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Les délais dans l’administration judiciaire indienne

En 2022, plus de 47 millions de cas languissaient à différents niveaux du système judiciaire indien, dont 30 millions de cas criminels. Certains peuvent s’éterniser durant des dizaines d’années. Pour réformer le système de justice criminelle et l’adapter aux réalités actuelles, le gouvernement indien a proposé durant l’été 2023 trois projets de loi. Mais à quel point la situation des tribunaux est-elle difficile en ce qui concerne l'application des lois encore en vigueur et combien de temps faut-il pour qu'une affaire soit résolue ?

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Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 28 septembre 2023, mis à jour le 29 avril 2024

 

La situation des personnes en attente de libération sous caution

Les retards dans la mise en liberté sous caution de l'accusé entraînent le même résultat que le refus de la libération sous caution : l'accusé doit rester en prison pendant le procès. Aujourd'hui, pour les demandes de mise en liberté sous caution régulière, le nombre médian de jours entre la date de dépôt et la date de la décision est de 23 jours.

Concernant les procédures de liberté sous caution devant les Hautes Cours, la situation depuis l’épidémie de Covid est difficile. Il y a aujourd'hui plus de 120 000 demandes de libération sous caution en attente de traitement. Il semble que l'application de la loi de 1897 sur les maladies épidémiques à l'époque du Covid n'ait fait qu'aggraver les longs délais d'attente, puisque des centaines de demandes ont été déposées en vertu de cette loi.

 ➤ Lire aussi : Impressions lors de visites dans la prison de Puzhal, à Chennai

Dans des États comme le Jharkhand, les affaires de libération sous caution occupent plus de 70 % de la charge de travail totale des Hautes Cours, ce qui est l'une des raisons des retards mais ne peut pas expliquer tout le problème. Pour ceux qui attendent une libération sous caution au Jammu-et-Cachemire, le temps d'attente peut aller jusqu'à 156 jours, tandis que le tribunal de Mumbai semble très rapide avec un délai de 56 jours.

 

Vue de la prison de Puzhal. Photo : M. Dhanasekaran (Wikimapia)
Vue de la prison de Puzhal. Photo : M. Dhanasekaran (Wikimapia)


Mais si l'attente d'une libération sous caution est déjà une épreuve, qu'en est-il de ces affaires qui traînent devant les tribunaux depuis des années ?

 

Les procédures devant la Cour Suprême

Commençons par la plus haute cour du pays : la Cour suprême de l'Inde.

La Cour se trouve en haut d’une pyramide comprenant 21 High Courts et plus de 15000 tribunaux subordonnés. Elle est considérée comme l'institution constitutionnelle qui suscite le plus de confiance dans le pays et exerce un énorme pouvoir en se prononçant en moyenne sur quelque 50 000 requêtes par an.

Néanmoins, d’après les derniers chiffres, il y a presque 70 000 cas en attente actuellement. Un nombre très important. Mais ce qui est vraiment remarquable, c'est le nombre d'affaires pendantes devant les chambres constitutionnelles (constitutional benches).

La Cour Suprême est l’interprète en dernier ressort de la Constitution indienne et une chambre constitutionnelle est formée quand un requérant demande l’interprétation de la Constitution.

 

Cour suprême d'Inde. Photo : site officiel de la cour Suprême
Cour suprême d'Inde. Photo : site officiel de la cour Suprême

 

Ce fut le cas lors du procès Union of India contre Naveen Jindal. Dans cette affaire, qui a mis 10 ans à être résolue, le différend a surgi autour de l'application de l'article 19 et le droit fondamental à la liberté d'expression reconnue dans la Constitution de l’Inde.

La question, posée en 1992 par le parlementaire Naveen Jindal, concernait le droit des citoyens à hisser le drapeau national indien (avec certaines restrictions) dans les lieux privés. La Cour Suprême s’est prononcée en faveur de M. Jindal et depuis ce jour, les Indiens peuvent librement faire flotter le drapeau de leur pays, ce qui était interdit jusque-là.

Mais ceux qui voudraient tenter de reproduire l'exploit accompli par Naveen Jindal doivent être patients. La plus ancienne affaire pendante devant une formation constitutionnelle composée de cinq juges traîne depuis 31 ans. Et le record d'une affaire en attente d'une formation constitutionnelle à sept juges est désormais de 29 ans. En ce qui concerne la chambre constitutionnelle de neuf juges, l'affaire la plus ancienne est en attente depuis 1999.

 

Le cas de M. Kumar, envoyé en prison 42 ans après les faits

Imaginons un homme de 90 ans qui se retrouve devant la Cour Suprême.

Cet homme, c’est M. Kumar. Il a été condamné début 2013 par la Haute Cour d'Allahabad en vertu des dispositions de la loi Prevention of food adulteration act, 1954 à six mois de prison et à une amende pour une affaire de dilution de lait de bufflonne et avait fait appel de cette décision.

 

Vendeur de lait à Kamal, Haryana, Inde. Photo : Arne Hückelheim (wikicommons)
Vendeur de lait à Kamal, Haryana, Inde. Photo : Arne Hückelheim (wikicommons)


Remontons un peu dans le temps. M. Kumar a été surpris par un inspecteur des aliments en train de vendre du lait dilué, ce qui est considéré comme un crime. Mais quand cet événement malheureux s'est-il produit ? Eh bien, à l'époque, l'accusé avait 48 ans… ce qui nous amène en 1981 !

Sa première condamnation a été signifiée par le magistrat judiciaire de Khurja (Uttar Pradesh) en 1984, et depuis lors, elle s'est poursuivie jusqu'en 2023, date à laquelle son arrestation a été ordonnée, puisqu’il ne s'était pas rendu pour purger la peine prononcée par la Haute Cour d'Allahabad en 2013.

L’affaire aura voyagé 42 ans d'un tribunal à l'autre jusqu’à enfin trouver résolution devant la Cour Suprême.

 

Quand le gouvernement veut récupérer son argent : 20 années de procédure pour une erreur administrative

Une autre affaire qui a demandé de la patience aux parties prenantes est celle d’un enseignant du Kerala, contre lequel une procédure de recouvrement a été engagée par l'État qui lui avait accordé à tort des augmentations salariales.

Elle aura duré 20 ans avant d’être finalement tranchée par la Cour suprême. Et son point de départ était une erreur commise par le gouvernement.

L'enseignant avait pris un congé d'études en 1973, mais cette période de congé n'a pas été prise en compte lorsque l’administration lui a plus tard accordé une promotion, et donc une augmentation de sa rémunération.

En 1997, soit 24 ans plus tard, l'administration a réalisé son erreur. L'enseignant en a été informé et la procédure de régularisation a été enclenchée en 1999, alors qu'il était déjà à la retraite.

Finalement, la Cour suprême a statué en sa faveur en 2022, mettant fin à la menace de récupération de paiement qui pesait sur lui.

Le gouvernement n'est peut-être pas rapide ; mais il est persistant.

 

Des années de retard dans des affaires administratives

Il n'y a pas que les affaires pénales qui traînent en longueur. Les procédures administratives également, et dans de nombreux cas, elles aboutissent devant les tribunaux.

Un exemple frappant est le cas de Mme Popat, une femme qui attend toujours d’obtenir la citoyenneté indienne après 56 ans de vie dans le pays.

 

Haute Cour de Bombay. A. Savin - WikiCommons
Haute Cour de Mumbai. A. Savin - WikiCommons

Mme Popat est née en Ouganda en 1955 de parents indiens. Elle est entrée dans le pays avec sa mère à l'âge de 10 ans sous le passeport britannique de cette dernière (l'Ouganda ainsi que l'Inde faisaient alors partie de l'Empire britannique) et elle réside en Inde depuis lors. Elle s'est mariée en 1977 et a demandé un passeport indien en 1997. Elle remplissait les conditions prévues par la loi indienne de 1955 sur la citoyenneté, à savoir le mariage avec un citoyen et une résidence de sept ans.

En 2019, soit plus de 20 ans après son dépôt, sa demande de citoyenneté a été rejetée. En 2022, la Haute Cour de Mumbai a demandé une explication au ministère de l’Intérieur. Depuis lors, l'attente persiste. Ainsi, obtenir la citoyenneté indienne peut être une tâche très longue, complexe et chronophage.

 

Des réformes attendues et nécessaires

Les trois projets de lois proposés par le gouvernement et présentés au Parlement doivent abolir et remplacer trois lois indiennes primordiales, mais désuètes et inadaptées aux réalités actuelles : le Code Pénal indien (CPI) et le Code de Procédure Pénal, qui datent de l’époque coloniale, et la Loi indienne sur les preuves de 1872. Des réformes attendues, même si leur contenu fait toujours débat, et nécessaires !

 

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