Une agence de voyage française basée en Thaïlande a remarquablement su tirer parti de la crise du Covid pour se réinventer et connait aujourd’hui un fort développement. Son directeur nous raconte
Si du point de vue sanitaire, la pandémie de coronavirus a été moins gravement ressentie en Asie-du Sud-Est qu’en Europe, la crise du Covid y a eu des effets économiques bien plus désastreux.
En Thaïlande, les professionnels du tourisme ont beaucoup souffert des mesures sanitaires drastiques, tandis que peu d’aides ont été accordées aux entreprises durement affectées par une longue période d’inactivité. Et aujourd’hui, même si la crise sanitaire est passée, la reprise économique s’avère plus lente que prévu et l’écosystème touristique, profondément meurtri, peine encore à se reconstituer.
Dans le contexte de cette crise particulièrement violente, qui a vu en quelques mois la faillite de plusieurs milliers d’acteurs du tourisme, Les Voyages d’Angèle, une petite agence de voyage familiale, qui propose des parcours sur mesure hors des sentiers battus en Asie-du Sud-Est a remarquablement su tirer son épingle du jeu.
Ses dirigeants, Angèle Labrune et Olivier Rymer, que Lepetitjournal.com avait déjà interviewés il y a deux ans au beau milieu de la pandémie, ont utilisé la période de faible inactivité entre 2020 et 2022 et mis en œuvre tous les atouts à leur disposition pour resserrer les boulons et effectuer les ajustements et les développements nécessaires afin d’être prêts à récolter les fruits de la reprise le plus tôt possible.
Non seulement Les Voyages d’Angèle est parvenue à naviguer à travers le marasme économique sans sombrer, mais en plus elle en ressort aujourd’hui renforcée. Cette agence de voyage d’une vingtaine d’employés qui couvrait quatre pays de la région pour le marché francophone avant la pandémie, se positionne aujourd’hui aussi sur le marché hispanique et s’apprête à s’étendre sur de nouvelles destinations comme le Vietnam et le Japon.
Alors que Les Voyages d’Angèle est sur le point d’ouvrir un bureau à Hanoï en septembre et vise à retrouver cette année son niveau de revenus d’avant la pandémie, Lepetitjournal.com a rencontré au siège de la société à Chiang Mai le co-fondateur, Olivier Rymer, qui revient pour nous sur la manière dont l’agence a manœuvré durant cette périlleuse traversée du désert pour en sortir ainsi renforcée avec de nouveaux projets dans sa besace.
Que pouvez-vous nous dire sur la sortie de crise du secteur du voyage dans la région ?
Les voyages individuels sur mesure, ont repris dès l'annonce de la réouverture de la Thaïlande, c'est-à-dire au mois d'avril 2022.
Le gouvernement a annoncé que les restrictions seraient complètement levées au 1er juillet, soit quelques semaines plus tard. Et à partir de là, alors que notre activité était très réduite depuis plus d’une année, seulement tirée par les programmes SandBox et quelques aménagements autour, nous avons vraiment senti une accélération, quasiment dans les jours qui ont suivi.
Et aujourd’hui, nous, comme tous les confrères que je connais, sommes toujours sur cette accélération. Cela signifie qu’un an et demi plus tard, on est toujours en progression.
Économiquement, la crise du Covid a été brutale et fatale en Thaïlande, (...) tous les hôtels et autres services liés au voyage n'ont pas rouvert
En revanche, du côté des infrastructures et de la capacité d’accueil, nous avons vite compris qu'il y aurait un décalage, que ce soit en Thaïlande, au Laos, au Cambodge, ou au Vietnam.
Qu’entendez-vous par là ?
Tous les hôtels et autres services liés au voyage n'ont pas rouvert, ou complètement rouvert. À mon avis, en Thaïlande, on est encore autour de 50% de la capacité d'avant la crise. Il n'y a pas encore assez de taxis, pas encore assez de véhicules, pas assez de bateaux, etc.
Économiquement, la crise du Covid a été brutale et fatale ici. Les Français ne se rendent pas compte parce que dans l’Hexagone des dispositifs d’aides ont été mis en place pour que ça se passe bien.
Pratiquement 50% des réceptifs en Thaïlande ont tout simplement disparu
Ici, il n’y a pas eu de tels dispositifs. Beaucoup de sociétés ont disparu, nos partenaires ont vendu leur véhicule, le moteur de leur bateau, fermé leur hôtel… Et on ne rouvre pas comme ça.
Il y a donc vraiment un problème d’infrastructure, ce qui fait que de temps en temps, on a du mal à trouver de la disponibilité. Ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup de monde, c'est parce qu’il y a trop peu d'hôtels d’ouverts.
Comment traduisez-vous la progression du voyage individuel que vous observez depuis la levée des mesures sanitaires ?
À l'époque il y avait 2 théories qui s'affrontaient.
Il y avait ceux qui voyaient dans cette accélération une sorte de rattrapage brutal venant des gens frustrés de ne pas avoir pu voyager pendant les deux années de crise. Ils appelaient cela le "Revenge Travel" et affirmaient que ce serait temporaire, le temps que cette "vengeance" du voyageur soit assouvie.
On constate qu'il n’y a pas de ralentissement ni de stabilisation comme on aurait pu l’envisager selon la théorie du Revenge travel
D'autres en revanche, estimaient que quelque chose avait changé dans la façon de voyager des gens, avec davantage de voyages individuels sur-mesure, créés en direct avec des agences réceptives locales. Ils soutenaient qu’il s’agissait d’une tendance lourde qui devrait se poursuivre dans le temps.
Or, je constate qu’il n’y a pas de ralentissement ni de stabilisation comme on aurait pu l’envisager selon la théorie du Revenge travel. En réalité, on continue de progresser. Par rapport à la même date au mois de juillet l'année dernière, nous avons deux fois plus de demandes.
Financièrement, comment avez-vous pu passer cette période de deux ans quasi blanche durant la pandémie ?
Avant la crise, nous avions un projet qui nous avait amené à conserver beaucoup de trésorerie. Notre projet n'a jamais vu le jour, mais lorsque la pandémie est arrivée, nous disposions d’une trésorerie substantielle.
Par ailleurs, nous avons toujours été assez prudents dans la gestion des acomptes clients.
Et puis nous avons été aidés par une ordonnance publiée en avril 2020 par le gouvernement Français - Les Voyages d’Angèle vend sur le marché européen et en conséquence se soumet aux directives françaises ou européennes - qui a été appliquée tout de suite.
Ce décret nous a donné la possibilité de discuter sur des bases plus avantageuses avec les voyageurs qui avaient payé leur voyage mais ne pouvaient plus voyager pour cause de fermeture des frontières. Cela nous a permis de préserver un peu notre trésorerie et de passer un accord avec chacun de nos clients. Nous les avons tous appelés et ils ont été très compréhensifs. Nous n’avons pas eu de soucis, tout comme mes confrères. Ce décret nous a tous beaucoup aidés.
Aujourd'hui, tous nos clients ont été remboursés ou ont fait le voyage pour lequel ils avaient payé, ou un voyage similaire.
Tous vos confrères n’ont manifestement pas traversé la crise avec la même réussite…
Non, malheureusement. Les Voyages d’Angèle est sortie de la crise sans dettes et avec de nouveaux atouts en poche ; mais beaucoup de nos confrères n’ont pas eu cette chance.
D’ailleurs, pratiquement 50% des réceptifs ont tout simplement disparu. Sur certains marchés, c'est encore plus. L'Allemagne, par exemple, n'a pas offert le même soutien au secteur du voyage que la France et, en l'occurrence, les agences thaïlandaises qui travaillaient sur le marché allemand ont beaucoup, beaucoup souffert.
Nous avons alors décidé de mettre à profit la chute d’activité due à la pandémie pour repositionner notre offre
Il y a eu de nombreux dépôts de bilan en Thaïlande. Surtout dans le domaine du voyage en groupe où les volumes d'acompte sont tels que, quand une société se trouve dans l’obligation de rembourser ses clients alors que ses fournisseurs refusent de rembourser l’acompte qu’elle leur a versé, elle se retrouve avec des pertes très importantes.
En plus de la pandémie, le coup d’Etat au Myanmar (Birmanie) début 2021 est venu s’ajouter à la crise. Comment avez-vous réagi à ce double coup dur ?
Oui, le Myanmar représentait 60% de notre activité. C’était notre principale destination. Le coup d’Etat nous a fait plus mal que le Covid, en réalité, en termes financiers, puisque nous avions des investissements sur place.
Nous avons alors décidé de nous recentrer sur la Thaïlande dans un premier temps et de mettre à profit la chute d’activité due à la pandémie pour repositionner notre offre.
Angèle [Angélique Labrune, ndlr] a sillonné le pays en long en large et en travers pour trouver des nouvelles pépites et renouveler notre programme sur la Thaïlande. Elle est allée chercher des endroits vraiment perdus ! Nous avons réécrit nos programmes, on a tout changé. Même sur le Cambodge, on a tout changé.
Comme la plupart des PME touchées par la crise vous avez sans doute réduit vos effectifs…
Oui, il nous a malheureusement fallu réduire nos effectifs d’environ 80%. Au Myanmar, on a dû se séparer de l'équipe. Nous avons fermé aussi au Laos. Nous avons gardé une structure au Cambodge. Ici, en Thaïlande, nous nous sommes retrouvés avec une structure réduite à 4 personnes.
Nous avons beaucoup bossé - on avait le temps il faut dire - et cela nous a permis de sortir de la crise sans dettes et avec une production beaucoup plus attractive.
Vous nous disiez que la demande était repartie tout d'un coup au cours du 2e trimestre 2022. Comment avez-vous géré cette "vague" de demandes avec des effectifs réduits ?
Nous n’avons pas tout de suite disposé des ressources humaines nécessaires pour traiter cette forte augmentation des demandes, mais chacun a mis les bouchées doubles. Puis nous avons rapidement commencé à reconstituer nos équipes.
En fait, lorsque la Thaïlande a annoncé en 2022 son dernier plan de réouverture du pays au tourisme, la plupart de mes confrères ont préféré attendre de voir comment la situation allait évoluer. Le résultat est qu’ils commencent seulement à réembaucher aujourd'hui, un an plus tard. Nous, nous avons fait le pari que la reprise durerait et, dès juin 2022, on a tout de suite réembauché - aujourd’hui, nous avons des effectifs équivalents à ceux d’avant la crise.
Nous nous sommes ensuite étendus sur le marché espagnol. Cela nécessitait évidemment quelques investissements, car il fallait adapter nos programmes aux attentes du marché espagnol, former nos équipes à la langue espagnole, changer d'outils pour créer des programmes, faire nos devis, etc. Bref, cela représentait un travail énorme, nous avons vraiment réinvesti.
Qu’est-ce qui vous a amenés à aller chercher le marché espagnol ?
La principale raison est que l’Espagne est un grand pays de tourisme. Les Espagnols voyagent beaucoup. Et quand on parle du marché espagnol, on devrait dire «marché hispanophone», car cela comprend aussi toute l'Amérique latine et la communauté hispanique des États-Unis. Cela fait quand même beaucoup de monde !
Initialement, nous voyions dans ce marché un bon moyen de combler les périodes de basse saison laissées par les Français. Mais on s’aperçoit que c’est moins vrai aujourd’hui parce que les Français voyagent désormais eux aussi tout le temps.
Toujours est-il que nous avons créé des offres pour ce marché, et la mayonnaise a pris quasiment tout de suite. Cela, ajouté au fait que les Français continuent de venir plus nombreux, nous a permis d’enregistrer une très forte progression.
Dans chaque crise se trouvent des opportunités
Vous nous avez dit avoir fermé plusieurs bureaux durant la pandémie. Où en est l’implantation des Voyages d’Angèle dans la région aujourd’hui ?
Nous n’avons jamais fermé la Thaïlande. Et le Cambodge, qui avait été mis en sommeil, a été rouvert début 2023. Angèle est allée s'installer à Siem Reap pour gérer le redéploiement de l'agence là-bas.
La prochaine étape pour elle sera de rouvrir le Laos dans le courant du quatrième trimestre, parce que le Cambodge et le Laos fonctionnent assez bien ensemble, et le Laos connaît tout d'un coup une accélération.
Mais avant le Laos, nous allons ouvrir au Vietnam le 1er septembre. Ça, c'est nouveau !
Cette partie-là a elle aussi demandé beaucoup de boulot. Et quand on dit que dans chaque crise se trouvent des opportunités, celle-là illustre parfaitement le concept.
Beaucoup d'opérateurs vietnamiens ont en effet disparu, sur le marché français et surtout sur le marché espagnol, où il n’y a quasiment plus personne.
Or, le Vietnam est un pays très divers, il y a beaucoup de choses à la fois, beaucoup de nature, des plages, un aspect culturel très fort, il y a des minorités dans le nord du pays, qui sont très proches de celles que l’on visitait dans le nord du Laos. On peut y faire beaucoup de choses et il y a des possibilités de voyages combinés qui sont considérables, notamment par le delta du Mékong vers le Cambodge.
Après l’ouverture du Vietnam et la réouverture du Laos, nous ouvrirons une agence au Japon le 1er janvier. Là, c’est quand même autre chose car il s’agit de l’Asie du Nord-Est.
Le fait de sortir comme nous l’avons fait d'une crise pareille, (...) ça donne envie de continuer
Personnellement, que retirez-vous de cette période troublée que nous venons de traverser ?
À titre personnel, je dirais que quand une crise comme celle du Covid se présente alors qu'on commence à se demander si on va prendre sa retraite, c'est un moment un peu délicat...
Mais le fait de sortir comme nous l’avons fait d'une crise pareille, qui a été inattendue et violente, ça donne envie de continuer. Et je pense que c'est quelque chose que l'équipe ressent.
Je trouve que tout le monde est très soudé et mobilisé, ils ont envie de bosser, je n'ai même pas besoin de demander si on peut rester un peu plus tard quand il reste quelque chose à faire, c'est tout juste si j'arrive à les faire sortir de temps en temps. Il y a une ambiance qui est très agréable et que j'ai connue à certaines époques.
C’est dommage d’avoir à passer par une telle crise pour en arriver là, mais je dois dire que j’apprécie beaucoup cette période de reprise.
En parcourant vos réseaux sociaux, on sent que votre société entretient de bonnes relations avec la plateforme française Evaneos. Que pouvez-vous nous dire sur cette relation entre la petite entreprise familiale que vous êtes et cette startup ?
Nous avons commencé à travailler avec eux en 2012, bien avant la création des Voyages d’Angèle. À l’époque, ils étaient une petite dizaine, dans un petit local du 9e arrondissement de Paris. Aujourd’hui, ils occupent quatre étages…
Evaneos est devenue la plus grosse plateforme européenne de mise en relation entre les voyageurs et les agences réceptives. C’est une équipe jeune avec des dirigeants jeunes, et il y a une chose qu'il faut leur reconnaître, c'est qu’ils ont compris très tôt que la préoccupation environnementale allait s’installer plus profondément qu'attendu dans l'esprit des voyageurs. Et que cela se ressentirait dans leur manière de voyager.
On voit bien que les sociétés qui n'ont pas tout mis en pause et ont travaillé sur elles-mêmes ressortent de cette crise plus vite
Ils se sont beaucoup mobilisés pendant le Covid et ont notamment obtenu la certification B Corp qui est une certification basée sur des critères sociétaux et environnementaux qui est très difficile à obtenir.
C'est cela que je trouve admirable, car on aurait pu imaginer qu'ils mettraient un peu tout en sommeil durant la crise. Or, on voit bien que les sociétés qui n'ont pas tout mis en pause, justement, et ont travaillé sur elles-mêmes, ressortent de cette crise plus vite.
Evaneos a beaucoup travaillé sur plusieurs aspects clés de façon à obtenir cette certification et pour pousser les agences à mieux réfléchir à l’empreinte environnementale et sociétale de leur activité.
Ils vous ont poussés en pleine pandémie ?
Oui, certains d'entre nous se demandaient si ce n'était pas un peu en décalage avec le moment qui était un moment de crise majeure. Mais c'est eux qui avaient raison et je trouve que le travail qu'ils ont réalisé sur eux-mêmes et dans l’accompagnement des agences est franchement stupéfiant.
Aviez-vous vraiment besoin d’être "poussés" sur la question environnementale, vous qui mettez en avant un tourisme responsable ?
Nous avions bien évidemment déjà une réflexion sur la question environnementale. Nous organisons des voyages hors des sentiers et on a démarré avec le Laos et la Birmanie, qui étaient des pays tout entiers hors des sentiers battus, où l’on fait beaucoup de choses à pied, par exemple.
Ce n’est pas parce que l’on se sent concerné par la question environnementale que tout va de soi
Mais Evaneos nous a amenés à aller plus loin dans notre réflexion, car même si nous étions complètement sensibilisés à la question, nous n'avions jamais vraiment réfléchi de manière systématique, ordonnée, à la manière dont on pourrait réduire notre empreinte carbone.
Est-ce cela qui vous amène aujourd’hui à vous investir pour obtenir l’agrément Travelife ?
Oui. En fait, nous n’étions pas dans la logique de chercher des certifications. Mais encore une fois, ce n’était pas par indifférence vis-à-vis de la question environnementale, mais parce que ce n'était pas dans notre culture. Et là, on se rend bien compte que ce n’est pas parce que l’on se sent concerné par la question [de l’impact environnemental] que tout va de soi.
Le fait de travailler sur la certification Travelife nous a apporté beaucoup de choses. Nous avons par exemple retravaillé notre gestion des bouteilles en plastiques dans les agences, dans les véhicules, sur la façon dont on utilise le papier dans les agences, etc.
Mais cela va au-delà de la seule question environnementale. Il est par exemple question du respect du droit du travail. Même si nous avons toujours pris soin d’être "dans les clous" sur ce point, nous avons réalisé que nos contrats étaient restés un peu basiques par rapport aux réglementations actuelles qui ont beaucoup évolué ces dernières années. Au Cambodge, par exemple, nous avons refait nos contrats de travail.
Il y a plein de notions que nous pensions acquises sur lesquelles nous avons beaucoup travaillé. Une sorte d’examen de conscience. Et ça, on le doit à Evaneos.