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KYNAROU : donner un accès durable à l’eau potable aux villages du Tamil Nadu

un puits au tamil nadu en indeun puits au tamil nadu en inde
Écrit par Anaïs Pourtau
Publié le 10 août 2022, mis à jour le 19 décembre 2023

Kynarou,  qui signifie le puits en tamoul, est née en 2004 de la volonté d’une jeune femme, Sophie Lehideux. Depuis sa création, Kynarou a mis en œuvre de nombreux projets en Inde (plus de 50 villages, 25 écoles, 13 crèches) offrant à près de 100.000 personnes un accès à une eau potable de qualité et en quantité suffisante, en forant des puits, en installant des systèmes de filtration d’eau et des toilettes dont l’entretien est financé et géré par la communauté villageoise. 

 

logo de l'association Kynarou



Sophie Lehideux, la fondatrice de Kynarou et Radja Mourthy, le directeur et coordinateur du bureau de Pondichéry, ont accordé un entretien à la rédaction du Petit Journal de Chennai.


Kynarou, pour l'accès à l’eau potable et à l'hygiène dans les villages du Tamil Nadu

En 2004, Sophie Lehideux travaille à Madurai dans un orphelinat pour petites filles intouchables et découvre les problèmes dramatiques liés aux difficultés d’accès à l’eau potable dans les villages environnants. De retour en France, avec des amis, elle crée Kynarou, une association d’étudiants afin d’agir et de soutenir quelques villages du Tamil Nadu.

Depuis sa création, Kynarou est devenue une association moyenne à taille humaine employant un salarié et dix bénévoles en France ainsi que dix salariés en Inde. Le siège social est à Paris et l’association a ouvert un bureau à Pondichéry qui s’occupe de la mise en place des programmes.

 

Sophie Lehideux fondatrice de Kynarou

 

 

Les missions de Kynarou en Inde

Lors de la création de Kynarou, Sophie Lehideux a fixé plusieurs objectifs autour de l’eau pour les actions de son association dans les villages du Tamil Nadu :

  • Donner un accès à une eau potable de qualité en quantité suffisante par le biais de forages, de la réhabilitation des réseaux de distribution existants et de systèmes de filtration de l’eau,
  • Construire et entretenir (ndlr : ce qui peut paraître évident mais ne l’est pas forcément) des toilettes communautaires pour les femmes et les enfants, 
  • Utiliser le biogaz et la bioélectricité pour l’éclairage des toilettes la nuit,
  • Assainir les eaux usées pour l’arrosage des jardins communautaires,
  • Gérer de manière raisonnée les déchets et pratiquer le tri sélectif en formant les éboueurs,
  • Créer des potagers familiaux en agro écologie,
  • Communiquer et sensibiliser les villageois à propos des risques encourus par la transmission et la propagation de germes infectieux, dont la prévention contre le COVID19.


Collecte de fonds en France et mise en oeuvre des actions en Inde

Les projets de Kynarou sont financés par des personnes privées, des fondations privées, des bailleurs publics et 6 agences de l’eau en France.

A Pondichéry, le directeur du bureau de Kynarou, Radja Mourty est responsable des travaux, de leur mise en œuvre et des dépenses. Il coordonne l’équipe « terrain » et l’équipe « bureau ».

Il faut environ un an pour mettre en place un projet et cela nécessite ensuite un suivi quasi continuel pour assurer la pérennité du système. 

L’aspect financier des projets est contrôlé par le siège à Paris. Tous les trois mois, les factures et un rapport financier de suivi sont envoyés en France par le comptable du bureau de Pondichéry auxquels s’ajoutent les photos des travaux en cours. 
 

Radja Mourthy directeur du bureau de Kynarou a Pondichery
Radja Mourthy


 

Quels sont les villages et les communautés pour lesquels oeuvre Kynarou dans le Tamil Nadu ?

Kynarou s’adresse à tous sans distinction de caste ou de religion et plus particulièrement aux populations rurales défavorisées ou intouchables. Afin d’assurer un suivi sérieux des travaux, les villages concernés ne se trouvent pas à plus de 400 kilomètres de Pondichéry.

L’initiative Eau et Développement de Kynarou regroupe des projets mis en œuvre depuis 2009 dans les districts de Theni et de Salem (5 villages). Cette région subit un manque chronique de ressources en eau. 

Les équipes de Kynarou se mettent au travail lorsqu’elles sont sollicitées par les populations en difficulté, ce n’est pas Kynarou qui vient proposer son expertise. Cela permet d'impliquer les villageois et les autorités locales comme partenaires de travail dans les actions de Kynarou : c’est une organisation de mise en œuvre basée sur la communauté (CBO).


 

Kynarou, un concentré d’intelligence et de subtilité, fruit d’une formidable expérience de terrain en Inde

Les actions de Kynarou depuis 2014 ont été mises en place dans 45 villages du Tamil Nadu. Elles concernent :

 

Petite fille du Tamil Nadu buvant de l'eau
@Kynarou

 

Accès à l’eau potable 

  • 32 puits forés
  • 48 unités de filtration d’eau installées

 

Les femmes sont plus en attente de toilettes que d’eau potable

 

un toilette installé par Kynarou en Inde
@Kynarou


Accès à des sanitaires pour les femmes et les enfants

Traditionnellement, le lieu destiné aux besoins naturels ,qui est considéré comme « impur », ne pouvait se trouver au sein de l’habitation au même titre que la cuisine ou la salle de puja (prières). Les toilettes étaient situées dans un lieu séparé, à l’extérieur et le plus souvent les gens allaient dans la nature ou même dans la rue.

 

A Pondichéry, les toilettes reliées à des systèmes d’égouts ou de fosses septiques n’existent dans les appartements que depuis 40 ans seulement.

 

Dans les campagnes, les habitants ne sont pas sensibilisés aux problèmes liés aux défécations en plein air et ne voient pas l’intérêt de changer leurs habitudes. Pourtant, celles-ci génèrent des problèmes majeurs d'hygiène et de santé publique dont la pollution, régulière des puits et des nappes phréatiques lors des moussons, les agressions de femmes à la nuit tombée (ndlr : c’est pourquoi elles se déplacent en groupes ou ne sortent pas le soir) et le risque de se faire piquer par des serpents et agresser par des animaux.

 

Dans les villages, les hommes se réunissent pour aller en groupes déféquer dans un champ d’un côté du village, et les femmes font la même chose de l’autre côté. Sans compter que les lieux d’aisance ne peuvent pas être les mêmes pour toutes les castes.

 

Avant toute action, l’équipe de Kynarou va observer sur le terrain les us et coutumes des villageois.

 

Ainsi, les toilettes des femmes sont construites à proximité de l’espace où elles ont l’habitude d’aller faire leurs besoins. Et pour nettoyer les toilettes après chaque passage, selon les habitudes observées et le niveau de développement du village, soit les femmes prennent un petit seau qu’elles remplissent d’eau nettoyée, au réservoir, avant de se rendre dans la cabine de WC, soit il est installé un robinet d’eau dans chaque cabine. 

Tout au long du processus de construction, les villageois vont s’intéresser à l’évolution des travaux. Les ouvriers embauchés sont des hommes du village. 

 

Kynarou a équipé 36 villages de toilettes communautaires pour les femmes et les enfants, fonctionnant selon la technologie DEWATS (Decentralised Waste Water Treatment System) comme technologie de nettoyage des eaux usées. Les eaux usées passent dans trois cuves successives où elles sont filtrées à travers du gravier et des plantes des canas indicas, qui sont de très jolies fleurs. Enfin, un dernier bac récupère ainsi l’eau filtrée qui permet d’arroser un jardin potager collectif qui se trouve juste à côté.

 

Schema des installations de sanitaires par Kynarou en Inde

 

 

L’entretien des toilettes et des cuves est à la charge de l’Etat qui rémunère deux salariés. Chaque famille du village verse 30 roupies (36 centimes) par mois pour l’achat des produits d’entretien des toilettes. L’entretien des cuves se fait avec une poudre à base de crottin de cheval fabriquée par une usine de Bangalore qui permet de détruire les bactéries.

Et enfin, la pérennité est assurée par un comité de gestion composé des femmes d’un Self Help Group (ndlr : un SGH est un groupe informel de personnes qui veulent améliorer leurs conditions de vie), qui gère la maintenance et la gestion des constructions ainsi que le partage des ressources.

 

Petite fille du Tamil Nadu lisant une affiche sur l'hygiène
@Kynarou

 

Gestion des déchets

  • 20 villages sont formés au tri des déchets
  • 20 villages pourvus de jardins potagers biologiques (projet WATSAN) alimentant 210 bénéficiaires.

 

un potager biologique installé par Kynarou en Inde
@Kynarou


Kynarou sensibilise aussi les villageois du Tamil Nadu à l'hygiène et à la santé 

Les toilettes communautaires sont construites pour les femmes et les enfants avec leur collaboration et Kynarou a mis en place une stratégie pour convaincre les hommes qui ne sont généralement pas prêts à changer leurs habitudes. 

 

Kynarou joue sur la jalousie pour convaincre les hommes de ne plus pratiquer la défécation en plein air.  Un jour, les hommes demanderont à avoir les mêmes avantages que les femmes, ou les petits garçons devenus plus grands, sensibilisés dès leur jeune âge, demanderont des toilettes pour eux.

Des réunions sont organisées pour les femmes une heure par semaine, le matin, avec une formatrice de l’équipe. Pour les adolescents, une heure le soir après l’école, car ils ont le pouvoir de convaincre leurs parents et c’est sur eux que repose l’avenir.

Tous les thèmes liés à l’entretien, l’hygiène , l’éducation, la prévention, sont abordés.

 

Kynarou a aussi mis en place une pédagogie par différentes formes de communication visuelles à l’adresse des familles qui ne savent pas toujours lire.

 

Une troupe de théâtre de rue vient jouer des scènes de la vie quotidienne  et s’adresse à chaque famille.  Des mises en situation et jeux de rôles qui provoquent les rires sont un merveilleux vecteur qui permet de provoquer la prise de conscience des spectateurs.


 

L'équipe de Kynarou a eu la magnifique idée d’utiliser le calendrier, objet présent dans toutes les maisons indiennes, pour véhiculer les messages d'hygiène et de prévention.”


Le calendrier, disposé dans la pièce commune, rythme la vie, rappelle les fêtes religieuses et donne les dates et heures propices pour décider des évènements familiaux.

 

un calendrier avec des explications sur l'hygiène fait par Kynarou

 

Kynarou fait imprimer des calendriers et en distribue un par famille. Outre la date, des messages écrits ou des illustrations rappellent chaque jour les règles d’hygiène et de prévention: que faire et ne pas faire.

Ces mêmes calendriers sont distribués dans les écoles et deviennent ainsi des outils pédagogiques.

 

Calendrier pedagogique sur l'hygiène fait par Kynarou



Dans les rues, les fresques murales reprennent les dessins des calendriers. Elles sont peintes à des endroits propices pour être vues de tous, par exemple aux arrêts de bus.

 

Fresque murale sur l'hygiène faite par Kynarou



 

Au fil du temps, Kynarou a développé d’autres projets : 

  • des ateliers de couture pour les femmes dont les produits sont vendus dans une boutique solidaire en ligne,
  • la création de potagers biologiques qui permet d’améliorer l’alimentation des familles et génère un apport financier grâce à la vente des produits sur les marchés (le projet WATSAN),
  • la fabrication de briquettes avec les déchets récoltés dans les foyers, vendues dans les hôtels pour faire du feu.

 

Depuis 2018, l’association Kynarou est partenaire au Burkina Faso avec l’association «  sauvons l’environnement, l’Eau potable et l’Assainissement pour tous ».


 

 


La mission SWACHH BHARAT (Clean India) lancée en 2014 par Narendra MODI contient un volet pour équiper tout le pays en toilettes. Le problème de la défécation en plein air devait être définitivement résolu dans toute l’Inde en 2019. Le gouvernement a alloué un budget de 18 milliards d’euros, destinés à financer la construction de 130 millions de toilettes dans les foyers et 50000 dans les écoles publiques.

Mais, dans certaines régions de l’Inde, les utilisateurs n’ont pas été associés à la mise en œuvre du programme et c’est un échec. Certaines fois, seuls les murs ont été construits, les matériaux utilisés étaient inadaptés, ce qui était prévu pour être des toilettes a été transformé en placards. Ailleurs, la technologie n’a pas suivi et les systèmes d’évacuations des excréments n'ont pas été réfléchis ou n'existent pas. Sans compter que le nettoyage des cuves est fait dans des conditions épouvantables, souvent sans protection, par les intouchables.


 

 


Remerciements à Sharmi, l’épouse de Radja Mourty qui a assuré la traduction de l’entretien et à Adrien qui nous a mis en contact avec Kynarou pour qui il a travaillé. Il intervient actuellement au Népal pour l’ONG Lyonnaise Triangle génération humanitaire.

 

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