beaucoup de jeunes travailleurs sont morts laissant leurs parents seuls. Pour autant ce n’est qu’au début des années 2000 que l’on a vraiment commencé à parler du vieillissement de la population en Thaïlande. Depuis, le phénomène ne fait que s'accélérer. En cause : une augmentation de l’espérance de vie et une baisse du taux de natalité”, commente-t-il.
600.000 naissances en Thaïlande en 2020
La Thaïlande a enregistré son taux de natalité le plus bas en 2020 avec seulement 1,51 naissance par femme! La natalité a commencé à diminuer rapidement à partir des années 1970. C’est ainsi qu’on est passé de 1,4 million de naissances en 1970 à 600.000 en 2020. Les prévisions estiment que ce taux pourrait tomber à 1,3 d’ici dix ans.
En parallèle, l’espérance de vie en Thaïlande est passée de 56,2 ans pour les femmes et 51,9 ans pour les hommes dans les années 1960 à 80,6 ans pour les femmes et 73,2 ans pour les hommes en 2019. Cette espérance de vie pourrait grimper à 80 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes d’ici 2050 selon Help Age Asia.
Ce vieillissement pose de nombreux défis pour la Thaïlande, que ce soit au niveau de la main-d'œuvre, mais aussi de la prise en charge de ces personnes âgées. Une prise en charge essentielle surtout à l’heure où l’épidémie demande aux personnes âgées de rester chez elles et où les plus jeunes se retrouvent sans emploi.
Manque d'infrastructures
Traditionnellement, ce sont les jeunes qui prennent soins des personnes plus âgées, les enfants qui, à l’âge adulte, s’occupent de leurs parents et/ou grands-parents.
Comme dans beaucoup d’autres pays de la région, les enfants sont la principale source de revenus des personnes âgées, et les adultes de la génération actuelle comptent en général sur le soutien de leurs enfants pour leurs vieux jours. De même que les parents ont souvent pris soin des enfants de leurs enfants.
Compte tenu de l’importance de la famille dans la prise en charge des personnes âgées, le problème du vieillissement de la population n’a commencé à être évoqué qu’à la fin des années 1990, et les infrastructures gouvernementales pour prendre soin des aînés manquent.
Réseau de bénévoles
Heureusement le pays peut compter sur un réseau de bénévoles. Pour leur éviter d’attraper le Sars-Cov-2, il a été recommandé aux personnes âgées de s’isoler chez elles et de garder leur distance en évitant les lieux fréquentés. Dès lors, pour beaucoup se pose le problème de pouvoir acheter de la nourriture. Heureusement, la Thaïlande bénéficie depuis les années 1970 d’un réseau de bénévoles dont l’action a été louée lors de la première vague du coronavirus en termes de prévention et de traçage des personnes infectées. Aujourd’hui encore, ces bénévoles interviennent quotidiennement en faisant des courses ou en apportant des repas aux personnes âgées.
“Ce réseau est très bien, par contre ce ne sont pas des soignants, ils ne sont pas formés à cela et certaines personnes âgées ont des besoins spécifiques”, explique Sawang. Pour combler cette absence, la fondation a initié en 2003 un programme de formation spécifique pour ses bénévoles afin que certains d’entre eux puissent répondre aux besoins des personnes âgées affaiblies physiquement. Pour aller encore plus loin, la FOPDEV a lancé en 2017 un autre programme “Buddy Home Care” avec l’idée de créer un véritable réseau de professionnels rémunérés et spécialisés dans l’accompagnement des personnes âgées.
Nécessité d'un soutien de l'Etat
L’idée est d’avoir au minimum une personne formée pour prendre soin de 10 aînés au sein de chaque communauté ou village. Ce programme de formation est à destination des jeunes des tribus qui n’ont pas toujours la possibilité de continuer des études, l’objectif est de leur fournir un revenu stable dans le futur.
“En Thaïlande, vous avez les hôpitaux publics ou des maisons de retraites coûteuses, et sans aucun doute ce secteur va exploser au cours des 15 ou 20 prochaines années, mais il manque quelque chose entre les deux, il n’y a pas d’institutions de soin ou d’hospice pour ceux à faible revenu", détaille avec pessimisme Sawang. "Avant c’était les jeunes qui s’occupaient de leurs aînés, aujourd’hui beaucoup sont revenus dans les villages parce qu’ils ont perdu leur emploi dans les villes et donc la difficulté là maintenant, c’est que ces familles sont encore plus pauvres. Le gouvernement devrait intervenir davantage”.
Selon FOPDEV, les maisons de retraite les moins chères reviennent à 15.000 bahts par mois alors que pour certaines personnes leur pension n’excède pas 1.000 baht par mois! En 2011, le gouvernement avait adopté un fonds de pension national ainsi que la gratuité des soins de santé. Pour le moment, ce fonds de pension accorde une retraite à près de 80% de la population de plus de 60 ans, le montant démarre à 600 bahts et monte jusqu’à 1000 bahts pour les personnes de plus de 70 ans.
Devenir vieux avant d’être riche
“Depuis plusieurs années, avec d’autres institutions et organisations, nous nous battons pour que toutes personnes de plus de 60 ans puissent bénéficier d’au moins 3.000 bahts par mois qui correspond au seuil de pauvreté”, se désole Sawang qui travaille toujours à l’âge de 75 ans.
“En Asie, on devient vieux avant de devenir riche! La plupart des personnes âgées ont un niveau de vie, des revenus moins élevés que lorsqu’ils avaient 30 ou 40 ans. C’est une situation à l'opposé des pays riches. Si pour les jeunes ce n’est pas facile financièrement en début de carrière, ils peuvent s’attendre, lorsqu’ils seront pensionnés, à avoir un statut plus élevé, ce qui n’est pas le cas en Thaïlande” critique le directeur qui pointe également que la crise économique actuelle pousse de plus en plus de personnes dans la précarité. La crise pourrait également toucher la fondation puisqu’elle vit principalement de dons d’entreprises privées, qui sont à leur tour affectées par une économie en berne. À l’heure actuelle, la FOPDEV ignore si les budgets qui leur étaient alloués seront renouvelés en 2022 et si elle pourra continuer son programme de formation Buddy Home Care.