Theang Soriya est une chroniqueuse et chercheuse indépendante qui s'intéresse aux questions de genre, aux femmes et aux groupes minoritaires. Elle évoque ici les inégalités au travail qui touchent les femmes au moment où elles deviennent mères.
Après la naissance de leur premier enfant, Dara et Cheata, un couple ayant un niveau d'études et des perspectives de carrière similaires, ont connu des réalités différentes en ce qui concerne leurs revenus et le solde de leurs pensions de retraite.
Alors que Dara a progressé dans sa carrière, Cheata a rencontré des obstacles pour réintégrer le marché du travail après son congé maternité, en raison de préjugés et de discriminations. En conséquence, les revenus de Cheata ont considérablement diminué par rapport à ceux de Dara, ce qui s'est traduit par un écart notable dans leur retraite à la fin de leur vie professionnelle.
Selon l'université de Monash, en Australie, ce cas hypothétique mais réaliste illustre un phénomène appelé "pénalisation de la maternité", à savoir la baisse des revenus, de la compétence perçue et des chances de progression de carrière qui survient lorsqu'une femme active a des enfants.
La recherche indique que les mères subissent une baisse de revenus de 60 % par rapport aux pères dans la décennie qui suit la naissance de leur premier enfant.
Ces discriminations auxquelles sont confrontées les mères sont fréquentes, en particulier au Cambodge, en raison de la répartition genrée des rôles entre hommes et femmes et des systèmes de soutien inadéquats pour les mères.
La répartition genrée des rôles, source de discriminations
L'un des principaux défis auxquels sont confrontées les mères cambodgiennes réside dans les attentes traditionnelles en matière de rôle des hommes et des femmes, qui donnent la responsabilité aux femmes du soin de la famille et des tâches domestiques.
Cette recherche a notamment révélé que les mères sont confrontées à des préjugés lors de la sélection des CV et lors des entretiens. Par rapport aux femmes sans enfants et aux hommes, les mères sont rejetées plus rapidement. Lors des entretiens d’embauche, les mères témoignent d’une forme de réticence voire d’hostilité à leur égard , tandis que les hommes bénéficient d'un traitement préférentiel.
Les mères qui travaillent sont souvent confrontées à des stéréotypes les décrivant comme des employées moins dévouées ou moins fiables en raison de leurs responsabilités familiales.
Un rapport du PNUD de 2021 indique que la situation matrimoniale est le principal déterminant de l'emploi salarié des femmes au Cambodge. Les femmes mariées ont 38 % de chances en moins d'occuper un emploi rémunéré.
Des services de garde d'enfants inadaptés
Le Cambodge manque également de politiques globales et de systèmes de soutien pour répondre aux besoins des mères qui travaillent. L'accès à des services de garde d'enfants abordables et de qualité est limité, en particulier dans les zones rurales, ce qui complique la tâche des mères qui veulent continuer à travailler tout en s'assurant que leurs enfants soient pris en charge.
Kang Somaly, mère de deux enfants dans la province de Kompong Speu, a dû prendre la décision difficile de quitter son emploi d'ouvrière de la confection, autrefois source de revenus vitaux pour sa famille, car il n'y avait aucune possibilité de garde d'enfants dans son village ou à proximité. Les revenus de son mari, chauffeur, étant désormais son seul moyen de subsistance, Kang Somaly doit relever le défi de faire vivre sa famille avec un revenu mensuel d'environ 200 dollars.
Sans soutien adéquat, les mères sont obligées de faire des choix difficiles entre leurs aspirations professionnelles et leurs obligations familiales, souvent au détriment de leur avancement professionnel et de leur sécurité économique.
La Société financière internationale a constaté que l'absence de services de garde d'enfants peut avoir un impact significatif sur les décisions des parents en matière d'emploi, en particulier pour les femmes, qui sont responsables de 75 % des tâches non rémunérées dans le monde.
Des politiques de soutien nécessaires
La pénalisation de la maternité n'affecte pas seulement les femmes à titre individuel, mais perpétue également l'inégalité entre genres sur le lieu de travail et dans la société en général.
En outre, les répercussions financières peuvent contribuer à la vulnérabilité économique des femmes, en exacerbant des problèmes tels que l'écart de richesse entre les hommes et les femmes et les situations de précarité au moment de la retraite.
Ces défis auxquels sont confrontées les mères cambodgiennes et la société cambodgienne de manière générale soulignent le besoin urgent de réformes globales pour promouvoir l'égalité des genres.
En mettant en œuvre des politiques de soutien à la garde d'enfants et en favorisant des environnements de travail inclusifs, le Cambodge peut créer un environnement plus équitable et contribuer à donner plus d’autonomie aux mères qui travaillent, leur permettant ainsi de réaliser pleinement leurs aspirations.
Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui a permis de traduire cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.