Subha, Indienne parfaitement francophone, a rédigé, au cours de ses études de français, un mémoire sur le rôle des fables dans la littérature indienne. Pour illustrer son propos, elle a ainsi traduit vingt-cinq textes appartenant au recueil Tales of Wisdom de l’auteur A.P. Talwar.
Son objectif était multiple. D’une part, contribuer à faire connaitre la mythologie et l’histoire de l’Inde qui constituent la base des fables. D’autre part, aborder la question de la morale enseignée aux enfants.
Dans son introduction, Subha précise que l'ambition d'A.P. Talwar (auteur du XXème siècle) était :
Ecarter les mauvaises influences et inculquer les bonnes pratiques pour que les enfants deviennent des adultes responsables.
Selon lui, les enfants ont besoin de modèles, et l’Inde regorge de ces modèles dans son histoire et ses récits. Les fables de Tales of Wisdom, que tous les jeunes Indiens connaissent, ont donc vocation à forger l’esprit, la mentalité et le comportement social, bien au-delà d’une simple lecture enfantine.
Alors que contiennent ces textes ? Nous en retranscrivons trois pour découvrir un pan de cette morale et pour le plaisir des histoires.
Savoir se détacher des biens matériels pour obtenir le bonheur
(fable inspirée du Bhagavad-Gita)
Un jour d’été, Arjuna et son maître Krishna sollicitent un riche prêteur sur gages pour obtenir des boissons fraîches et un casse-croute. Le prêteur sur gages est avare et les éconduit avec quelques paroles polies. Krishna lui répond en souhaitant qu’il croule sous les richesses. Après avoir repris la route, Arjuna exprime son incompréhension et son mécontentement face au comportement de son maitre.
Les deux comparses arrivent ensuite chez un brahmane qui les reçoit chaleureusement et leur offre un bon repas et des boissons fraiches. Pendant le repas, le brahmane s’absente pour aller soigner sa vache. En partant, Krishna remercie l’homme en souhaitant « que sa vache meure ! ». Arjuna est furieux et demande des explications. Krishna répond qu’en lui causant des soucis, la vache empêche l’homme d’accéder à la plénitude. Il faut qu’il s’en libère. Par contre, en souhaitant la richesse au prêteur sur gages, Krishna le punit car l’accumulation de biens est source d’inquiétudes et d’ennuis.
Ne pas chercher le conflit mais savoir se faire respecter
(ou ne pas tendre la joue gauche quand on a reçu une gifle à droite)
Ayarpani est un petit village dans l’état d’Uttaranchal. Les gens y vivent simplement de l’agriculture. Un grand banian est vénéré à côté du temple. Les femmes s’y retrouvent pour allumer leur diyas (lampes à huile) et les enfants aiment jouer à l’ombre de son feuillage.
Un jour, un grand serpent s’installe au pied du banian. Les habitants ont peur et ne veulent plus aller au temple. Un vieil ermite propose son aide. Il ira parler au serpent.
« Bonjour Nagraj, vous êtes une grande menace pour les pauvres villageois. Ils ont peur de vous. Pourquoi ne partez-vous pas ? » demande l’ermite. « Je suis bien sous le banian sacré de la déesse Durga. Dites aux villageois qu’ils n’ont rien à craindre, je ne les mordrai jamais. »
Petit à petit, les habitants reprennent confiance. Voyant que le serpent reste tranquille sans jamais lever son capuchon, ils commencent à le provoquer avec des bâtons et des pierres.
Un jour, l’ermite passe à proximité et constate que le serpent est en piteux état. « Pourquoi êtes-vous dans cet état, Nagraj ? Qui vous a blessé de cette façon ? »
« Monsieur, j’ai promis de ne pas mordre et ils me battent. »
« Je vous ai demandé de ne pas mordre, mais je ne vous ai pas demandé de ne pas siffler ! Si vous aviez sifflé, ils auraient continué à vous craindre ! ».
Tout est mortel et passe. Il faut l’accepter.
Bouddha était sur les routes. Dans un petit village, une femme se jette à ses pieds, en larme. « Oh maitre, j’ai perdu mon enfant. Vous êtes un saint homme, je suis sûre que vous pouvez le ramener. »
Bouddha répond : « Visitez toutes les maisons et apportez-moi une poignée de blé d’une maison où il n’y a jamais eu de mort. » La femme s’empresse de frapper à toutes les portes. Elle revient vers le Bouddha, rongée par la tristesse. « Il n’y a pas une seule maison dans ce village qui n’ait jamais perdu quelqu’un » dit-elle.
Bouddha en conclut : « Acceptez que la mort ne laisse personne. Elle est pour tous. Arrêtez de pleurer pour ceux qui meurent car à votre tour, vous mourrez un jour. Mais seul le corps disparait ; l’âme est immortelle. »