S’il y a bien un sujet de santé et de société primordial en Inde, ce sont les…toilettes. Cela peut nous paraître anodin mais posséder des sanitaires est parfois encore tabou. Et même si la situation et les mentalités changent, en 2020 il y a encore du chemin à faire…
Un sujet traditionnellement tabou
Le film « Toilet » permet de bien comprendre de quoi nous allons parler : L’histoire vraie d’une jeune femme, Anita Marre, qui menace de quitter son mari s'il n'installe pas de toilettes chez eux. Pour regagner son amour et son respect, il entreprend un véritable bras de fer pour lutter contre les traditions, les réticences et les croyances religieuses. Lepetitjournal. Com de Chennai a vu le film et le recommande vivement.
Parce que oui, depuis bien longtemps, un véritable fléau s’abat sur l’Inde : le manque de toilettes, particulièrement dans les zones rurales : A défaut d’infrastructures sanitaires, nombre d’Indiens défèquent en plein air… Et les excréments, laissés en pleine nature, dans des égouts ou dans des cours d'eau sont à l'origine de graves infections et de diarrhées mortelles. Selon l'Organisation mondiale de la santé, les installations sanitaires de mauvaise qualité seraient responsables de 432 000 décès par an dans le monde ! Une situation qui nous parait impensable mais hélas encore très réaliste sur le sol Indien. Au-delà de l’hygiène, c’est la femme indienne qui en paye surtout le prix : Aller faire ses besoins en plein air, à l’abri des regards (et donc à l’extérieur du village) est synonyme de dangereuses expéditions nocturnes. D’abord à cause d’une nature hostile (piqûre de scorpions, morsures d’animaux, chutes dues à une faible luminosité…) mais aussi au cause des risques d’agressions sexuelles.
Comment expliquer un tel manque d’infrastructures en Inde ? D’abord le manque d’argent pour en construire au sein de sa maison ou dans le village. Autre raison, l’habitude : déféquer en plein air semble normal pour de nombreux « anciens » qui ont toujours procédé ainsi. Il y a aussi la contrainte d’entretenir et de vider les latrines, un métier traditionnellement réservé aux basses castes, ce qui freine à construire des sanitaires. Enfin, certains textes hindous évoqueraient le fait qu’il est impur de faire ses besoins près ou dans la maison (où l’on mange, où l’on prie) ; les toilettes sont en effet considérées comme « impures » par une partie de la population indienne, dans un pays où la pureté est primordiale.
Un programme de construction de toilettes
Aujourd'hui, c'en est fini de se cacher ou d’éviter le sujet. Une campagne, nommée « Swachh Bharat (Inde propre en hindi) » a été mise en place depuis 2014 par l’actuel Premier Ministre Modi Narendra. Son objectif est d'en finir avec la défécation en plein air dans les 5 ans à venir.
Pour aider à équiper les foyers et les villages, le gouvernement alloue une aide de 12 000 roupies, soit environ 150€. Pour être sûr que le programme ait des résultats, le Premier Ministre (expert dans la communication), n’a pas hésité à rallier à sa cause des célébrités de Bollywood, la puissante industrie du cinéma. « Ni derrière un buisson, ni sous un arbre, allez aux toilettes, seulement derrière des portes closes », a ainsi martelé Amitabh Bachchan, légende du cinéma indien, dans plusieurs spots visant à faire évoluer les mentalités et les comportements. Une autre opération coup de poing : celle de la sortie du film « Toilet » dont nous parlions précédemment, véritable succès au box-office en 2017 et porté par l’acteur phare Akshay Kumar.
Aujourd’hui, Modi se félicite de sa campagne, affirmant « avoir construit plus de 110 millions de latrines depuis 2014 et donné accès aux toilettes à 600 millions de personnes. ». Des chiffres remis en question, puisque, selon un institut de recherches économiques, le Rice « 44% la proportion de gens faisaient toujours leurs besoins en plein air en 2018, contre 70% en 2014 dans les Etats du Rajasthan, du Bihar, du Madhya Pradesh et de l'Uttar Pradesh ». De plus, une fois installées, les sanitaires ne seraient pas toujours bien entretenus et les bonnes pratiques vite oubliées. Des toilettes construites à la va-vite, mal conçues ou mal raccordées, seraient d’ailleurs souvent laissées à l'abandon. Un autre problème commence à émerger, c’est le nettoyage des toilettes : « Narendra Modi est devenu 'Monsieur toilettes ' dans le monde entier, mais en Inde des gens continuent à mourir en nettoyant les latrines [à cause de manque de protection, des gaz toxiques…] et il n'a jamais eu un seul mot pour eux », juge Bezwada Wilson, activiste indien
Il y a encore du chemin à faire ; Modi a lui-même reconnu qu'il restait des défis à relever pour que les changements de comportement perdurent.
Et aujourd’hui ?
A Chennai par exemple, il est prévu de continuer à construire des toilettes publiques dans la ville, 155 précisément dans les mois qui viennent, dont au moins 84 exclusivement réservées aux femmes. L'idée est de faire en sorte que celles-ci se sentent en sécurité et à l'aise dans les toilettes publiques. Ce projet est mené par la Greater Chennai Corporation [qui compte actuellement 1 245 complexes de toilettes avec environ 7 888 places] ; un appel d'offres a été lancé le 28 janvier dernier pour les toilettes électroniques, selon des sources officielles. Reste tout de même à régler le manque de propreté de ces toilettes publiques, principalement en raison du manque d’eau. L’été dernier, faute d’entretien, beaucoup d’ordures étaient jetées dans les toilettes électroniques inutilisées…"Pour les nouvelles, nous allons déployer des agents sanitaires spécialisés pour les entretenir", a récemment déclaré un responsable du projet. A suivre !