Actif dans douze pays, Malaria Consortium accompagne le Cambodge sur la dernière ligne droite vers l’élimination du paludisme, tout en lançant de nouveaux programmes de santé communautaire, notamment le dépistage du cancer du col de l’utérus dans les zones rurales. Rencontre avec Mélanie Hubault, directrice pays Cambodge, et Mousumi Rahman, directrice adjointe région Asie, deux Françaises engagées qui racontent comment la lutte contre le moustique a ouvert la voie à une vision plus large de la santé pour tous.


Une organisation née de la recherche
Créée en 2003 à Londres, Malaria Consortium est d’abord née d’un groupe d’experts réunis par le gouvernement britannique pour répondre à la crise mondiale du paludisme.
« Au départ, c’était un petit cercle de chercheurs passionnés, raconte Mélanie Hubault. Mais très vite, ils ont souhaité mettre leur expertise aussi au service du terrain. Aujourd’hui, l’organisation met en œuvre des projets dans douze pays, surtout en Afrique et en Asie. »
Le principe reste le même : fonder chaque intervention sur des données scientifiques solides, tout en veillant à la transparence et à l’efficacité. Cette rigueur a valu à l’ONG d’être classée depuis cinq ans parmi les Top Charities du classement GiveWell, une organisation indépendante qui récompense les organisations les plus coûts-efficaces.
Le Cambodge, une réussite mondiale
Le Cambodge est souvent cité comme exemple de réussite dans la lutte contre le paludisme.
« En vingt ans, le pays a fait un chemin impressionnant. On est passé de près de 150 000 cas en 2006 à seulement 22 cas confirmés en 2025, » explique Mousumi Rahman, qui supervise les programmes de la région Asie. L’objectif fixé par le gouvernement est ambitieux : une certification « exempt de paludisme » de l’OMS d’ici 2029.

« Sous l’impulsion du ministère de la Santé et un engagement considérable du CNM (National Center for Parasitology Entomology and Malaria Control), la clé de ce succès reposera notamment sur une forte implication communautaire. Ils sont tout un réseau à travers le pays, sous la supervision du CNM, et ils seront chacun la pierre angulaire de cette réussite », précise Mélanie Hubault.
Les 600 agents formés et accompagnés par Malaria Consortium sillonnent douze provinces, souvent issus des minorités locales, parfois à moto ou à pied, pour dépister, traiter et sensibiliser les habitants.
« Ils connaissent les langues, les coutumes, les réalités du terrain. Ce sont eux les véritables héros de cette histoire », insiste Mousumi Rahman.
Aller là où l’on soigne le moins
Le cœur de la mission de Malaria Consortium, c’est d’atteindre les populations les plus isolées.
« Nous travaillons avec des groupes qui n’ont parfois jamais vu de professionnel de santé : des travailleurs forestiers, des familles nomades, des migrants saisonniers », explique Mélanie Hubault.
Pour les soutenir, l’organisation a mis en place une chaîne de dépistage très réactive.
Les Village et Mobile Malaria Workers effectuent des tests rapides, consignent les résultats sur une application mobile et transmettent les cas suspects aux autorités sanitaires locales.« À ce stade, chaque cas est traqué, confirmé au laboratoire et entouré de soins préventifs. On suit les gens jusqu’à leur guérison pour éviter toute rechute ou contamination secondaire », poursuit-elle.
Cette stratégie de précision, rendue possible grâce à la numérisation des données et à la formation continue, a permis d’approcher la fin du cycle de transmission.

Pourquoi l’Asie était une priorité
Le paludisme n’est pas qu’une affaire asiatique, mais c’est ici qu’a émergé une menace mondiale :
« Une souche résistante aux traitements à l’artémisinine est apparue en Asie, se souvient Mousumi Rahman. L’urgence était d’empêcher qu’elle ne se propage vers l’Afrique, où la maladie reste endémique. »Cette alerte a mobilisé les grands bailleurs internationaux, notamment le Fonds mondial et USAID, qui ont massivement investi dans la région du Grand Mékong.
« Le Cambodge a bénéficié d’un fort soutien, mais il a aussi su transformer cette aide en succès durable », reconnaît-elle.
Financements et continuité des soins
Maintenir cet effort demande une stabilité financière. Et cela n’a pas toujours été simple.
« Quand USAID s’est retirée, les activités dans six provinces se sont arrêtées du jour au lendemain », confie Mélanie Hubault.
« Nous avons dû activer nos fonds d’urgence et mobiliser nos donateurs privés pour soutenir le ministère de la Santé. Ce mécanisme a permis d’éviter une rupture dans la surveillance, qui n’a été suspendue que quelques semaines. »
Pour cette raison, l’organisation a depuis longtemps diversifié ses sources : Fonds mondial, GiveWell, financements américains et dons privés.
« Nous travaillons toujours main dans la main avec le ministère de la Santé. Notre mission, c’est d’appuyer, pas de remplacer », ajoute Mousumi Rahman. L’objectif est clair : atteindre zéro cas localement transmis avant 2026, puis maintenir trois années de vigilance avant la certification finale de l’OMS.

Les outils d’une victoire
« Dans la combinaison de dispositifs mis en place pour prévenir la malaria, les moustiquaires imprégnées sont un atout précieux », résume Mélanie Hubault : « On distribue désormais des hamacs moustiquaires, plus pratiques pour les travailleurs forestiers qui dorment dehors. Nous surveillons également la résistance aux insecticides, en particulier en Afrique à travers différents projets, notamment au Nigeria et en Ouganda, afin de nous assurer que ces outils restent efficaces et de pouvoir adapter nos stratégies en conséquence. »
L’autre révolution, c’est la surveillance numérique. Chaque test, chaque cas, chaque traitement est enregistré, suivi, confirmé.
« C’est ce qui nous permet aujourd’hui de travailler presque en temps réel. Il y a vingt ans, il fallait des semaines pour avoir les données. Aujourd’hui, c’est instantané », souligne Mousumi Rahman.
Aux frontières et en temps de crise
Les tensions frontalières récentes ont entraîné des déplacements de population, avec un risque de réémergence du paludisme.
« Nous avons installé des malaria posts à l’entrée des forêts et dans les camps de déplacés. Ce sont de petites tentes, mais elles sauvent des vies », souligne Mélanie Hubault.
« Chaque personne fébrile peut y être testée immédiatement. Cela évite que de nouvelles transmissions ne reprennent pied. »
Au-delà du paludisme : la santé des femmes
Maintenant que la malaria est presque éradiquée, l’organisation a choisi d’utiliser ce réseau communautaire pour répondre à d’autres besoins de santé.
« Au fil des années, MC et nos relais communautaires ont gagné la confiance des villageois. Il était naturel d’élargir notre action », explique Mélanie Hubault.
Depuis 2024, Malaria Consortium pilote un programme de dépistage du cancer du col de l’utérus au sein des populations isolées et difficiles à atteindre, une première pour l’ONG.
« Nous avons lancé un projet pilote d’autoprélèvement du papillomavirus (HPV) dans les villages. Les échantillons sont ensuite analysés à l’Institut Pasteur du Cambodge », détaille-t-elle.
Les résultats sont encourageants : forte participation des femmes, échantillons exploitables et prise en charge rapide des cas positifs.
« Dans nos zones cibles, moins de 0,5 % des prélèvements effectués n’ont pas été exploitables. C’est donc une véritable réussite qui démontre la capacité des femmes à se prélever seules et à prendre en main leur santé, quel que soit leur niveau d’éducation. Faute de quantité suffisante de vaccins, le gouvernement a choisi de prioriser la vaccination des filles de neuf ans et 99 % d’entre elles l’ont été. Et plus de 10 000 personnes ont été directement sensibilisées », ajoute Mousumi Rahman.

Ce virage illustre une évolution stratégique : passer d’une lutte contre une seule maladie à une approche intégrée de la santé communautaire.
« Nous souhaitons élargir notre offre afin que chaque action de santé communautaire puisse devenir l’occasion de prévenir plusieurs problèmes de santé : malaria, dengue, cancers féminins… mais cette évolution doit être progressive pour rester efficace. »
L’approche One Health et la résistance aux antibiotiques
Forte de son expérience en santé humaine, Malaria Consortium s’intéresse désormais à un autre défi mondial : la résistance aux antibiotiques.
« C’est un problème qui dépasse la médecine. Il touche aussi l’agriculture, l’élevage, l’environnement. C’est tout le sens de notre approche One Health : agir sur un ensemble de causes pour être le plus efficace possible », explique Mousumi Rahman.
L’organisation développe sa collaboration avec le ministère de la Santé, le ministère de l’Agriculture, de l’Environnement et des institutions de recherche comme l’Institut Pasteur du Cambodge, avec lequel elle participe notamment à un projet qui vise à cartographier les pathogènes présents dans cent villages cambodgiens pour prévenir les futures épidémies ou enjeux de santé publique.
« Notre rôle, c’est de les rendre acteurs de ce travail de recherche en partageant avec eux les résultats préliminaires pour qu’ils contribuent à leur analyse en nous donnant des clés de compréhension qu’ils sont les seuls à connaître. La science doit rester au service des communautés », insiste Mélanie Hubault.
Une santé communautaire à visage humain
En deux décennies, le Cambodge est passé du statut de pays à haut risque à celui de modèle international dans la lutte contre le paludisme.
Mais pour Malaria Consortium, cette victoire n’est qu’une étape.
« La malaria est presque derrière nous, mais les besoins de santé restent immenses. Notre ambition, c’est d’accompagner les communautés au-delà de cette victoire », conclut Mélanie Hubault.

Comprendre le paludisme
Le paludisme, aussi appelé malaria, est une maladie infectieuse potentiellement mortelle provoquée par un parasite du genre Plasmodium. Il est transmis à l’être humain par la piqûre d’un moustique Anopheles femelle, actif principalement la nuit.
Une fois dans le sang, le parasite migre vers le foie, où il se multiplie avant de retourner dans la circulation sanguine et d’infecter les globules rouges. Les symptômes les plus courants sont la fièvre, les frissons, les maux de tête et la fatigue extrême. Sans traitement, le paludisme peut entraîner des complications graves, notamment l’anémie sévère, des troubles neurologiques ou la mort.
Il existe plusieurs espèces de parasites, mais deux prédominent en Asie : Plasmodium falciparum (le plus dangereux, notamment parce qu’il présente des résistances aux antipaludéens) et Plasmodium vivax, à l’origine de rechutes.
La prévention repose sur l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide, le dépistage rapide et le traitement antipaludique précoce. Au Cambodge, le dernier foyer de transmission est désormais limité aux zones forestières et frontalières.
Sur le même sujet















































