Sorti en janvier 2021, le film indien The Great Indian Kitchen, réalisé par Joe Baby, a rapidement capté l’attention du public et a déclenché des réactions très vives : les uns soutenant la démarche du réalisateur de dénoncer la condition des femmes, les autres allant jusqu’à évoquer une « propagande anti-hindous ». lepetitjournal.com donne son avis sur ce film phénomène, qui a notamment remporté le 51e prix du film de l'État du Kerala pour le meilleur film, ainsi que le prix du meilleur scénario.
The Great Indian Kitchen dresse le tableau d’une famille hindou conservatrice
Le film débute par une rencontre entre deux jeunes adultes, qui sont manifestement promis l’un à l’autre, et se découvrent timidement. Le mariage est célébré rapidement : le contexte est posé, très simplement, avec très peu d’autres éléments. On devine ensuite, grâce à la langue parlée (le malayalam), que la scène se déroule Kerala, et au vu des grandes maisons avec cour, que les familles du couple ne font pas partie des plus modestes du village. Le mari est instituteur, et l’épouse était, auparavant, professeure de danse. A l’issue du mariage, celle-ci emménage dans la maison de son mari. Le début du film est plutôt calme, et y règne une ambiance presque bon enfant : la timidité des promis, les premières complicités etc. Cette atmosphère plutôt paisible dans une grande maison de campagne va néanmoins être altérée, petit-à-petit, tout au long du film, par des « incidents ».
La nouvelle épouse rejoint très rapidement sa belle-mère dans la cuisine, et la seconde dans les tâches ménagères. De l’autre côté, de façon presque caricaturale, les hommes lisent le journal ou font du yoga. Lorsqu’ils déjeunent, avant les femmes, ils laissent ensuite la table dans un état très négligé, sans se soucier le moins du monde de celles-ci, qui mangent à la même table et doivent tout nettoyer après. Au début du film, cette répartition des rôles fait tiquer la nouvelle épouse, mais elle ne semble pas s’en formaliser. Néanmoins, quelques jours après son arrivée, sa belle-mère doit partir s’occuper de sa fille qui est sur le point d’accoucher. Tout le travail domestique lui revient alors soudainement, et la réalité de sa nouvelle vie lui explose au visage.
Son mari et son beau-père sont extrêmement égoïstes, et n’ont que très peu de considération pour elle, qui toute la journée se plie en quatre pour subvenir à leurs besoins et à ceux de la maison. Ils deviennent franchement antipathiques, et incarnent une forme de « patriarcat » qui emprisonne totalement l’héroïne. La cuisine, où elle passe le plus de temps, ressemble à une prison : barreaux aux fenêtres, sol et murs sombres, peu d’éclairage. En outre, ils se mettent en colère lorsqu’elle leur annonce qu’elle aimerait travailler.
La caméra suit de près tout ce que fait quotidiennement la nouvelle arrivée dans la famille. De longs passages montrent ses différentes tâches domestiques : nettoyer, cuisiner, faire la vaisselle, laver les vêtements. C’est ce temps long, d’ailleurs, et ces gros plans sur des éviers remplis et dégoûtants, qui immergent vraiment le spectateur dans la vie quotidienne de la maison. Et c’est ainsi que l’engagement politique du film est transmis : au travers de scènes aussi banales que de nettoyer les restes de nourriture sur la table, ou de frotter une casserole avec une éponge.
Peu après, lorsqu’elle avoue à son mari qu’elle a ses règles, elle découvre que la famille est extrêmement conservatrice dans ce domaine : elle ne peut pas toucher les aliments, ni aller dans la cuisine. Plus tard, elle sera même obligée de dormir sur une simple paillasse et de rester enfermée dans une pièce tout au long de cette période. Ainsi, on comprend que, même si à l’origine, elle vient d’une famille assez conservatrice pour la marier à un inconnu, elle n’était pas du tout habituée à de telles mœurs. Elle n’a néanmoins pas d’autres choix que de s’y plier : ses propres sœurs lui demandent de s’adapter.
La tension augmente tout au long du film. A partir d’une demi-heure (sur 1h30 de film), on se demande jusqu’où l’épouse va bien pouvoir tenir, et quand est-ce qu’elle explosera…
The Great Indian Kitchen : un film engagé qui fait polémique
Le film vise très clairement à dénoncer la condition des femmes dans les familles conservatrices hindous. Il a ainsi été salué par de nombreuses féministes indiennes, mais a aussi eu un écho au sein de nombreuses familles. Le succès obtenu par le film au Kerala où il a remporté deux prix, reflète aussi l’engouement pour le scénario et la prestation des acteurs. Joe Baby avait flairé le filon : aucun autre film indien n’avait jamais mis autant l’accent sur la condition des femmes dans le foyer (et particulièrement dans la cuisine) … et n’avait eu un tel écho.
Néanmoins, certains ont aussi critiqué ce film, en avançant qu’il s’agissait d’une « propagande anti-hindous ». Le réalisateur étant chrétien, cela n’a pas calmé les esprits, au contraire. Ils fustigent un film qui dépeint une époque révolue, et qui ne colle pas avec certaines réalités. Ainsi, la famille a assez de moyens pour vivre dans une grande et belle maison, mais pas d’employer une aide à domicile, comme le font souvent les familles indiennes de classe moyenne ?
Quant à la rédaction du petitjournal.com, nous pensons que The Great Indian Kitchen a, finalement, atteint son but avec brio : dénoncer les difficultés auxquelles peuvent faire face les femmes indiennes dans leur foyer, et le poids des traditions.
Le film est disponible sur Amazon Prime.