Dans la salle de formation de l’hôpital provincial de Battambang – 4 000 lits – Patrick Jouhaud, Médecin Ostéopathe, Président de l’association docOSTEOcam et Vice-Président de l’ONG cambodgienne Hattha Vichesas, commence son intervention devant un public d’une vingtaine de soignants, attentifs. Ils et elles (six femmes sur vingt praticiens) sont pédiatres, infirmiers, physiothérapeutes, urgentistes, chirurgiens ou sage-femmes et démarrent un cycle de formation étalé sur trois années, qui doit les mener à l’obtention d’un certificat des connaissances de base en Ostéopathie.
Ce jeudi 8 novembre, l’introduction aux grands principes de l’ostéopathie se fait dans le plus grand silence. La discipline est encore peu connue dans le pays et c’est bien tout l’enjeu pour
Cette nouvelle ONG locale, Hattha Vichesas Organization (HVO) promeut, dans un esprit durable et solidaire, cette pratique visant à soigner et traiter la douleur, ainsi qu’à apporter bien-être et réconfort auprès de populations vulnérables.
L'ostéopathie est encore méconnue au Cambodge
Un jeune étudiant en médecine attend dans la pièce d’à côté. Il est en stage à l’hôpital de Battambang et a rencontré Patrick Jouhaud lors de précédentes interventions à l’Université des Sciences de la Santé de Phnom Penh ; il vient le saluer.
Il n’y a pas beaucoup d’ostéopathes au Cambodge. Ce sont plutôt des kinés auxquels s’adressent les gens.
Dans la salle de formation, l’une des assistantes de Patrick Jouhaud pour cette session de formation est le Dr SIN Sotikun. Sa clinique de consultation est à Phnom Penh. « C’est elle qui connait le mieux la discipline au Cambodge » explique-t-il aux praticiens en la présentant.
L'enseignement de l'ostéopathie
Elle va assurer une grande partie des enseignements, en binôme avec des ostéopathes français bénévoles engagés par docOSTEOcam et invités par HVO. Ils vont se relayer jusqu’en 2025 à l’hôpital Provincial de Battambang, à l’hôpital provincial de Siem Reap, ainsi qu’à l’hôpital Calmette de Phnom Penh. Cet enseignement va en outre être diffusé auprès de l’équipe médicale de l’ONG Happy Chandara. D’autres hôpitaux provinciaux semblent être candidats à devenir partenaires de ce projet.
C’est à l’hôpital Calmette que tout a commencé en 2016, précisément à la maternité, pour soulager les femmes enceintes qui souffraient du dos. Une quinzaine de soignants y ont été formés – dans un calendrier un peu contrarié par la pandémie de Covid – et se sont vu remettre en juin dernier les premières certifications. Cela les autorise à ajouter cette nouvelle approche de la santé à leur pratique habituelle.
L'ostéopathie ce n'est pas de la magie
La Dr SIN Sotikun propose une consultation d’ostéopathie dans une clinique de la capitale. Elle témoigne :
Lorsque je soigne, par exemple sur le côté droit du corps alors que la personne vient avec une douleur à gauche, on me dit que c’est de la magie. Et pourtant c’est une logique anatomique.
Catherine Paule, Ostéopathe à Lyon depuis une trentaine d’années et bénévole dans cette mission de novembre 2022, poursuit : « mais on n’est pas dans la magie, on est dans la matière anatomique et fonctionnelle ».
Dans la salle de formation, Patrick Jouhaud poursuit sa présentation. L’ostéopathie signifie l’intérieur du corps en grec ancien (osteome) et on doit cette discipline, dans sa version moderne, à un médecin américain de la fin du 19e siècle, Andrew Taylor Still. Elle se structure autour de trois définitions de l’anatomie : l’anatomie de description, enseignée à l’Université et qui consiste à savoir ce qu’il y a sous les mains du praticien quand il les pose sur le corps ; l’anatomie du mouvement et enfin l’anatomie de la croissance (depuis l’embryon).
Dès qu’un espace de questions-réponses s’ouvre après cette introduction, les interrogations des soignants cambodgiens ne manquent pas. Comment soigner tel trouble ? Comment « sentir » quand on pose les mains ? Pour cette maladie l’ostéopathie peut-elle être un recours ? Patrick Jouhaud répond précisément, point par point. Les praticiens vont pouvoir s’exercer très vite au toucher dès la fin de matinée, allongés eux-mêmes sur les tables qui viennent d’être installées. Il faut du temps et de la pratique pour se familiariser avec la discipline. Au total, ils suivront onze sessions de formation de deux jours chacune. Cet enseignement est délivré gratuitement par les enseignants bénévoles.
Le programme de formation
Avant de mettre en place ce programme de formation ambitieux, dans un cadre reconnu par les autorités du Royaume du Cambodge, docOSTEOcam a d’abord développé depuis 2008 un programme de soins. Ces différentes missions ont réuni une cinquantaine d’ostéopathes européens bénévoles, et permis de pratiquer plus de 12 000 soins ostéopathiques auprès des enfants orphelins ou issus de milieux défavorisés.
Les soins étaient également au programme de cette mission de novembre et décembre 2022. Ils ont été proposés dans différents établissements à travers le pays, avec lesquels l’association travaille régulièrement, par une dizaine d’ostéopathes français bénévoles âgés de 24 à 67 ans. Pour la majorité d’entre eux, il s’agissait d’une première expérience. Pendant deux semaines, les thérapeutes se sont déplacés de la capitale Phnom Penh ainsi qu’en Province.
Ces interventions permettent de traiter des symptômes variés tels des oppressions thoraciques, souffrances émotionnelles, céphalées, souvent en rapport avec la malnutrition ou les maltraitances, le tout pour améliorer l’état physique et psycho-émotionnel des enfants traités. Ces soins s’adressent encore à des enfants en grande souffrance et victimes de pathologies lourdes tel des infirmité de naissance ou des séquelles d’encéphalopathies.
Si les missions de soin se sont interrompues pendant la pandémie, entre 2020 et 2022, l’équipe française de docOSTEOcam en a profité pour créer et officialiser l’ONG sœur Hattha Vichesas Organization . Celle-ci permet d’assurer une continuité des activités sur place tout au long l’année, tandis que les missions (soins et formations) sont programmées à quatre moments différents.
En 2023, bénévoles et formateurs reviendront au Cambodge en janvier, mars, juin et novembre, dans un esprit de partage et de compagnonnage qui a jusqu’ici donné de bons résultats. L’objectif final est de contribuer à former des soignants cambodgiens qui seront les enseignants de demain de cette nouvelle approche de soins de santé.
Corinne Vanmerris