Accusé de cybercriminalité et confronté à des fermetures de frontières, le Cambodge répond à la Thaïlande par des mesures économiques, un discours nationaliste et un appel à la coopération régionale.


Le Premier ministre cambodgien Hun Manet a dénoncé, le 23 juin, ce qu’il considère comme une exploitation des tensions frontalières par Bangkok à des fins de politique intérieure. Dans un discours ferme, il a accusé certains responsables thaïlandais de transformer le Cambodge en bouc émissaire pour détourner l’attention de leur propre crise politique.
« Nous avons fait preuve de patience, mais la Thaïlande a franchi une ligne rouge. Ils ont tué un de nos soldats », a déclaré Hun Manet, faisant référence à la mort d’un militaire cambodgien le 28 mai dans la zone contestée de Mom Bei, au cœur du « triangle d’émeraude » frontalier.
Selon lui, l’élan nationaliste qui s’est manifesté au Cambodge, notamment lors d’une marche de solidarité, organisée par l’Union des Fédérations de la Jeunesse du Cambodge (UYFC), le 18 juin, est une réponse directe aux actes hostiles de la Thaïlande, et non une manœuvre politique orchestrée par Phnom Penh.

Fermeture des frontières et rétorsions économiques
En réponse aux mesures unilatérales de Bangkok, le Cambodge a annoncé la fermeture permanente des postes-frontières de Choam et Choub Korki dans la province d’Oddar Meanchey. Hun Manet a clairement posé ses conditions : la Thaïlande devra faire le premier pas si elle souhaite rouvrir les frontières.
Dans la foulée, Phnom Penh a suspendu les importations d’électricité, de services internet, de carburants et de programmes télévisés thaïlandais. Les produits agricoles, tels que fruits et légumes, sont également bloqués aux points d’entrée. Des restrictions supplémentaires sur les conserves, les boissons alcoolisées et la viande sont envisagées.
Le gouvernement cambodgien affirme avoir anticipé l’impact économique : le ministre de l’Énergie, Keo Rottanak, aurait sécurisé des alternatives auprès de fournisseurs régionaux.
Bangkok resserre l’étau : blocage des touristes et cybersanctions
Côté thaïlandais, la réaction a été rapide et radicale. Le 24 juin, les autorités ont fermé leurs frontières terrestres à presque tous les voyageurs, bloquant notamment ceux qui souhaitaient se rendre dans les casinos cambodgiens. Seuls les déplacements essentiels — soins médicaux, études ou achats de biens vitaux — sont désormais autorisés. L’armée thaïlandaise a mis en œuvre ces restrictions dans cinq provinces frontalières.

De plus, la Première ministre Paetongtarn Shinawatra a annoncé vouloir suspendre les services internet et les câbles sous-marins connectés à des entités gouvernementales et militaires cambodgiennes. Elle accuse également le Cambodge de favoriser des opérations illégales à la frontière, notamment via l’accès à du carburant et à l’électricité.
Accusations de cybercriminalité : Phnom Penh contre-attaque
Le 22 juin, le ministre cambodgien des Postes et Télécommunications, Chea Vandeth, a rejeté comme « infondées et trompeuses » les déclarations de son homologue thaïlandais Prasert Jantararuangtong, qui accuse le Cambodge d’abriter des réseaux cybercriminels liés aux élites politiques.
Chea Vandeth a dénoncé une tentative de détourner l’attention de la situation en Thaïlande et affirmé que les réseaux de fraude en ligne sont aussi présents, voire structurés, depuis le territoire thaïlandais. Il a cité plusieurs cas de trafic humain et de complicité présumée des autorités thaïlandaises, évoquant notamment un incident impliquant l’acteur chinois Wang Xing, enlevé depuis l’aéroport de Bangkok.
Le ministre cambodgien a rappelé la création en février 2025 d’une Commission nationale de lutte contre les escroqueries en ligne, et s’est dit prêt à coopérer avec les partenaires régionaux sur la base de faits vérifiés, non de « récits politisés ».
Une tension régionale toujours vive
Les tensions entre les deux pays, attisées depuis février par des incidents symboliques — comme la diffusion d’un chant patriotique cambodgien au temple contesté de Ta Moan — ont dégénéré en mai avec la destruction d’un abri traditionnel et surtout, la mort du soldat cambodgien. La Thaïlande accuse le Cambodge d’avoir incendié une structure située sur son territoire ; Phnom Penh évoque un feu de forêt accidentel.

Hun Manet a conclu son discours en appelant à la paix, mais en affirmant que le Cambodge ne se laisserait pas intimider :
« Nous ne voulons pas la guerre. Mais nous avons le droit et la capacité de défendre notre souveraineté. »
Il a indiqué être prêt à porter tout nouveau conflit devant le Conseil de sécurité des Nations unies si la situation venait à dégénérer.
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